A l’occasion de la parution de son premier album solo, nommé « Caméléon », nous avons rencontré l’accordéoniste azuréen Frédéric Viale.
Avant d’évoquer votre prochain album, pouvez-vous nous dire comment vous avez rencontré la musique? Y a-t-il des musiciens dans votre famille ?
La seule musicienne de la famille, c’est ma sœur, mon aînée de cinq ans, elle pratiquait l’accordéon. Nous sommes une famille émigrée piémontaise et dans les années 60 jusqu’aux années 90, il y avait beaucoup de familles d’origine italienne dans le bassin cannois-grassois et beaucoup de ces enfants-là ont appris l’accordéon. C’est un peu par mimétisme, au début, que j’ai commencé à en jouer.
L’accordéon a donc été votre premier choix?
J’avais 9 ans. C’était un instrument qu’adorait mon père. Mon grand-père en jouait un peu à l’oreille, des airs traditionnels. Mon père n’avait pas eu les moyens dans les années 40-50 d’apprendre, de pratiquer, c’est sûrement un peu pour cela qu’il nous a incités à jouer de cet instrument. En fait, ce n’était pas vraiment réfléchi, j’ai voulu faire comme ma sœur.
L’accordéon avait, et a peut-être toujours, la réputation d’être un instrument ringard. Cela ne vous a pas gêné ou vous ne l’avez pas ressenti comme ça? ?
C’est sûr, ce n’était pas un instrument fashion à l’époque. Ça l’est un peu plus aujourd’hui. Tu peux te vanter de faire de la batterie ou de la guitare, moins de l’accordéon. Il avait déjà un côté désuet, mais je n’ai pas eu ce rapport là avec l’instrument sauf quand on faisait les bals. La clientèle des bals, c’était les vieux. Cela me fait bien marrer quand on voit les gens dans les concerts classiques ou jazz, ils sont plus près des 60-80 que des 30 ans.
Votre premier album « Paradise » est sorti il y a presque 20 ans, qu’est ce qui a changé dans votre perception de la musique ?
J’ai toujours mené ma carrière artistique comme un artisan. C’est-à-dire travailler, progresser et évoluer à mon rythme, avec mes envies du moment, avec mes humeurs de vie, les rencontres avec les autres musiciens. Et surtout prendre du plaisir avec la musique que j’ai envie de créer. Je n’ai pas de plan de carrière préconçu. J’écoute beaucoup de musique depuis toujours mais finalement ce que j’écoute le moins c’est l’accordéon (rires).
Du coup, votre façon de jouer a t’elle aussi évolué?
Oui, bien sûr. Je n’écoute pas mes anciens albums. L’important c’est de faire, de progresser, d’évoluer. Ma manière d’écrire a aussi évolué. Entre « Paradise » (2004) et « L’envol » (2020), je me suis éloigné de certains clichés (même si je n’aime trop le mot). Quand j’ai commencé, j’étais influencé par Richard Galliano et Marcel Azzola, mes premiers repères dans l’accordéon. Puis j’ai très vite voulu couper avec ça pour me retrouver. Je n’ai pas relevé leurs chorus pour ne pas rentrer dans le mimétisme. Et du coup j’ai, je pense, une manière particulière de jouer.
Pour votre 8e album, vous sautez le pas et osez le solo. « Caméléon »
Qu’est ce qui a motivé cette décision, on ne peut pas dire album de la maturité car cela fait un moment qu’avec vos différents projets vous avez atteint une certaine maîtrise ?
Si j’attendais de penser que je suis à la hauteur des choses, je n’aurais sûrement rien fait. Il y a toujours de l’appréhension quand j’entame un nouveau projet, même si avec l’âge cela diminue un peu. J’arrive à mettre de côté mes doutes, mes peurs. En 2016 quand j’ai eu mon accordéon signature de chez Pigini, j’ai pensé que cela serait bien de faire un album solo. Mais c’était au moment du COVID, quand j’ai commencé à faire des vidéos live sur internet, des concerts en ligne depuis chez moi, j’ai commencé à imaginer un programme en solo. De fil en aiguille, le temps de relancer la machine à la sortie de la pandémie, j’ai d’abord fait l’album hommage à Toots Thielemans et, il y a deux ans, je me suis dit, ça y est, je le fais. C’est un programme que j’ai longuement pensé, travaillé. Cela peut-être vite « chiant » un solo d’accordéon, un peu casse-gueule. Trop d’accordéon tue l’accordéon. Il y a des questions de volume sonore qu’il faut gérer avec des registres, des tessitures. Je ne voulais surtout pas faire un CD d’accordéon pour faire un CD d’accordéon. J’ai mis tout ce que j’aime dans la musique: il y a des pièces un peu classiques, des choses plus épurées, il y a de la musique traditionnelle, du jazz, du brésilien, du tango, du swing, des compositeurs que j’adore comme Tom Harrell. C’est un peu une carte d’identité de ce que j’aime dans le répertoire. Essayer d’épurer et de m’amuser. Je n’ai fait qu’une à trois prises pour chaque morceau. Et j’ai gardé celle choisie, sans y toucher, pour que cela reste spontané.
On peut vraiment dire que c’est un album de musique populaire dans le sens le plus noble du terme.
Lautner, Audiard, Belmondo c’est du cinéma populaire. Je n’ai pas de problème avec le mot. Le jazz c’est aussi, à la base, de la musique populaire. Je suis d’accord avec le mot « populaire » car ma musique, tout ce que je joue, vient de la danse. Je viens du bal, je joue de l’accordéon, un instrument populaire qui a touché les gens dans le monde entier. Par exemple, « La Matriarca », c’est une valse colombienne que j’ai écrite là-bas à Medellin. Pendant 4 à 5 jours, j’ai écouté de l’accordéon, depuis le petit déjeuner, dans la rue, dans le taxi, partout. L’accordéon diatonique, il y en a partout, toute la journée. Il n’y a pas de connotation négative chez eux. Donc oui, populaire ça me va!
Il semble aussi que vous avez eu le parti pris de faire majoritairement des musiques joyeuses ?
Je suis vraiment content que vous disiez ça car depuis quelques années ma musique est joyeuse et encore plus peut-être pour « Caméléon ». Je ne suis pas un fêtard, plutôt un clown mélancolique. Et j’ai besoin de jouer des choses joyeuses. Et même dans les musiques plus douces, il y a de la joie, de la générosité, de l’espoir, du jeu (au sens de s’amuser)!
Comme vous êtes seul avec votre accordéon, on va aussi parler de l’instrument lui-même car c’est un accordéon qui a été spécialement conçu pour vous, et avec vous, par le grand facteur italien Pigini. J’imagines que cela doit être à la fois une fierté et un grand plaisir de travailler avec cet objet ?
C’est vraiment cool et super! Pigini est la maison la plus sérieuse dans la fabrication d’accordéon. (Ils ont deux marques Pigini et Excelsior. J’étais fou amoureux d’Excelsior, une vieille marque jouée par les anciens). Ils m’ont contacté, j’ai essayé une quinzaine d’instruments et j’ai choisi ce que je voulais et ce que je ne voulais pas. Ils ont été très attentifs, pourtant ce sont des fabricants depuis trois générations, tu ne leur apprends pas ce qui est bien et pas bien! Il y a eu beaucoup d’humilité des deux côtés. Et ensuite, j’ai enregistré dans le studio de Stefano Amerio. Il travaille beaucoup pour ECM et il a sublimé le son de cet accordéon. Un son très doux, très bien équilibré. Alors, pour répondre à votre question, oui je suis très content de l’aventure avec cet instrument.
Dans cet album, vous jouez de l’accordéon, on vient de le voir, mais aussi du Melowtone. Vous pouvez nous expliquer ce qu’est cet instrument assez loin du mélodica de la prof de musique de notre enfance !
Oui, en effet, c’est très différent. J’ai un coup de cœur pour cet instrument et pour celui qui l’a inventé. Il s’appelle Philippe Tchumak, dit Anatole Tee. C’est un artisan-inventeur mais il est aussi accordéoniste et accordeur de piano, entre autres. Et comme il est fou de Toots Thielemans et de Richard Galliano, il a voulu faire un instrument hybride entre l’accordéon et l’harmonica. Bien sûr, il existait déjà des mélodicas ou des accordinas mais Anatole a vraiment travaillé sur la conception, sur le son. Et tous les accordéonistes qui ont soufflé dedans, ne veulent plus le lâcher.
Est ce que cela produit un plaisir particulier de jouer sur un instrument entièrement nouveau ?
La difficulté c’est qu’il faut oublier le clavier accordéon, oublier ses tics pour s’adapter à un harmonica même si ce n’en est pas un! On ne phrase pas de la même manière sur le Melowtone. Il faut oublier la facilité que l’on peut avoir avec un clavier d’accordéon et essayer de jouer sur des chromatismes, des tenues de notes, sur des effets. C’est très intéressant. Je joue trois morceaux avevc le Melowtone sur ce dernier album. Un extrait de Brahms, « Salut d’amour » et « Anatole » que j’ai dédié au fabricant. Cela apporte, j’espère, une petite respiration dans l’album. Quand j’ai fait le CD « Toots Simplement », c’était le premier entièrement joué avec le Melowtone, j’étais enthousiaste mais je ne maîtrisais pas encore totalement l’instrument. Anatole m’a dit, tu es fou mais j’ai voulu tenter l’expérience. Et cela m’a donné de l’occupation pendant le COVID (rires)!
Maintenant que « Caméléon » est dans les bacs, j’imagine que vous avez déjà quelques dates prévues?
Oui, je dois avoir une dizaine de dates. Une date en Italie, une en Belgique, trois en Espagne. Et en France: Sète, Montpellier, Nîmes et Mouans Sartoux.
Une dernière remarque avant de conclure. Dans votre album, comme dans les précédents, il n’y a pas du tout d’adaptation de thèmes pop ou rock.
Bonne remarque. La raison est qu’à la base ce n’est pas du tout ma culture musicale. J’ai découvert le rock grâce à mes enfants. C’est mon fils qui m’a fait écouter Jimi Hendrix, par exemple. Je connaissais, bien sûr, mais je ne l’écoutais pas. Je ne suis pas attiré par le rock mais j’ai des idées de trois, quatre morceaux plus pop que j’aimerais reprendre. Qui sait, dans un prochain album…
Pour conclure qui est le Caméléon, vous, votre accordéon ou votre musique?
On est un peu tous comme cela. On est récepteur de tout ce qui nous entoure et après dans la vie, on s’adapte. L’idée de Caméléon, c’est de retranscrire quelque chose d’unique et d’adapter mon jeu avec mes limites, mes qualités et mon accordéon. Le caméléon est un peu moi mais aussi l’accordéon, le vecteur de ma musique. J’essaye d’avoir une ouverture sur le monde. On est influencé par la vie, par ce qui nous entoure, par les musiques que l’on écoute.
Jacques Lerognon
Le 07/11/2024 à la Médiathèque de Mouans-Sartoux (06).