#NVmagZoom
John McLaughlin a côtoyé les plus grands. John Paul Jones et Jimmy Page (Led Zeppelin), les Beatles, les Rolling Stones, George Martin, ou encore Jimi Hendrix. Pourtant, c’est un rapport intime à la musique et une philosophie de vie très ancrée dans la méditation qui le caractérise. Plus qu’une interview, une leçon de vie.
Quelle a été ta première approche de la musique ?
Quand j’étais petit, j’écoutais beaucoup de musique classique, de blues, de jazz… à 14 ans, j’ai découvert le flamenco, et ça m’a frappé. Dans le petit village où j’habitais, personne ne savait de quoi il s’agissait. Je quittais l’école et faisait du stop jusqu’à Manchester dans un pub anglais pour voir de vrais guitaristes de flamenco, c’était absolument formidable. C’est resté une musique très chère pour moi, parce qu’il y a la passion. Et sans passion, la musique devient fade. C’est une expression de l’être, des relations qu’on a avec soi-même, avec le monde, et même avec l’au-delà.
Sous les conseils de Miles Davis, tu formes ton premier groupe, en 1970 : le Mahavishnu Orchestra. Pourquoi ce nom ?
On me l’a donné au moment où je suis devenu un disciple d’un gourou indien rencontré en 1970, à New York. Pendant cinq ans, j’ai étudié la méditation avec lui, jusqu’à ce qu’il m’accorde ce nom. « Maha », c’est grand, et « Vishnu », c’est l’un des dieux du Panthéon hindou, parmi Brama et Shiva.
Comment as-tu été accueilli aux États-Unis ?
J’ai passé 14 ans de ma vie en Amérique, et les américains m’ont accueilli d’une manière absolument royale. Mahavishnu Orchestra, c’était un phénomène complètement inattendu. On a été accueilli avec un enthousiasme vraiment hors du commun, j’étais sous le choc. J’ai donc fait une tournée d’adieu avec Mahavishnu aux États-Unis pour les remercier, car j’ai une dette absolument impayable.
Est-ce que c’est avec le Mahavishnu Orchestra que tu as pris conscience qu’il fallait alimenter le corps autant que l’esprit ?
Je pense que c’était lorsqu’on a commencé à prendre du LSD. Ça révèle d’autres niveaux de conscience, qui nous font percevoir la vie différemment. On voit apparaître des choses qui avant n’existaient pas. J’ai réalisé que je pouvais pratiquer d’autres manières de changer de niveau, à travers la méditation ou le yoga par exemple.
En 1999, le groupe Remember Shakti fait triompher la musique indienne. Est-ce que dans ton parcours spirituel, c’était une évidence de partir et de faire ce type de musique ?
Entre le jazz et la musique indienne, il y a beaucoup de liens. L’élément primordial, c’est l’improvisation dans le rythme. Bien que les disciplines soient fondamentalement différentes, il y a une part de spontanéité qu’on partage. Puis, la musique indienne intègre tous les aspects de l’être humain depuis des millénaires, du plus capricieux jusqu’au plus profond et sublime. John Coltrane en 1965, qui a intégré un aspect spirituel dans le jazz spécifiquement, a eu un énorme effet sur moi. On avait des questions existentielles et on avait du mal à trouver les réponses dans l’ouest. Donc on est parti en masse vers l’est, en Inde particulièrement.
Qu’en est-il de Remember Shakti aujourd’hui ?
Remember Shakti, ce sera toujours Shakti deuxième génération sans Srinivas, le jeune mandoliniste que nous avons perdu il y a deux ans et demi, après quatorze ans passés ensemble. Ça flotte dans les cieux, Dieu sait si nous allons revenir sur Terre avec un remplaçant. J’espère, car c’est un groupe très cher dans mon cœur. Ça fait quarante-quatre ans, c’est une grande partie de ma vie personnelle et musicale.
En 1980, tu formes un trio avec Paco de Luca et Al Di Meola. Est-ce que dans le flamenco, tu as retrouvé ces aspects d’improvisation ?
Oui, mais sous une autre forme. Les guitaristes de flamenco emploient ce qu’on appelle les falsetas. C’est un passage qui se conforme à la progression, à la séquence du morceau. Ils ont un vocabulaire entier de falsetas, qu’ils peuvent employer à n’importe quel moment.
Tu as des projets en cours ?
Depuis quelques années on prépare un projet, qui est une nouvelle direction de la rencontre entre l’est et l’ouest. C’est complètement différent de Shakti, il y aura Shankar Mahadevan, un chanteur extraordinaire, et ce sera seulement voix et orchestration, où l’on fera des improvisations à l’intérieur. Il va sortir à la fin de l’année.
Interview réalisée par Noobs Live, « l’émission pop culture qui ne se prend pas la tête »
Retranscrite par Manon Simonin
Photo : Lara Montagnac.