Basée à Correns, la Compagnie Balthazar Montanaro, créée en 2001 par Miqueu Montanaro, est un important foyer varois de création et de transmission. À l’occasion de la sortie en février 2024 de l’album “Saraï”, nous avons pris le temps de retracer avec Balthazar les contours de celle-ci.
À la création de la compagnie par votre père, Miqueu Montanaro, en 2001, quelles sont les motivations et ambitions du projet ?
À l’origine, la motivation est la création d’un outil pour défendre les musiques que mon père faisait et fait toujours depuis les années 70, époque à laquelle ces musiques n’avaient pas forcément de structure. Ce sont des musiques que l’on dit “ouvertes”, sans frontières ni cadre prédéfini, mais simplement mues par l’envie de jouer avec des êtres humains. La musique en serait ainsi libérée de tout carcan ou de toute contrainte stylistique. Le résultat est donc différent en fonction des personnes avec qui la musique est créée, qu’il s’agisse de musiciens de free jazz, de classique, etc. La musique traditionnelle – à laquelle nous sommes souvent associés – est donc un des éléments de notre background musical, mais nous sommes aussi façonnés par toutes les autres. Différemment pour mon père et moi, nous ne sommes pas touchés par les mêmes choses, mais les rencontres humaines sont toujours déterminantes dans ces temps de création permis par la compagnie.
Ce qui est important, c’est que nous ne faisons quasiment que de la musique de création.
Vous parlez de rencontres humaines comme d’un moteur. Dans “Saraï”, vous travaillez à nouveau avec Sophie Cavez, qui a fait partie de beaucoup de vos projets, et avec Juliette Minvielle.
Tout à fait. Avec Sophie, nous avons commencé à travailler ensemble en 2007 sous la forme d’un duo avec lequel nous avons beaucoup joué. Nous avons également partagé le projet Sirus, avec deux musiciens suédois. La rencontre de deux duos, donc, qui ont formé un quartet qui n’a malheureusement pas survécu au Covid. Nous avons toujours imaginé que si nous devions créer un projet ensemble, ce serait avec quelqu’un à la voix. Il y a eu cette possibilité de travailler avec Juliette et de l’accompagner du mieux que l’on pouvait. Ça a donné cette très belle rencontre musicale. Nous étions éblouis tous deux par sa voix, et lorsque l’envie m’est venue de travailler autour des voix et de la poésie féminine occitanes, le choix de Juliette est apparu comme une évidence. Plus on se découvre, plus c’est évident, d’ailleurs ; comme avec Sophie.
Pour ce projet, vous avez fait un gros travail de recherches au CIRDOC, pouvez-vous nous en parler ?
On peut dire que le CIRDOC est un peu la BNF de l’Occitanie. Tout ce qui existe en occitan s’y trouve. Des affiches aux journaux en passant par des lettres manuscrites et des publications : tout ce qui est paru ou est retrouvé par des gens, chez eux, en occitan, se retrouve dans de fantastiques salles d’archives. On y trouve ainsi toutes les publications littéraires, poétiques, audiovisuelles, musicales… C’est immense, et c’est un trésor pour nous de pouvoir fouiller là dedans. Nous avons pu partir sur une vingtaine de poétesses et y trouver des textes qui parlent de l’amour, mais en évitant les choses mièvres, trop cucu ou romantiques au premier degré. Nous avons trouvé une trentaine de textes à l’opposé de ça.
L’amour est une question à la fois vieille comme le monde et toujours d’actualité. Elle nous traverse tous, c’est universel. J’avais envie d’apporter un début de questionnement.
À partir des textes, des poésies que vous trouvez, comment se passe la mise en musique ? Comment composez-vous ?
On part du texte : il donne naissance à un air que nous travaillons ensuite à trois. Nous avons tous apporté des débuts de mélodies, d’idées musicales, que nous avons façonnés ensemble. C’est véritablement une écriture à six mains sur les textes des poétesses.
La compagnie développe un gros travail d’actions culturelles. Voulez-vous nous en parler ?
C’est important que ce que l’on fait soit accessible au plus grand nombre, et le plus inspirant possible pour les enfants, les jeunes, tout en étant respectueux des anciens ; que leur parole et leur mémoire soit les plus recueillies possibles, dans un monde où l’on prend le moins en moins le temps d’écouter. L’une de nos plus grosses actions culturelles s’appelle “La boîte à mémoires”, et consiste à aller récolter les paroles d’anciens, principalement. Je les mets en musique et elles se retrouvent physiquement dans une boîte, un objet dans lequel on peut écouter avec un combiné de téléphone. On chope ainsi un petit bout d’anecdote, d’histoire, de patois, d’une manière de penser qui disparaît petit à petit. C’est à la fois complètement vain et très important. Ça n’a peut-être pas d’intérêt, mais pour moi, il faut le faire.
En parlant de transmission, vous travaillez beaucoup avec votre père et avez sans doute été impacté par une éducation autour de la culture occitane, de la transmission et de la musique ?
C’est un processus naturel quand on est entouré de personnes qui ont envie de partager. J’ai été moi-même attentif un maximum à ce que l’on me disait et je me sens très chanceux. À l’adolescence, on a envie de tout envoyer bouler, mais j’ai rapidement compris que je n’étais pas né n’importe où et que j’avais la chance d’avoir des stimulations artistiques à domicile. Rien ne m’a jamais été imposé mais toujours proposé, et j’ai également eu la chance de pouvoir voyager très jeune, longtemps. Nous avons des amis un peu partout dans le monde. Il faut être un peu curieux, et après ça se passe bien.
Quelles sont les ambitions de la compagnie en 2024 ?
Nous souhaitons conjuguer notre exigence musicale avec le monde de la scène ; essayer de jouer un maximum. C’est très compliqué, je trouve, d’allier les bonnes conditions avec les lieux de concert, puisque beaucoup de lieux sont impactés par des coupes budgétaires. De notre côté, nous voulons professionnaliser nos pratiques et nous structurer, créer de l’emploi, mais cela devient plus onéreux. Nous vivons une époque où il y a de l’argent, mais pas forcément efficacement distribué. Pour le moment, c’est la débrouille, car la création sera toujours là. On nous demande de faire des choses de mieux en mieux avec de moins en moins de moyens. Nous souhaitons démêler le plus de points possibles pour pouvoir jouer et transmettre aux gens ce que l’on fait, fabriquer de la curiosité.
Avez-vous des projets en cours ?
Oui, nous travaillons cette année sur la création “Missa Monica”, une messe païenne avec le trio de chanteuses Cati Delolme, Gabrielle Varbedian et Zoé Perret, l’accordéoniste Zabou Guerrin, et moi-même au violon alto. Cette messe part de Correns, notre village, mais est dédiée à la planète entière, à l’écologie, quelque part. Si l’on y remplace le mot “dieu” par “planète”, on y protège tout simplement la force de la vie.
Lucie Ponthieux Bertram
Le 17/05/2024, dans le cadre du festival Trad’Ardèche, à l’Espace Ouvèze – Privas (07), le 25/06/2024 au Musée Agathois – Agde (34), le 27/06/2024 à la Salle des Fêtes de Saint-Firmin (05), le 28/06/2024 à la Salle des Fêtes de Saint-Disdier en Dévoluy (05), le 29/06/2024 au Théâtre de Verdure – Tallard (05) et le 30/06/2024 à Salle polyvalente de Saint-Étienne-le-Laus (05).
Photo : Marion Gambin.