« SPECIAL MARSEILLE » SCENE REGGAE

1
399

Poussée par le troubadour Jo Corbeau, précurseur du mouvement reggae en France, Marseille a vu naître dans les années 90 Zion Train Imperial, Gang Jah Mind, Sons of Gaia, Daïpivo, Raspigaous et Superkemia. Des groupes qui ont créé une couleur musicale, une manière d’être et des réseaux d’entre-aide pour survivre au quotidien de l’underground reggae. Depuis, cette communauté a aspiré l’ambiance cosmopolite, chaude et fraternelle de la cité phocéenne, pour permettre à certains éclaireurs de partir découvrir les scènes du monde, comme à d’autres de pratiquer la musique comme occasion de partage et de rencontre.

Pour commencer, il est impossible de ne pas évoquer le parcours de Jo Corbeau, qui a historiquement fait naître le désir de jouer du reggae à Marseille et montré la voie. Dès le début des années 80, il intègre dans ses groupes successifs des musiciens qui essaimeront par la suite leur savoir-faire en matière de musique syncopée. Il crée progressivement un style particulier en teintant les rythmes afro-caribéens du clair soleil phocéen et d’un accent qui claque. Accessible, humain et sincère dans son rapport aux autres, Jo est aujourd’hui encore bouillonnant d’idées. Son style, au carrefour du slam, du chant populaire méditerranéen et du roots reggae ne s’embarrasse pas de politesses pour placer des rimes -qui peuvent accrocher les oreilles de certains, mais qui laissent place au fond à un souci plus onirique que strictement esthétique. Aujourd’hui, nombreux et turbulents sont ses enfants, et ce panorama propose une immersion dans cette heureuse famille.

Daïpivo est un des plus anciens groupes post-Jo Corbeau, puisque ses balbutiements remontent à 1987 : le groupe prend vraiment la forme d’un band reggae dès la toute fin des années 80. Les membres du groupe feront partie des enfants légitimes de Jo Corbeau, qu’ils ont accompagné et avec qui ils ont beaucoup appris. A une époque, où enregistrer un album était une aventure, ils attendront 1996 pour sortir leur premier album. Pour moi, c’est « Reggae Engatsé » en 1998 qui fixe leur style, rythmé comme un reggae qui claquerait comme du rock, tout en revendiquant un art de vivre qui évoque le Callelongue d’avant sa gentrification. En 2015, après des années de sommeil et de retour aux réalités de la vie d’adulte, ils sortent « Un Nouveau Souffle ». Un album plus critique sur le fond mais toujours positif, en proposant comme réponse à l’adversité une rébellion heureuse et mature dans son propos. Cet album contribue d’ailleurs à financer Maryse pour la vie, une association qui veut promouvoir le don d’organe.

The Handcart Band est né de la rencontre de musiciens issus de divers groupes Marseillais, au début des années 2000. C’est pour moi le groupe qui a aujourd’hui le parcours le plus exotique. Poussés par un goût pour l’aventure, ils sont marqués par le dynamisme et l’implication d’Al le bassiste, la créativité de Medhi à la batterie, sont rejoints par Sebastien Kassapian et Johann Martin (dit Titi) à la guitare, Claude Fages aux claviers et Jérémie Mateo au trombone. À la suite d’une rencontre sur un concert, où ils jouaient pour Ras Shiloh et Linval Thompson, Handcart débarque dès 2005 en Jamaïque. A Kingston avec Jah Fuzzy et Putus Roots, deux chanteurs et personnalités rasta du quartier mal famé de Rockfort, ils se tissent un réseau amical et professionnel. Cela les mènera à devenir Backing Band des Mighty Diamonds, de Pablo Moses ou encore des Abyssinians et même à enregistrer l’album « Ghetto living » avec Lival Thompson. Ils produisent plusieurs Riddims instrumentaux à succès, repris par de grands artistes reggae jamaïquains comme Morgan Heritage, Junior Kelly ou Sizzla. Le DST Riddim, hypnotique et planant finira en bombe New Roots hyper rythmée sur l’album « Mission In Progress » du Morgan Heritage sous le titre « Headlines ». Aujourd’hui, ils partagent leur temps entre 4 projets. United for Jamaïca est un projet porté depuis 2000 par l’association Kabba Roots qui a construit un centre social en plein cœur du Ghetto de Rockfort à Kingston. Plusieurs concerts de solidarité ont été organisés aux Docks des Suds, et un documentaire de 52 minutes (qui sortira au printemps) est né pour relater cette aventure. Par un des multiples hasards de la vie de musicien Al, le bassiste d’Handcart, rencontre Jansé Wesson, chanteur, réalisateur vidéo et personnalité du reggae polynésien. De leur passion commune naît la décision d’aller enregistrer à Tahiti pour réaliser l’album de cet artiste reconnu. Dans leurs bagages, les musiciens d’Handcart amènent une vingtaine de riddims, une compilation nommée Handcart meets Tahiti naîtra des suites de cette rencontre, et regroupera pour la première fois l’ensemble des artistes reggae polynésiens. Ce voyage est aussi l’occasion d’impliquer Blackstone, la boite de réalisation de Jansé Wesson, qui produit désormais toutes les vidéos du groupe. Notamment celles réalisées à Tahiti, qui présentent des images d’une nature magnifique, ou encore « Out Deh » le dernier clip tourné avec XT Ruff, un espoir de la nouvelle scène Jamaïquaine. En 2014, Handcart rencontre le chanteur anglophone Alex Keren qui, après une carrière solo, s’investira dans le projet Young Lords, né autour d’une couleur musicale soul reggae. Les perspectives d’un travail à long terme ainsi qu’un groupe uni et soudé motivent tout le monde. Laurent Longubardo, du studio Magnetic Lab, se joint encore une fois au projet. C’est à ce jour le travail le plus abouti du groupe. La tournée en préparation cristallise le clan Handcart et fait suite au lancement de l’album « Rise » en mars de cette année. Ce projet marque une étape importante dans l’avancement professionnel du band. Leur prestation a été préparée avec l’accompagnement d’un coach scénique qui les a aidés à prendre de l’ampleur sur scène. Le groupe cherche aussi à faire revivre Raspigaous, un des groupes qui a le plus marqué Marseille dans les années 90. Son Chanteur Lionel Achenza a toujours su soulever les foules, et, avec le professionnalisme d’Handcart, le concept devient plus convaincant que jamais. Un concert à l’Espace Julien cette année a permis de confirmer que l’enthousiasme pour Raspigaous ne s’était pas étiolé avec les années. Le public s’est envolé au son de certains titres, qui ont dû bercer les jeunes années de plusieurs générations d’accros à l’énergie scénique des Raspigaous.

Dub Akom est l’autre groupe de Marseille qui est parti à la conquête de la planète reggae. Dub Akom fait dès le départ le choix d’un reggae moderne et anglophone. Le groupe s’est construit autour de David, le batteur et de Faby, la bassiste, issus tous deux de Sons of Gaia et Superkemia. Depuis des années ils parcourent les scènes du monde entier et ont joué, entre autres, pour Mr Vegas, Konshens, Etana, Jah Mason, Lutan Fyah, Turbulence, Perfect, Million Stylez, Gyptian ou encore pour Protoje -soit la fine fleur du reggae new roots et du dance hall jamaïquain. Quand ils sont à Marseille, ils composent et enregistrent des riddims. Ils les proposent ensuite à une multitude de chanteurs jamaïquains qu’ils ont rencontrés au fil des concerts ou des connections artistiques. Leurs Nombreux « One Riddim Albums » permettent aux artistes confirmés, comme aux nouveaux talents, de placer leurs rimes pour certains ou de se faire connaître pour d’autres. Cela place aussi Dub Akom comme un des groupes mondiaux majeurs dans la création reggae actuelle. Il est vraiment plaisant de voir qu’il est possible de créer de la musique reggae et de s’intégrer parfaitement au reggae business jamaïquain auprès des plus grands, avec de la volonté et de l’ouverture. En 2015, ils ont l’incroyable opportunité de se voir proposer une tournée avec l’icône Mickael Rose, leader de Black Uhuru. Pour David, jouer sur scène un tel répertoire et passer du temps avec Mickael Rose est un rêve devenu réalité, mais aussi un signe de maturité et de réussite d’un projet de vie. Sur les traces de Marley qui fît là-bas un concert mythique, Dub Akom entame un périple incroyable au Zimbabwé avec l’artiste dance hall Konshens, véritable star dans ce pays. C’est aussi l’occasion d’un premier voyage à Kingston Jamaica ! Après des milliers de mails, des dizaines de titres enregistrés, des concerts autour du monde, voilà David et Faby accueillis au cœur de leur écosystème en Jamaïque. Loin des festivals européens, la ferveur de la nouvelle génération autour des chanteurs reggae et de leur band Dub Akom est palpable dans les quartiers pauvres de Kingston. Tournant « Nuh More Than Jah », une vidéo avec l’artiste émergeant Jah Torius, ils seront même plusieurs fois reconnus par des fans de reggae jamaïquains qui se délectent des vidéos de Dub Akom et qui leur permettent de voyager sur les scènes du monde.

Paul Morgan & The Messengers est un groupe formé autour du jamaïquain Paul Morgan. Eduqué à Nottingham en Angleterre et né d’une mère jamaïquaine et d’un père nigérian, il débute par une formation au piano classique. En 1981, il rencontre le mythique Burning Spear et part pour une tournée européenne. Cette expérience durera 7 ans et sera sans doute déterminante pour la suite de sa carrière. C’est en 1983 qu’il s’établit pour la première fois à Marseille où il fonde une famille et y reste quelques années. Plus tard il revient sur Marseille pour devenir Docteur en sociologie à 44 ans puis professeur d’anglais. C’est aussi la rencontre avec Jean Christophe Mattei, claviériste comme lui. Très naturellement ils se mettent à composer ensemble et Paul va créer, avec The Messengers, son propre répertoire autour d’un Reggae moderne et rythmé. Avec Jean Christophe, disposant d’un studio qu’il a monté à son domicile avec Laurent Longubardo du Magnetic Lab, ils enregistrent 2 EP : « Over The Mountains » sorti en 2013, puis « Messengers A Warriors » en 2016. Leur musique, très bien arrangée, repose sur des mélodies bien écrites qui sonnent et restent en tête des heures durant. On sent l’expérience de Paul et le sérieux de Jean Christophe et du band. Aujourd’hui l’association Orizon Sud leur amène une structure administrative et un soutien en promotion et en booking. Petit à petit ils ont construit un groupe stable qui comprend musiciens, techniciens son, réalisateur vidéo et une structure support, leur permettant d’être autonomes aussi bien dans la création que dans la promotion de leur musique. Une belle structure qui leur permet pas mal de liberté et d’indépendance. Mais surtout l’opportunité de produire en « sortant » le moins d’argent possible, règle de base de la survie dans le monde difficile de la reggae music.

Stéphane Ribeiro et Serge Poletti sont partis d’Aubagne, il y a bien longtemps, pour parfaitement s’intégrer au paysage musical reggae sur Marseille. D’abord réunis au sein de DubinAttack, ils ont chacun tracé un sillon bien différent même si aujourd’hui encore ils partagent les mêmes musiciens et restent très proches.

Stéphane Ribeiro, alias Elvas, a commencé son parcours dans l’univers reggae par la rencontre de l’œuvre d’Augustus Pablo. Ensemble, ils partageront pendant longtemps un attachement au mélodica, clavier miniature à vent qui sonne comme un harmonica à touches. Après le DubbinAttack puis un passage chez Jo Corbeau comme beaucoup, il rejoindra Gang Jah Mind au milieu des années 90, pour qui il jouera de la guitare. Très vite, sa gentillesse, sa disponibilité et son gout pour la scène (où il aime se mettre en avant pour assurer le spectacle), sont remarqués et il apporte au Gang de la vie sur scène. On sent aussi dès ses débuts qu’il a envie de porter ses propres compositions et son propre style, entre reggae et chanson avec des textes très personnels. Il va fonder les Sons of Gaia. Grâce à leur roots reggae original et bien interprété ainsi que l’abnégation de Sibille Devic, leur jeune manager qui porte avec beaucoup d’énergie la musique des Sons vers le public marseillais puis national, ils deviendront le groupe marseillais le plus reconnu des années 90. Aujourd’hui devenu un des piliers du reggae à Marseille, Elvas s’investit dans 2 projets qui lui permettent de poursuivre celui pour lequel il a le plus d’attirance et de talent. Il évoque avec poésie son parcours personnel avec Lisbonne – Marseille – Kingston, un projet intime et Chocolate Jesus, du jamaïcan ska (avec Alix Gomes au chant et le fidèle Denis Filosa aux claviers), une musique qui lui permet d’être plus expansif sur scène.

Serge Poletti est un personnage hors du commun qui vit sa vie comme il écrit ses textes ! Tout en outrance, en décalage, il mêle sans retenue la nostalgie des principes d’un passé idéalisé ainsi qu’un gout pour la transgression et la mise en scène. Illustrateur de talent, il deviendra tatoueur et créera Superkemia. Sa verve unique donne à ce groupe une couleur inédite en reggae. Humour, sens du tragique et de la formule se mêlent à une âpreté nostalgique et un chant très particulier. Ce qui place, par un miracle à ce jour inexpliqué, cet ovni musical si décalé dans la continuité de la culture de critique sociale qui marque la musique reggae. Ses prestations sur scène tiennent presqu’autant du stand up burlesque que du concert reggae. Il peut déconcerter, choquer ou amuser un public souvent hilare tout autant qu’elles exaspèrent parfois ses musiciens moins jusqu’au-boutistes que lui. « Discount », le dernier album du groupe perpétue cette veine unique. Les thèmes sont toujours les mêmes, ses contradictions aussi : le paraître qui ronge notre société et qu’il dénonce mais en face duquel il est si vulnérable, la consommation mythifiée au rang de religion, ou encore les faiblesses de l’âme humaine qu’il sait si bien explorer à mille lieues d’un reggae conventionnel et bien-pensant. La rébellion toujours originalement portée, la dérision élevée à un niveau outrancier et la personnalité du « chanteur » sans pareille font de Superkemia une expression unique dans la musique reggae.

Impossible de ne pas évoquer Jahby et Twadision, les 2 martiniquais qui font vivre la culture reggae antillaise sur Marseille. Pour eux, la culture rasta prend une autre dimension en donnant un sens historique et culturel à leur histoire personnelle de descendants d’un peuple déporté. Leur approche du reggae plus rasta est donc différente et plus intime que pour d’autres qui sont arrivés à ce mode de pensée par la musique. Si Jo Corbeau est le père fondateur, Jahby est vraiment le tonton de la famille reggae sur Marseille, lui le King of Cool qui trimballe sa nonchalance stylée depuis des années dans le centre de Marseille et qu’on croise sur tous les évènements qui comptent pour la communauté reggae. Après de multiples expériences musicales en Martinique, où il fonde dès 1982 le Zion Train Imperial, un groupe purement roots qui joue un reggae basique mais qui sait comme aucun autre diffuser son feeling rasta au public qui l’entoure. Après un beau parcours aux côtés des plus grands groupes roots jamaïquains de l’époque, le groupe le rejoint plus tard sur Marseille. Depuis on a retrouvé Jahby sur « Marseille Reggae Allstars » sur un titre avec Sista K de Watcha Clan puis sur de multiples projets dont « Hope City » un film diffusé par la fondation l’Abbé Pierre ou encore sur « Mizik Pa Ni Fwontiè », un titre enregistré avec le Dj brésilien Ronaldo Alperin. Pour illustrer cette constance à travers les années, Jahby était là lors du premier concert de Gang Jah Mind en 1993 mais fût aussi le leader du premier groupe que j’ai fait jouer sur scène en 1994 avec Zion Train Imperial.

Twadision, lui, joue depuis longtemps avec son complice Kaso à la batterie mais aussi Jean Michel à la guitare. Après un long parcours musical des îles à Marseille, il a sorti 2 albums : « Rastafari », un pur album roots à la Jacob Miller et « Baw Ti Brin Dife », plus dance hall & new roots. Cherchant à partager la culture rasta et la convivialité antillaise, leur local de répétition à Saint Pierre soude toute la communauté reggae comme point de rendez-vous tous les vendredi soirs. On y retrouve de nombreux sympathisants comme le fidèle Bachir ou Ben qui ne lâche jamais le micro. Tout le monde peut attraper un instrument ou un micro et se joindre à l’ensemble. C’est si important de lier tout le monde à la musique en partageant avec autant de simplicité, d’autant plus que les musiciens progressent en changeant de groupe ou d’instrument.

J’ai gardé pour la fin ceux qui pour moi sont au plus près de l’essence même de la musique reggae et de son esprit révolutionnaire sans compromis : Malik Fahim et Gang Jah Mind. Des musiciens intègres, proches de leurs valeurs et plus concentrés sur la musique que sur la communication, ce qui les rattache au pinacle de l’engagement citoyen pour lequel le reggae existe.

Malik Fahim a des racines au Maroc mais il a aussi voyagé depuis les origines du reggae en France. Parti d’Orléans, il est arrivé il y a de nombreuses années sur Marseille. Malik est un musicien solide et déterminé qui place son implication dans la musique au-dessus de tout. Sa résilience est sans limite. Malgré les hauts qu’il a connu avec son excellent groupe The Royaltix, puis les bas avec des difficultés de subsistance au quotidien, rien ne l’a jamais détourné de la musique et de l’écriture. Chez lui, on ressent toujours beaucoup de détermination, mais aussi un discours critique construit sur une grande ouverture d’esprit, une culture sociétale et des principes de vie forts, que sa musique dégage depuis toujours. Si cet engagement d’ascète peut lui donner une apparence parfois dure, il n’en est rien et Malik est toujours partant pour le partage et le dialogue, le tout avec beaucoup de cœur. Son dernier album « Préjudices » diffuse comme toujours une pensée révoltée, alternative et argumentée sur un style ragga dance hall bien maitrisé vocalement.

Gang Jah Mind, né en 1993, possède une identité unique autour de ses 3 chanteuses. Elles mettent en avant leur condition de femmes magrébines et un son oriental pour mettre en pièces les violences et les discriminations de toute espèce. Leur musique mixe le son du roots reggae avec une identité orientale aussi visuelle que musicale et des textes en français, arabe et anglais toujours percutants. C’est ce qui constitue un écrin de choix quand on entend promouvoir l’émancipation des consciences, la coexistence pacifique et un lien spirituel fort avec le public. Les voix des filles donnent le frisson et émeuvent toujours autant le public. Avant même qu’elles ne commencent à chanter, on sent ce que le groupe revendique et en quoi il détonne dans un monde qui banalise violence, xénophobie, repli sur soi et sexisme. Pour moi c’est le groupe qui, à Marseille, dégage le plus d’émotions sur scène et qui porte l’identité la plus forte. Le groupe porte son caractère profondément subversif dans sa musique mais aussi dans les symboles qu’il entraine parfois involontairement dans son sillage. En effet, ce sont d’une part des femmes magrébines qui chantent. Le groupe est d’autre part issu de classes sociales populaires des quartiers pauvres du nord la ville, et enfin, il aborde des thèmes de manière directe avec le courage et la vigueur dont on sait dotées les femmes d’origine algérienne, si revêches à la soumission et à l’obéissance contrainte. Aujourd’hui et après bien des fluctuations, le groupe propose la formation idéale, avec le retour de Sabrina au chant, Sebastien et Claude d’Handcart à la guitare, Cyril le fondateur à la basse, Franck plein d’énergie à la batterie, la jeunesse de Jérôme au clavier, et le fidèle guitariste Nadim. Comme la précision vient désormais soutenir l’émotion, les nouvelles compositions du groupe marquent le public comme jamais. Retrouver le Gang Jah Mind sur scène à ce niveau fait vraiment plaisir.

On peut aussi rattacher Toko Blaze à cet état d’esprit alternatif et engagé. Ancien rappeur des Black Lions sur Vitrolles et travailleur social au quotidien, Toko poursuit son chemin artistique vers une musique de plus en plus chantée et mélodique. Cherchant sans relâche à promouvoir une nouvelle voie de progrès pour notre monde, il s’attelle à une réécriture universaliste et plus cosmopolite des valeurs républicaines auxquelles il semble viscéralement attaché. Toko Blaze chante le vivre ensemble, l’acceptation de la différence et la tolérance depuis 3 albums. Sa propagande pro-diversité se rappelle à nous sur « Easy Steady », un troisième album au titre qui décrit si bien sa personnalité artistique et sa manière de mener sa barque musicale.

On ne pourrait boucler ce panorama sans évoquer l’encyclopédie vivante du reggae sur Marseille, Remy Anglès alias Selecta X-Ray. Tout le monde l’a connu quand il tenait Disc’Over, ancienne mine d’or du vinyle reggae sur Marseille, un lieu où tous les musiciens de reggae se croisaient et se retrouvaient. Aujourd’hui, c’est avec l’association Mars C Yeah, qu’il a réinvesti son immense culture musicale. Mars C Yeah fait vivre cette passion pour le disque vinyle en organisant des foires aux disques, en fédérant divers DJ ou en proposant aux détenteurs de vinyles d’estimer la rareté et la valeur de ces vestiges historiques toujours bien vivants. Il anime aussi tous les mardis à 21 heures l’émission qui fait vivre le reggae sur Radio Grenouille avec une playlist toujours convaincante allant de la pépite jamaïquaine des 70’s aux titres marquants de l’actualité reggae. Sans oublier de nombreuses sessions acoustiques, qui tendent régulièrement le micro aux artistes marseillais.

Si survoler une si foisonnante création n’est pas satisfaisant, la rencontre individuelle de ces musiciens intègres qui luttent au jour le jour le fût bien plus. Je n’ai pas eu affaire à des attachés de presse, à des managers ou à des employés de bureau reconvertis dans la communication. Ces musiciens qui se gèrent eux-mêmes m’ont ouvert leur porte, que ce soit chez eux autour d’un café où dans leur local en pleine répétition. Je tiens à les remercier avec beaucoup d’émotion de leur ouverture d’esprit et d’un sens du partage qui honore la musique reggae et tous ceux qui la font vivre. Ils ont su créer un univers musical, un réseau social à ciel ouvert et un vrai savoir-faire professionnel et artistique que certains font rayonner sur les scènes du monde. Cependant, cet underground foisonnant dont on admire l’autonomie peine à survivre au quotidien, et ce, bien au-delà de la précarité que peuvent vivre d’autres musiciens du même niveau professionnel. Cette difficulté à vivre de la musique reggae est une médaille à 2 faces : d’un côté c’est la reconnaissance de la pureté et de la subversivité de la critique sociale implacable qu’ils diffusent, mais de l’autre c’est le signe d’une communauté qui a du mal à s’organiser. Cet univers artistique et professionnel a réellement besoin de nous pour survivre. Alors que d’autres vivent de subventions, donc sous contrôle, alterner tournées mondiales et fins de mois difficiles n’a rien de glorieux, ni de libérateur. Je pense aux gens qui, comme moi, profitent de beaucoup de choses gratuitement et que le dénuement de ces musiciens doit faire réfléchir. Cette grande famille doit apprendre à nous mobiliser à ses côtés en créant des solidarités qui devraient aller bien au-delà de la consommation culturelle. Bâtisseurs méritants d’une spiritualité contemporaine qui a su transcender les valeurs phocéennes, ces enfants doivent former une vraie famille, qui doit revendiquer haut et fort ses valeurs communes et faire fructifier ce savoir-faire laborieusement élaboré. Peut-être que ces quelques lignes seront une des milliers de pierres de cet édifice ?

Emmanuel Truchet

 

 

 

 

 

 

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici