REINALDO MARCUS GREEN : Bob Marley – One Love

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(Tuff Gong Pictures / Paramount)

Bob Marley est un artiste jamaïcain dont presque tous les terriens connaissent l’existence. Si on l’associe souvent au reggae, j’ai de suite envie de dire qu’il en a fait autre chose. Il a d’ailleurs été très critiqué et jalousé pour cela par les artistes reggae restés sur l’île. Ils l’ont accusé de se vendre alors que c’est lui qui leur a permis de se produire dans le monde entier, certains étant toujours là en 2024. C’est quand son message s’est tourné vers le rastafarisme qui prend l’Afrique comme référence, que sa musique a fait écho avec son époque où le monde « blanc » sortait d’une colonisation qui a révolté la jeunesse en Europe comme en Amérique ou encore en Asie. Il faut voir que les protestations contre la guerre du Vietnam avaient cristallisé ces foules anti-impérialistes et anticolonialistes. Le talent de Marley comme compositeur, ses merveilleux musiciens et le côté universel et spirituel de ses textes a bouleversé le monde. Cette musique syncopée interprétée avec talent qui ne ressemblait à rien de ce que les gens avaient déjà entendu, a créé la bande son de cet intérêt pour des pays jusque-là jugés sous-développés. On en percevait pour la première fois la profondeur spirituelle comme une capacité à renverser les certitudes de l’occident matérialiste. C’est en plus sans compter sur l’effet qu’il a eu sur les jeunes artistes africains, ceux qui allaient créer le mouvement de la world music et conquérir le monde. Après la période de décolonisation, sentir que le monde entier se tournait vers l’Afrique grâce aux paroles rasta des chansons de Marley, a regonflé leur amour propre et leur confiance en leur potentiel artistique. Marley est si souvent cité par les artistes africains ceci bien au-delà de la musique, plasticiens, écrivains, activistes politiques, qu’on ne peut passer sous silence son influence. Est-ce qu’Angélique Kidjo, Richard Bona, Toure Kunda, Césaria Evora ou Youssou Ndour seraient parvenus jusqu’à nos oreilles et auraient conquis le monde sans Marley, ce n’est pas si sûr.

Il faut savoir que j’ai travaillé pendant plus d’un an avec Mark Miller, régisseur technique de Bob Marley les six dernières années de sa vie. Il a été mon mentor dans l’apprentissage du métier de tour manager dans le reggae avec des groupes du sud du Brésil. Il habite toujours à Antibes et des soirées passées à écouter ses anecdotes vécues de ces temps historiques m’en a appris beaucoup sur le phénomène Marley mais aussi sur la personnalité de l’homme avec lequel Mark Miller a partagé son quotidien. Je vous conseille d’ailleurs la lecture de son livre « Sur la route avec Bob Marley » (aux éditions Castor Astral) qui constitue pour moi la meilleure source d’information existante sur Marley, pour comprendre la ferveur qu’il a suscité en son temps et jusqu’à aujourd’hui.

Sachant tout cela, l’annonce du tournage d’un biopic sur Bob Marley a suscité énormément d’attentes. Quand on a vu que c’était la Paramount qui allait s’en charger l’enthousiasme de certains est vraiment retombé car il est d’emblée apparu que ce qui fait l’intérêt d’un personnage aussi subversif que Bob Marley n’était pas forcément dicible par une multinationale qu’il aurait forcément rattaché au Babylone System qu’il n’a cessé de dénoncer. Il faut aussi savoir qu’à sa mort les droits de son œuvre ont été transmis à sa mère, laissant les Wailers, ses fils et sa femme Rita sans aucune rétribution malgré l’importance de leur travail dans la réussite de Bob Marley. Cette frustration immense a d’abord fait exploser les Wailers puis elle a créé chez eux une volonté de récupérer leur dû quitte à vendre l’âme de Bob à titre posthume, c’est exactement ce qu’ils ont fait avec ce film. Dès les premières images, ce qui restait de curiosité et d’enthousiasme retombe illico, la suite n’est qu’une suite d’incongruités diverses et variées. Traductions hasardeuses qui donnent aux dialogues un côté surfait parfois presque risible (à un moment on entend un médecin dire d’un air docte ”ses dreadlocks ont arrêté la balle à 3 cm de son cerveau”, on vous laisse imaginer la taille du cerveau de Rita), jeu d’acteur qui sonne constamment faux, volonté de singer les postures de Marley lors des interviews jusqu’au ridicule, charisme inexistant lors des scènes de danse, l’acteur choisi étant un beau mec sans aucun charisme, tout le contraire de Bob Marley. Et les Wailers semblent n’être que des figurants. Pour finir j’évoquerai le mix de pistes son ou la voix de l’acteur et celle de Marley sont honteusement mixées, le tout pour prodiguer au final une intensité dramatique approchant du zéro absolu ! Seule l’actrice Lashana Lynch qui joue le rôle pourtant très lissé de Rita Marley s’en tire avec brio.

Atterrés par un tel naufrage, la première question qu’on se pose est y a-t-il des survivants ?  Tout n’est pas à jeter. La musique de Bob Marley qui diffuse toujours avec grandiloquence sa profondeur et son intemporalité sait nous émouvoir aux larmes, le film compte aussi quelques belles images. “One Love” le biopic sur Bob Marley est indigne. Un mauvais film bâclé dont la médiocrité dépasse de loin l’ambition pourtant immense de son sujet. J’aurais vraiment préféré un montage de titres live pour profiter de l’excellente acoustique de la salle de l’Olympia à Cannes que cette mascarade superficielle qui n’a qu’à peine le mérite d’exister même pour un public jeune qui découvrirait Marley.

Emmanuel Truchet

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