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À l’occasion de la sortie de son nouvel album “Livingston“, le rappeur-slameur Iraka revient sur ses travaux, ses envies et ses influences. À 37 ans, il nous livre des textes toujours aussi puissants, terriblement sombres mais tellement poétiques.
Le nom de votre album “Livingston” fait-il référence à quelque chose en particulier ?
Le nom est inspiré d’un livre de Richard Bach “Jonathan Livingston le goéland“. Certains thèmes dans mes chansons sont directement inspirés de ce livre. J’avais déjà fait ce parallèle dans un de mes EP précédents. C’est l’histoire d’un goéland pas comme les autres, Jonathan Livingston, qui se détache rapidement de son clan, en quête de liberté, pour peaufiner ses techniques de vol. Il traverse un tas d’aventures en tout genre, il est même chassé de son clan. Il rencontre ensuite d’autres goélands, avec qui il partagera ses péripéties.
D’où vous vient cette passion pour l’écriture ?
J’ai toujours aimé écrire, mais c’est avec le temps que j’ai évolué dans ce domaine. J’essaye de faire en sorte que les mots viennent naturellement, même si c’est noir. Le plus dur c’est de trouver les bons mots, et faire en sorte qu’ils aient un écho, qu’ils résonnent. À force de pratique, les mots justes viennent au bon moment. J’aime les mots marquants, qui ressortent dans un son. Déjà pour me marquer moi, mais aussi mes auditeurs. Une phrase, une punchline en entraîne une autre, et ainsi de suite.
Il a été écrit où cet album ? Et comment ?
Je l’ai écrit sur une longue période. Il y a de tout, des vieux textes de plus de 10 ans, d’autres plus récents. Un tas de fragments que j’ai trié, récupéré, jeté… Il n’a pas été écrit à un endroit en particulier. J’aime remettre le nez dans les vieux textes. Trois phrases qui traînent peuvent devenir une chanson. Et j’en ai quelques-unes en stock, déjà pour un prochain album. Celui-ci est prêt depuis longtemps. On a dû faire quelques petits ajustements sur les choix des morceaux. Mais le cœur est là depuis un an et demi. On s’est penché ces derniers temps sur le travail d’images, de clips, trouver un relai média et des distributeurs. Je ne voulais pas précipiter sa sortie.
Peut-on qualifier votre musique de slam ? L’influence d’une époque en particulier ?
Musicalement, j’ai ce petit côté à l’ancienne. Avec la période 95 à 2002, l’essor de la musique était incroyable. Je l’ai traversé étant ado, c’est ça qui m’a donné envie d’écrire. Marqué au fer par cette époque, je voulais faire preuve d’un peu plus d’ouverture et écouter d’autres genres, du rock au chant. J’ai toujours voulu travailler avec des musiciens, amener cette dimension avec des instrumentistes. On entend beaucoup de cordes sur l’album, il est plus mélodieux, plus organique que mes anciens travaux. Pour moi c’était le plus juste, combiner le slam, le rap, la poésie et cette fibre musicale.
Quels beatmakers vous accompagnent sur cet album ?
J’ai eu des compositions de plusieurs beatmakers : Star Propaganda, Rrobin, Fred Nevche. J’ai aussi composé seul parfois, mais on utilise beaucoup de samples généralement. Ce qui pose quelques problèmes de droit pour certaines instrumentales. Il y a même un morceau pour lequel il y a un refus. C’est vraiment trop de démarches. À l’avenir, j’en utiliserai beaucoup moins. Miosine a aussi pas mal bosser sur l’album, avec ses réarrangements. C’est lui qui m’accompagne sur scène. Son travail a vraiment homogénéisé l’album, il y a plus de cohérence dans mes sons. Il a participé à la couleur musicale, c’est un peu un co-compositeur car il a amené beaucoup de choses.
Un feat. avec Grems plein de hargne et très explosif. Comment ça s’est fait ?
On se connait depuis très longtemps, on a commencé à faire de la musique ensemble à Bordeaux dans les années 2000. On avait même monté un groupe ensemble : Olympe Mountain. Au moment de l’album, on s’est revu pour faire un morceau ensemble chez lui à Biarritz. Ça faisait longtemps et ça s’est fait très naturellement. On a le même plaisir d’écriture et d’enregistrement. C’est une belle collaboration, j’en suis content. C’était même le premier clip publié avant la sortie de l’album.
Comment se construire un tel univers que le vôtre ? Très sombre, mélancolique mais aussi poétique…
C’est l’écriture qui me dirige, ça me dépasse quand j’écris. Elle m’amène à un endroit, puis un autre. Ce n’est qu’une partie de ce que je peux faire. C’est un univers qui me correspond, mais je ne sais pas où ça m’amènera. Ça prouve quand même dans le temps qu’il y a une constante dans mon écriture.
Quel regard portez-vous sur le rap d’aujourd’hui ?
Il y a beaucoup d’offre c’est sûr, mais j’aime bien ce qu’il se fait. Je suis l’actualité des nouveaux rappeurs de très près, voir ceux qu’ils font. Roméo Elvis, Isha, Ichon… J’aime beaucoup ce milieu-là. Dans la modernité, c’est des gens à suivre. Ils ont un vrai univers, une vraie idée directrice.
Vous êtes plus “le rap c’était mieux avant“ ou vous essayez toujours de vous renouveler ?
J’essaye d’évoluer dans ce sens-là. Je n’envisage rien en particulier, mais toujours d’aller vers la modernité. J’essaye de travailler avec de nouveaux beatmakers, dans une veine moderne. Ce sont des mecs qui ont vécu ces années dominantes de la trap. Et ça change forcément ma manière de poser, de faire un morceau. Cet album m’a montré là où j’étais le plus efficace, dans ce système de travail-studio. Assez simple et intuitif. Mais l’avenir me réserve encore pas mal de surprises.
Tom Viala
Le 11/10/18 au Théâtre National La Criée – Marseille (13).