Après son EP (« Monstre ») qui résonnait déjà aux Francofolies de la Rochelle en 2021, Martin Luminet sort son premier album « Deuil », et certainement pas le deuil du succès. Au sein de celui-ci, il fait écho à son histoire personnelle et au « nous » générationnel qui laissent planer sincérité et humanité.
Comment te sens-tu depuis la sortie de ton album ?
Très bien. C’est un album hyper intime : c’était comme nécessaire de le sortir. Je me sens chanceux de voir les réactions, et de recevoir des messages de personnes. Ils ont l’air de comprendre ce que je voulais dire et ça peut faire écho à leurs histoires. Et ça c’est le truc un peu magique de la musique !
Est-ce que tu considères cet album comme la continuité ou la rupture de ton EP ? Comment as-tu envisagé sa création ?
Je me méfie un peu du confort, d’avoir trouvé au bout d’un moment une recette. Je trouve que ça n’est jamais bon signe, quand tu fais de l’art en général, de se dire « tiens, j’ai réussi à trouver mon langage ». L’idée c’était ni de faire dans la continuité, ni de partir dans tous les sens. C’était le fait de répondre à l’EP : qu’est-ce que ça avait crée en moi d’avoir bien vidé mon sac sur une première prise de parole, et de voir comment est-ce que, -une fois que tu as posé ça quelque part-, ça continue de grandir dans son coin et qu’est-ce qui te donne envie d’explorer. L’idée de l’album c’était d’ouvrir un peu sur une intimité collective. Ce que je traverse intimement pourrait être traversé par d’autres personnes. Je voulais voir si finalement se dessinait une génération derrière cette violence sociale collective.
Je sais que tu es très cinéphile. En ce moment, ta vie est bien réalisée ? Aimes-tu son scénario?
Oui ! J’aime bien me dire que même s’il t’arrive des tuiles, tu te ressaisis. Je ne vis pas la guerre ou les catastrophes naturelles de plein fouet : je vis l’inquiétude de ça . Alors c’est cool de connaître des ruptures amoureuses (rires). Non en fait, les choses tristes ça fait germer des choses et c’est nécessaire pour avancer. En tout cas, il faut réussir à « jardiner » avec cela.
Tu dis « Vis jusqu’au danger » dans la chanson « Piège », vois-tu la sortie de ton album comme un danger ? Finalement, après avoir sorti ton album, qu’est-ce qui te fait à nouveau peur dans la musique ?
Dès que j’ai une peur, je suis comme attiré par elle, je me dis que je dois désirer quelque chose derrière ça. Pour mes désirs musicaux, je suis super à l’aise dans les tournées. C’est la partie de la vie que je préfère.J’ai l’impression qu’une chanson se termine quand tu peux voir la réaction des gens en direct. Le concert, tu peux voir en temps réel ce qui peut être ressenti par des personnes.
Que penses-tu apporter à la scène française ?
C’est très dur d’avoir ce genre de prétention. D’un point de vue personnel, c’est de regarder le monde tel qu’il est, de regarder moi tel que je suis, de regarder l’amour tel qu’il est. J’essaie surtout d’amener de la lucidité : c’est pour moi le meilleur moyen de se parler.
Dans l’époque qu’on traverse, l’art, la scène actuelle peut essayer de retraduire et comprendre un peu notre époque. Tous les plus grands mouvements que le monde a connu, il y a toujours eu un mouvement artistique qui a été fort à côté (exemple de la crise de mai 68, ou la guerre du Vietnam). Alors mon rôle dans le paysage musical français ce serait un peu de tenir cette vérité.
Quelle est la chanson dont tu es le plus fier dans cet album?
Il y a une chanson qui se distingue pour moi qui s’appelle « Beaudemont ». Elle porte le nom de la petite colline où vivait mon grand- père. Je passais beaucoup de temps avec lui là-bas. Elle n’était pas prévue dans l’album. On avait terminé l’album et on était super heureux des chansons qu’on avait, mais j’ai quand même demandé à mon équipe de partir quelques jours parce que j’avais l’impression que je n’avais pas fait le tour de mon deuil. Donc cette chanson c’était une tempête émotionnelle, j’ai beaucoup pleuré en écrivant. Et au moment de la partager avec mon équipe, elle a senti que cette chanson dépassait l’ordre de la chanson, mais qu’elle était plutôt l’ordre de la confession ! On était sur la crête de la pudeur et de l’impudeur. Au moment où l’album est sorti, c’est cette chanson que je redoutais le plus parce que je me disais que j’étais allé trop loin dans le personnel. Aujourd’hui, c’est la chanson dont les gens me parlent le plus ! Je suis reconnaissant d’être allé jusqu’au bout du geste et d’avoir une équipe aussi bienveillante.
Tu as de nombreuses dates de prévu prochainement. Comment comptes-tu mettre en scène tes chansons en live ?
Souvent quand tu passes du studio à la scène, il y a tout un travail de “désintectualisation”. Arrêter de se les mettre dans la tête pour arriver à les mettre dans le corps. Tout le travail, c’est d’essayer de voir comment on éprouve les chansons corporellement. Donc la mise en scène est assez simple : tirer un film avec ça et reconsidérer l’ordre des choses. Essayer de faire une trame narrative. Tirer la liesse de tous ces sujets abordés : le deuil, l’amour, la colère, l’époque. Mon envie est de célébrer autour de ces thèmes là les choses heureuses comme tristes et non pas me replonger dans cet état un peu triste au temps de l’écriture de ces chansons.
Dans « Étouffer », on peut entendre la question « Vaut-il mieux être heureux qu’amoureux ? ». As-tu résolu la question ?
Mille fois être heureux. Je sais ce que ça coûte d’être très amoureux sans être heureux. Être seul qu’est-ce qu’on est, de quoi on a envie, nos besoins. Au-delà de trouver des réponses, j’aime bien soulever des questions. Dans les chansons comme dans la vie ! Ça peut faire bouger quelqu’un qui tombe sur cette question ? Je me dis que ça peut faire bouger les choses : faire cogiter quelqu’un , faire avancer, remettre en question des choses. J’ai des questions auxquelles je n’ai jamais répondu mais j’ai été hyper heureux de les avoir posées.
Dans « Piège », tu décris une éducation normée ? Est-ce que tu regrettes l’éducation de tes parents ?
Je regrette pas du tout l’éducation de mes parents. Je ne le suis pas, je suppose que ça doit être super dur et il faut être indulgent avec les personnes qui nous ont mis au monde et qui nous ont portés le plus haut possible avec leurs failles et leurs doutes. Quand tu es parent, tu continues d’apprendre de la vie. J’ai de la chance que mes parents soient suffisamment ouverts et qu’ils m’aient laissé faire de la musique.
Comment tu fais pour « hurler en silence » (Silence) ?
(Rires) En fait, cette image renvoie à une situation dans laquelle tu n’as pas le courage de sortir de ton état ou de prendre la parole ou juste ne serait-ce que de prendre position. Et ça me le fait tellement de fois parce que je suis hyper lent dans la vie. Je réagis souvent beaucoup trop tard.
Clémentine Nacache