Poursuivant son aventure musicale rock avec passion, The Liminanas multiplie les collaborations en explorant de nouveaux horizons sonores. Entre rencontres artistiques et expérimentations, sa méthode de travail évolue sans perdre l’authenticité qui fait son identité depuis le début.
Dans vos albums vous avez l’habitude de développer une histoire et, régulièrement, des invités viennent y participer. Est-ce que vous pouvez nous expliquer le fil conducteur de celui-là ?
C’était il y a un peu plus d’un an, nous est parti d’un morceau du Velvet Underground qui s’appelle « New Age ». Il raconte l’histoire d’une star déchue, certainement du cinéma Hollywoodien des années 50, un destin tragique comme ça. C’était notre point de départ. Nous commençons par enregistrer la musique à la maison, comme nous le faisons à chaque fois. Sur cet album nous n’avions pas vraiment l’envie d’écrire beaucoup de textes ou d’intervenir beaucoup sur l’enregistrement des voix. Nous avions vraiment envie de convoquer des gens que nous aimions bien et de leur raconter à chacun le leitmotiv du disque. Puis de les laisser interpréter et écrire le truc comme ils en avaient envie. Nous avons d’abord fait la musique, et ensuite quand nous écoutons les maquettes, nous réfléchissons à qui aurait pu proposer les morceaux et le disque s’est monté comme ça. Il y en a certains, comme Pascal Comelade qui habite à côté de la maison, ou Alban Barate qui bosse avec nous régulièrement, ou même Keith Streng des Fleshtones, qui était à la maison au moment où nous faisions les maquettes, et qui sont intervenus directement. Et puis il y en a d’autres comme Jon Spencer ou Bertrand Belin, avec lesquels nous avons travaillé à distance. C’est un peu notre méthode depuis le début.
Et sur « Faded » peut-être même encore plus alors, puisque sur 13 morceaux il y a 16 featuring ! Est-ce que c’est plus facile qu’avant de provoquer ces rencontres et de solliciter ces invités ?
Bobby Gillespie (premier batteur des Jesus And Mary Chain puis chanteur de Primal Scream), nous l’avons croisé quand nous avons joué à Rough Trade. Et puis nous avions des signaux comme ça parce que nous avions lu qu’il disait du bien de nous dans Mojo ou Uncut, par exemple. Il filait des petits coups de main comme ça en faisant des déclarations dans la presse anglaise de temps en temps. Pour Jon Spencer, c’est, comme pour Bobby, des gens dont nous étions fans depuis très longtemps mais qu’effectivement nous n’avions jamais croisé. Pour te dire, à l’époque où nous organisions des concerts de garage au début des années 2000, Jon Spencer c’était déjà trop gros pour nous.Par contre c’est quelqu’un que nous suit depuis le tout début. Et là nous avons été mis en relation par l’intermédiaire de Thibault, qui travaille pour l’antenne française de Thirdman, le label de Jack White, et qui était venu nous voir après un concert en nous disant que ça pourrait être chouette que nous fasse un truc ensemble. A chaque fois nous avons fait la même chose, nous avons discuté avec eux, du disque et nous leur avons envoyé la musique. Alors est-ce que ça a été facilité par le fait que le groupe commence à avoir un peu de bouteille, je ne crois pas vraiment. Je pense que si nous avions croisé Thibault au début, qu’il avait eu envie de nous présenter ça, ça aurait pu matcher aussi. Ni eux, ni nous n’avons bossé en pensant à un intérêt quelconque. C’était vraiment pour faire de la musique ensemble.
C’est vrai que ce qui fait la force de ces collaborations c’est d’arriver à faire quelque chose d’unique à partir de l’univers des musiciens avec qui vous travaillez, qui est complètement respecté, et en y ajoutant votre patte. Je pense par exemple aux sons de cloche sur « Space Baby », qui rappellent les coups de marteau de Bob Bert avec Jon Spencer justement. Est-ce que les musiciens ne perçoivent pas ça également ?
Oui c’est peut-être un peu de tout ça. Pour revenir à ta question précédente, c’est une forme de luxe que nous pouvons avoir là aujourd’hui, cette espèce de de chance que nous avons de travailler avec nos héros. Au fur et à mesure que nous enregistrons des disques, de pouvoir côtoyer, même si ce n’est que par studio interposé, c’est intéressant de pouvoir confronter ce que nous bricolons à la maison avec des gens que nous admirons beaucoup. Après la raison pour laquelle ils acceptent je n’en sais rien du tout. En tout cas, elle n’est pas pécuniaire, c’est sûr, parce que, pour parler de tambouille, les gens les plus célèbres avec qui nous avons travaillé depuis le début sont toujours ceux qui ne demandent pas d’argent pour pouvoir bosser. Et ils le font toujours comme ça ! Ce qui est fou quand tu y penses.
Ce qui me fait penser que Iggy Pop, qui a rédigé des notes pour le Best Of, était aussi pressenti pour faire quelque chose avec vous. Est-ce que c’est toujours d’actualité ?
Nous adorerions le faire. Ça n’a pas pu à cause du Covid, qui a coupé le truc en deux. Parce que nous sommes allés à Miami avec Marie, et nous avons passé une après-midi avec lui. Il était OK pour 4 ou 5 titres. C’était il y a déjà longtemps mais là, justement, ces jours-ci nous en parlons tout le temps tous les deux de relancer cette histoire parce que nous en avons beaucoup envie. En fait le seul truc que nous avons pour l’instant c’est une maquette pour laquelle il a enregistré une voix dans son iPhone. Et ça marche ! Le truc est inutilisable en l’état, mais déjà c’est un rêve que nous soyons arrivé à faire ça avec lui. J’espère vraiment que nous pourrons aller plus loin.
Pour revenir aux collaborations sur cet album, est-ce qu’il y aurait une anecdote que vous pourriez nous raconter ?
Le truc le plus étonnant a été de finaliser le boulot avec Jon Spencer. nous lui avons envoyé deux titres, en lui disant de garder celui qu’il préférait. En fait, il a bossé sur les deux. À partir du moment où nous avons commencé les échanges pour travailler sur la finalisation des morceaux, il nous a envoyé des mails et nous lui en a renvoyé jusqu’à la veille d’envoyer le master à la maison de disque. Donc il est allé vraiment au bout du bout de ce que nous pouvions faire sur des sessions de boulot comme ça. Et à chaque fois, les mails qu’il nous envoyait faisaient toujours avancer le schmilblick. C’était toujours le contraire de caprices, des idées de production ou parfois des propositions plus techniques, comme rallonger la durée d’un écho. Tu parlais des plaques de métal tout à l’heure. Ces solos, c’est d’une idée que nous avons eu avec lui et que nous avons fait bien longtemps après que la musique ait été terminée. Donc c’est un mec qui s’est vraiment beaucoup impliqué dans la finalisation des morceaux, ce qui nous a encore plus touché. Est arrivé un moment où nous avons cru qu’il n’allait jamais s’arrêter, ça allait jusqu’à la veille ! Je te promets, nous avons envoyé les mix au mastering au dernier moment. « Attendez, nous continuons à bosser avec Jon Spencer ! ».
Et pour ce qui concerne les voix féminines, il y a aussi l’anglaise Penny, plutôt éloignée de votre univers a priori, non ?
Absolument, elle fait de la musique qui n’a strictement rien à voir avec nous. Nous l’avons rencontrée à Paris au cours d’un week-end, où nous avons travaillé avec plein de gens autour de Because. C’était comme des ateliers où nous mélangeons les genres et les collaborations. Il y avait des Anglais, des Américains, des mecs d’un peu partout. Elle était là, nous avons écouté une maquette et nous avons trouvé sa voix sublime. Elle a une personnalité très forte, on dirait un personnage des années 50, mais qui ferait une musique d’aujourd’hui. Elle a des robes avec des fraises, ce genre-là. Elle est assez étonnante. Elle pourrait avoir été actrice chez John Waters, époque « Cry Baby ». Nous avions l’instrumental du morceau, qui s’appelait « Doo-Wop », une grille de chanson de Doo-Wop très classique. Nous lui avons expliqué de quoi le disque allait parler puis elle a fait le morceau dans son coin. Et nous avons adoré son boulot, sa voix, le texte qu’elle a écrit, et puis le titre aussi, qui a donné le titre de l’album.
Et puis il y a la voix de Marie aussi, évidemment, sur une reprise du classique « Louie Louie », tu peux nous en parler ?
Nous l’avons sortie parce que c’est notre chanson préférée depuis toujours ! Puis nous en avons eu l’occasion, parce qu’une éditrice américaine, qui bosse avec Michel chez Because, nous a appelé l’été dernier en nous demandant si ça nous intéressait de faire une adaptation française. Tu sais, un peu comme ça se faisait dans les années 60 en France, où les mecs digéraient les catalogues des hits de l’époque. Puis ils ressortaient le hit Stax du moment Américain en Français ! Sur le même principe, nous avons reçu un listing vraiment incroyable, avec plein de trucs que nous adorons, avec Les Troggs, les Animals, les Kinks, Otis Redding. Il y avait de tout, et au milieu il y avait « Louie Louie ». Et comme elle avait l’accord de l’éditeur, nous pouvons faire une adaptation en Français. Comme c’était inespéré de pouvoir faire un truc comme ça, nous nous sommes dit que nous ne risquions rien, parce que si nous n’avions pas aimé le résultat nous l’aurait mis à la poubelle. Et nous avons fait une version avec un texte que nous avons écrit.
Çe qui fait la transition avec le dernier morceau et cette reprise de Françoise Hardy, inattendue. Vous pouvez m’en dire plus ?
C’est notre chanson préférée de François Hardy. C’est celle qui m’a toujours le plus émue. Pendant l’année d’enregistrement de « Faded » nous avons travaillé sur l’album de Brigitte Fontaine et sur trois BO de films. Et pour l’un d’eux, il y avait comme projet d’avoir cette reprise de Françoise Hardy, mais ça n’a pas été retenu. Et nous avions cette maquette que nous aimions beaucoup au départ. Cécilia, qui la chante, est la copine de David Menke, mon pote avec qui je fais les musiques de film, qui a enregistré les voix. Toutefois, au départ c’est une voix qu’elle avait faite à l’iPhone comme une espèce de voix témoin et nous avions aimé la fragilité de la prise. Nous avons aussi aimé le texte et ce contraste entre sa dureté et la musique, qui pourrait presque être une berceuse. Et en plus les accords sont ceux d’un titre du Velvet, pratiquement à la note près. Ça collait à l’idée globale du disque, c’est comme ça que cette chanson a fini là.
Finalement ce « Où va la chance » est un peu à votre image ?
Oui, depuis le début il y a eu beaucoup de chance. Il s’est passé des trucs depuis 15 ans. En fait ça ne s’est jamais vraiment arrêté, cette espèce de truc autour du voyage, de croiser les gens, que les mecs acceptent de bosser avec nous, que tout le monde puisse aussi bosser sur les projets d’autres gens. D’avoir croisé la route des Wampas, par exemple, c’était vraiment génial. Tous ces moments, c’est la raison pour laquelle nous continuons à faire de la musique. Ça peut aussi être un truc assez rébarbatif de se dire que nous faisons un disque tous les 2 ans. Puis une tournée de 4 mois et puis nous nous sommes arrêtés et nous avons refait un disque. Ce qui est intéressant avec cette façon de faire, à mon avis, c’est que ça renouvelle à chaque fois l’histoire et ce qui va se passer. Ça reste un truc excitant.
Je voudrais terminer par quelques mots sur la tournée qui s’annonce. Comment vous allez pouvoir jouer cet album sur scène ?
C’est toujours pareil. Nous n’avons jamais joué les albums dans leur intégralité. Certaines fois nous en avons joué 1/3, parfois presque rien. Cette tournée-là, pour l’instant, nous jouons la moitié du disque. C’est toujours compliqué d’en faire des versions live, parce que déjà nous ne voulons pas jouer les morceaux comme sur l’album. Ça ne nous intéresse pas de refaire l’album. Donc en gros nous avons procédé de la même manière que sur les précédents. Nous finissons le disque Marie et moi dans notre coin, après nous faisons écouter au groupe la version de l’album. Nous dispatchons les parties de chacun, nous répétons et nous regardons les versions se transformer et s’adapter à la personnalité des musiciens qui sont sur la tournée. Et s’ils sont là c’est que nous avons envie d’avoir le son que ces mecs proposent.
Et qu’en est-il alors du line-up, est-ce que c’est le même que sur les tournées précédentes ?
Non, il a changé. Nous avons la même équipe technique que depuis très longtemps. Et il y a une nouvelle bassiste, Clémence. Nous avons aussi embauché Keith des Fleshtones à la guitare, et ça c’est un rêve d’enfant parce que nous sommes fan de lui depuis que nous sommes vraiment tous mômes. Nous avons aussi embauché un mec qui s’appelle Tom, et qui était le chanteur du groupe anglais Kill The Young. Il y aura des invités, mais nous ne savons pas qui et quand encore, ce sont des histoires de planning assez infernales ! En tout cas, à chaque fois qu’ils sont disponibles, nous invitons les gens sur la date où ils pourront être présents.
Laurent Bruguerolle
Le 01/04/2025 au Rockstore – Montpellier (34), le 23/05/2025 à L’Espace Julien – Marseille (13) et le 12/11/2025 au 6Mic – Aix-en-Provence (13).
Photo : Mathieu Zazzo.