Rappeur, acteur et auteur, Gringe continue de se révéler en solo après ses débuts dans les Casseurs Flowters (avec Orelsan). Rencontre avec un artiste hypersensible.
Bonjour Gringe, je suis vraiment ravi de t’avoir en interview. A la base, ce n’est pas forcément mon univers mais comme je suis de nature curieuse, j’ai découvert ton univers, tes textes. J’ai vraiment accroché et regretté de ne pas t’avoir écouté avant.
(Rires) Merci beaucoup, ça fait plaisir ! Merci pour ça.
Nous allons bien sûr parler de « Hypersensible », nouvel album entre ombre et lumière. Souvent il est question d’album de la maturité, mais pour moi c’est plutôt celui de l’émancipation.
Je suis passé des albums de l’immaturité avec Orel, à l’album de la maturité seul (rires). L’album de l’émancipation j’aime bien, parce que « Enfant Lune » c’était un album de transition, une passerelle vers la suite. Rétrospectivement il y a quelques titre que j’aime toujours bien, sur des thématiques que j’ai développé par la suite dans le bouquin et sur « Hypersensible ». Je ne le renie pas mais sur la forme il était un peu naïf. J’apprenais à faire de la musique tout seul sans les copains. Donc oui il y a un vrai truc d’émancipation. Je sais mieux faire en studio, mieux m’entourer. J’ai précisé mon écriture, mes envies musicales aussi, donc il y a quelque chose de plus abouti oui.
Nous le ressentons beaucoup. Nous retraçons rapidement ton parcours, tes débuts avec Casseurs Flowters avec Orelsan. Tu gardes quoi de cette période ? Plus d’insouciance ?
G : Oui c’est complètement ça, tu vises juste une fois de plus. Je ne me rendais compte ni de l’image que nous renvoyons, ni de ce que ça représentait à l’époque. Que se soit la série, les albums, c’était devenu une sorte de norme un peu folle et je me laissais porter par le mouvement collectif. Je suis redescendu de mon nuage au moment de « Enfant Lune » quand il a fallu que je m’émancipe artistiquement.
Tu es aussi un touche à tout, cinéma, série, livre. Tu as besoin de cette diversité pour te trouver ?
Quand les opportunités se présentent à moi, ça m’excite tout de suite. Je ne me suis pas non plus complètement mit à poil pour le bouquin car je suis déjà bien accompagné par mon éditrice. Et surtout je vais pouvoir me servir de mon écriture immédiate et rendre la chose urgente, m’amuser. Je n’anticipe absolument pas les retombées du truc, je me dis juste que c’est une perspective de bosser avec mon frangin sur un nouveau terrain de jeu. Le cinéma c’est pareil ; je prépare mes rôles, mais ce sont souvent les rencontres qui vont déterminer ce qui va se passer. Ces derniers temps j’ai travaillé pour quatre réalisatrices qui m’ont confié des rôles importants. Ce sont des cycles, en ce moment c’est la musique, j’avais envie de ça. J’avais des bouts d’écrits pour « Hypersensible » qui devaient me servir pour un deuxième bouquin. Finalement, j’ai rencontré Tigri qui réalise l’album, et qui m’a offert une direction artistique et une motivation tellement forte que j’ai eu envie d’en faire un album.
Aucune anticipation dans ta démarche artistique finalement.
Zéro plan de carrière, zéro anticipation, j’y vais à l’aveuglette. Après je sais quand je rencontre les bonnes personnes. Ce qui va motiver mon envie c’est pas seulement un nouveau projet, c’est aussi avec qui je vais pouvoir le concrétiser. Je fais les choses dans l’espoir que ça touche les gens en étant le mieux entouré possible.
On va parler rapidement de ton premier album « Enfant Lune » et notamment d’un titre très fort qui est « Scanner ». C’était indispensable pour toi à cette époque d’extérioriser l’histoire de ton frère de cette façon la ?
Je me rappelle surtout qu’à ce moment-là du processus d’écriture et d’enregistrement, j’avais que des titres un peu Casseurs Flowters. Je crois que « Scanner » est vraiment le premier qui va ouvrir une brèche, vers des morceaux plus intéressants, comme « Pièces détachées », « Karma » sur la spiritualité. J’y songeais depuis un moment mais je ne savais pas comment le traduire à l’écrit. C’est vraiment les prémices du bouquin avec mon frère, je m’étais dit que je voulais en faire quelque chose, et qu’il fallait parler de ça. Je ne pouvais pas appeler mon album « Enfant Lune » et en faire quelque chose d’introspectif sans aborder les épreuves qui ont jalonnées ma vie, comme la schizophrénie de mon frangin. J’ai voulu rendre « Enfant Lune » moins égotrip.
Un passage qui a renforcé le lien avec ton frère j’imagine.
Oui avec le clip déjà, le côté visuel. Quand nous étions gamins, le cinéma nous rapprochait beaucoup. Et le livre a été un truc un peu réparateur et fusionnel, nous avons passé six mois vraiment ensemble.
Une sorte de suite et de renvoi d’ascenseur sur ce nouvel album avec le titre « Effet de surplomb » sur lequel ton frère a collaboré.
Oui le petit passage sur les absurdités que j’énumère, l’argent de Dieu, la crucifixion de l’amour, tout ça c’est un texte qui s’appelle « Absurde » et qu’il avait mis de côté. Je le trouvais incroyable. Quand j’ai commencé « Effet de surplomb » je l’avais dans un coin de ma tête mais je ne lui ai pas dit car je savais déjà qu’il allait me dire non.
Une nouvelle fois Orelsan intervient sur un des titres de l’album (« Feelings »). C’est un lien éternel qui s’est tissé entre vous ?
Oui je pense. En tous cas, tout au long de nos vies artistiques, je pense qu’il y aura toujours une envie de croiser le fer de temps en temps. Il est venu au concert au Cargo et à la Cigale. Je vois la manière dont nous nous retrouvons et l’excitation qui est la nôtre sur scène même le temps d’un morceau ou deux. Nous aurons toujours à cœur de se concerter sur nos projets respectifs, de se les faire écouter. Il y aura toujours un regard réciproque sur le travail de chacun.
Nous n’imaginons pas forcément Gringe hypersensible. Tu t’en es rendu compte rapidement ?
Oui je le suis depuis toujours, sauf que maintenant je me connais mieux, je sais mieux comment je fonctionne. J’ai choisi ce nom pour l’album, un peu à l’image de la pochette, pour parler aussi des sujets qui nous désensibilisent, les réseaux, le culte de la personne par exemple.
Un regard très sombre par contre sur ce qui nous entoure.
Pessimiste, oui bien sûr. Il est moins nihiliste qu’à l’époque des Casseurs Flowters. J’ai grandi depuis, mais pessimiste oui clairement. Je trouve qu’il y a une perte de valeurs, un côté matérialiste mis en avant et défendu comme un idéal de vie. En tant qu’artiste, il faut se faire le relais de messages plus humanistes et plus intéressant que de montrer une réussite personnelle. Je ne m’y retrouve pas dans cette époque. Aujourd’hui tout est contestable et contesté. Le message originel se perd et nous nous retrouvons noyé dans une masse d’infos.
Je trouve que la construction de l’album est aussi recherchée, car même dans l’ordre des titres il y a une cohérence. Dans les derniers titres, tu termines par des titres plus positifs comme si tu voulais malgré tout finir par une note d’espoir.
Oui c’était une quête de lumière pour la fin de l’album. Ce sont des titres importants, des morceaux pivots, des éléments de réponses aux questions que je me pose.
Comment survit-on à la scène quand on est un hypersensible ?
En s’entourant bien. Même au niveau scénographique nous avons quelque chose de puissant, de sensitif, limite organique que tu te prends en pleine tête. Et il y a un batteur, un clavier, un choriste, donc vraiment en étant bien entouré et avec une direction artistique cohérente nous créons ça. Pendant le concert c’est fusionnel avec le public, intense.
Une tournée qui a commencé avec une date parisienne à la Cigale.
Au total, nous devrions faire environ soixante dates. Il y a des festivals qui se sont ajoutés. Après il y a peut être une histoire de réédition, refaire un peu de musique. Les morceaux sur scène sont si beaux et différents.
Un album live peut être ?
Possible, oui. Moitié moitié. Un album avec des lives et des nouveaux morceaux.
Franck Inizan
Le 30/01/2025 au 6Mic – Aix-en-Provence (13), le 06/02/2025 à Paloma – Nîmes (30), le 07/02/2025 au Théâtre Lino Ventura – Nice (06) et le 21/03/2025 à la Salle de l’Etoile – Chateaurenard (13).