Quand on pense à The Limiñanas, on songe au scénario d’un road-movie ou d’un roman de voyage, tant leur univers est imprégné d’une multitude d’influences musicales et de références littéraires. il s’en dégage quelque chose de transcendant, une sorte d’alchimie dont le charme irrésistible provoque une fièvre instantanée. Rencontre avec Lionel autour de la sortie d’un prochain disque estampillé Limiñanas/Garnier dont les deux premiers singles annoncent un album de haute volée.
Pouvez-vous nous décrire brièvement la genèse du groupe ?
En fait, avec Marie, on jouait dans des groupes, à un moment donné on avait plus de formation en activité, alors on a commencé à enregistrer ensemble à la maison, sans la moindre ambition juste pour le plaisir d’enregistrer. On a publié ces titres sur myspace et on a eu la chance d’être signés sur Trouble in mind et sur Hozac, deux labels basés à Chicago avec deux 45 tours sortis aux Etats-Unis. Ça s’est enchaîné et puis quand on nous a sollicité pour faire du live, on a monté un groupe live à côté de notre activité de production à la maison et c’est encore le cas aujourd’hui.
Comment vous êtes-vous initié à la musique ? Vos parents étaient mélomanes ?
Mon père était musicien, mais c’est surtout mes frères et sœurs qui m’ont initié aux disques, surtout à la vague Mod, du revival des années 80 à la soul, toute une série d’artistes, les Kinks, Coltrane ou le Mc5. A l’époque on s’ennuyait dans le village, on avait du temps pour fouiller dans les livres, les disques, je me suis forgé mes propres goûts en puisant auprès des disquaires, on a toujours eu de très bons magasins à Perpignan, on y allait avec mes potes tous les mercredis et samedis embêter les disquaires pour qu’ils nous fassent écouter des trucs.
Justement en parlant de Perpignan, comment pensez-vous que venir de Cabestany ( village proche de la ville) a affecté votre travail ?
L’intérêt est que dans les années 90, pendant les années lycée, on a monté des groupes, il y avait très peu de structures pour jouer et répéter en province, on a appris à se démerder et cela nous a dégourdi pour la suite. Quand il a fallu produire des choses ou jouer sur scène, il n’y avait rien qui nous effrayaient, ou de choses qui nous paraissaient impossibles ou insurmontables, on avait déjà connus toutes les galères classiques que connaissent la plupart des groupes, comme le patron de club qui ne voulait pas te rémunérer. Alors on a enregistré avec les moyens du bord. Avec le groupe Les Bellas, notre chanteur s’intéressait déjà au home-recording, avec lui on a commencé à comprendre qu’on pouvait enregistrer tout seul, d’une manière différente. J’ai continué à travailler comme ça avec Pascal Comelade qui m’a appris pleins de choses. La région nous a fait rencontrer pleins de gens, on a choppé le truc du do it yourself.
Vous parliez de bricolage dans votre processus de composition, comme quelque chose d’artisanal est-ce toujours le cas ?
Absolument, ce qui change vraiment c’est l’apport des gens avec qui on bosse, le disque avec Laurent Garnier, ça s’est fait à coup d’échanges. On a enregistré l’été dernier et tout s’est fait par transferts, suite au Covid, on a procédé de la sorte, le matin j’envoyais un plan à Laurent, on échangeait comme ça. Si la production paraît plus aboutie et plus puissante, c’est souvent du fait des gens par lesquels on passe pour mixer, sinon pour la prise de son, j’imagine qu’on a progressé avec le temps, on bosse toujours de la même manière, j’allume la machine et j’enregistre tous les jours de manière spontanée.
Vous avez réussi à vous voir et à enregistrer dans le studio avec Laurent Garnier ?
Avec Marie on a enregistré toutes nos parties à la maison, et Laurent a fait les siennes de son côté sans jamais se voir. Toute la communication s’est faite par téléphone et par mails, on s’est retrouvés au festival du disque à Perpignan, Laurent est passé à la maison une fois le travail terminé, et on a parlé de l’album. Jusqu’à ce dernier weekend de septembre, on a travaillé par correspondance.
Les structures musicales de vos compositions ont ce côté intemporel, répétitif et hypnotique, assez proche du krautrock, si vous deviez définir votre musique, quelle en serait la description ?
Effectivement et c’est en grande partie grâce à Pascal Comelade, qui nous a fait écouter pleins de trucs. Je ne pensais pas reflasher sur la scène musicale Allemande, j’étais passé à côté en quelque sorte. Can par exemple est une énergie pure, d’une manière très humble, ça nous a influencé notamment en terme de structures, on a commencé à rallonger la durée de nos compositions, pour obtenir une forme de transe par la répétition, cette notion va de Louie Louie au milieu des années 60 à la musique de laurent aujourd’hui, pour moi c’est exactement la même chose.
Chacun de vos disques s’enrichit de collaborations inattendues Peter Hook (New Order), Anton Newcombe (Brian Jonestown Massacre), le romancier Kirk Lake, tout en gardant cette cohérence musicale qui fait l’identité même des Liminañas. Pour votre prochain album De Pelicula avec Laurent Garnier, je me suis permis un jeu de mots, peut on parler d’amour du riff ou de challenge, histoire de dénaturer votre sonorité ?
Non du tout. Laurent nous a invité à jouer pour son festival Yeah, on a été hyper flattés et étonnés, je pensais que c’était une programmation électro, en fait pas du tout, la programmation est carrément mortelle et pas seulement axée sur la techno. A cette époque on avait envie de faire un disque avec trois plages longue durée, dans l’esprit des disques de Can, sauf qu’on était tout le temps en tournée, on a jamais eu le temps de faire ce projet. La pandémie est arrivée et on s’est retrouvés coincés, on s’est mis à travailler sur la trame de l’histoire. A aucun moment on s’est dit “on va choquer le public rock ou celui de Laurent”.
Ce nouvel album De Pelicula concilie analogique et numérique, est ce une première expérience et qui en annonce d’autres ?
Avec Laurent on a envie de faire d’autres disques, j’avais déjà bossé avec Andrew Weatherall un producteur de musique électronique incroyable en Angleterre, il passait nos disques à la BBC dès le premier 45 tours. Les gens de la musique électro nous ont toujours soutenus depuis le début, il n’y a jamais eu de clivage entre ces deux mondes. Et Laurent est bien plus rock and roll que bien des punks !
Votre musique a un côté cinématographique qui s’est concrétisé par la publication d’une BO “Le bel été” et plus récemment “The World We Knew”, quelles sont vos autres sources d’inspiration ?
Le cinéma beaucoup, énormément, je passe beaucoup de temps à regarder des films, le néo réalisme Italien, les westerns, c’est la grande classe ! Avec Marie on écoute plein de musiques psyché turcs, et quand tu mets le nez dedans, t’en as pour des années ! Nos inspirations c’est la musique primitive des années 60 des “Back from the Grave” aux Cramps, on aime beaucoup la musique de Manchester, la soul de Detroit.
Est ce que tu puises dans la littérature ?
Pas vraiment, mais ce qui m’intéresse c’est la vie des autres, j’ai un blocage sur les récits biographiques. j’en lis des tonnes mais aussi des livres de textes. Evidemment, Gainsbourg ou Ronnie Bird. Côté roman, ce sont des livres que j’aimais déjà au lycée : HG wells, Bukowski. En BD, j’aime le dernier bouquin de Thierry Guitard.
Tu as un côté crooner dans la voix, assumes-tu cette désignation ?
Ha bon ? Pas du tout (rires) ce serait tellement prétentieux, mais j’ai une voix grave !
Vos aficionados doivent être impatients de vous retrouver sur scène, comment avez-vous vécu ce manque de concerts depuis votre dernier live mémorable à la Cigale ?
La vérité c’est que j’ai eu plein de boulot et dès le début de la crise sanitaire je me suis confiné tout seul. J’ai travaillé avec mon pote David Menke sur la BO d’une série de Olivier Mégaton. On a mixé “The World We Knew”, on a aussi travaillé sur un documentaire pour Arte. On a réalisé au bout de plus d’un an qu’on avait pas répété, on a repris depuis tous les jours. On espère ne pas se retrouver bloqués une nouvelle fois !
Quand vous vous produisez en public, ce qui est fascinant c’est l’énergie que vous déployez, c’est quoi votre secret ?
Il n’y a qu’une règle dans le groupe: on ne picole pas. Du moment où tu te lèves jusqu’au moment où tu quittes la scène, c’est un sésame pour tenir debout quand tu dois attendre pour jouer. C’est une manière de se préserver pour la scène.
Onze années de carrière, quel regard portez-vous sur votre parcours ?
J’ai gommé toutes les frustrations que je pouvais avoir quand j’étais plus jeune. On est allé au-delà de ce qu’on pouvait rêver de faire, on a joué avec pleins de gens dont on est fans. Avec Marie, on a encore plein d’envies ! Ce qui est certain c’est qu’on a réalisé nos rêves et on en est très heureux.
Franck Irle
Le 18/09/2021 au Bol d’Or – Le Castellet (83), le 20/10/2021 à l’Espace Julien – Marseille (13) et le 21/10/2021 au Rockstore – Montpellier (34).