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L’univers musical de Chassol suscite la curiosité et l’admiration à bien des égards. Signés sur le prestigieux label Tricatel, ses trois précédents albums peuvent aisément être assimilés à une trilogie, et son dernier disque intitulé “Ludi”, publié au printemps 2020, confirme le talent indéniable d’un artiste hors du commun capable de transposer le réel dans un imaginaire poétique, en une série de collages sonores dont lui seul a le secret.
Pour commencer, si l’on devait décrire ta musique, comment la définirais-tu ?
C’est une musique qui puise principalement dans des motifs de jazz et de musique de films. C’est une musique chaude, assez ronde, qui je trouve a pas mal d’humour, je fais partie des gens qui recherchent l’humour. Ma musique est conceptuelle, elle a cette vocation expérimentale mais elle essaye de dépasser ce stade pour être écoutée à l’envie, à être addictive, comme du sucre. J’essaie de lui donner du mouvement tout étant stable, avec une ossature classique, une charpente qui puisse en même temps déborder
Quand es-tu entré dans le monde de la musique ?
Je n’ai pas l’impression d’y être entré, j’ai toujours eu l’impression d’être dedans. Mon père était saxophoniste, clarinettiste et arrangeur, à l’âge de 4 ans, il m’a inscrit au conservatoire, ma sœur et moi, avec un grand amour de la pédagogie pour nous faire travailler. Il me faisait jouer aux claviers dans ses groupes.
Ta musique semble être le fruit d’un long processus, comment composes-tu ?
C’est un processus évolutif, je ne compose plus comme à mes débuts quand j’avais 13 ans. En 1989, mon père m’a ramené un ordinateur Atari, j’ai commencé à composer des suites d’accords sur des synthés. J’ai eu des groupes de collège et lycée, où on jouait des reprises, des copier-coller de ce que l’on entendait. Ensuite, j’ai monté un quartet de jazz samba très influencé de Chick Coréa. Au fur et à mesure de lectures extra-musicales, de pratiques instrumentales, au travers des arts plastiques, je trouvais des concepts, des idées et des arguments de compositions. A partir de motifs, tu peux commencer à composer à partir d’une image, comme j’ai fait beaucoup de musiques de films, la composition a pour pied d’ancrage des images, ou le sens que dégage une scène. J’ai ensuite à développer mon style, en prenant des sons autres que des sons musicaux, des discours harmonisés, les ultrascores que j’ai élaboré.
Ton dernier opus « Ludi » s’inspire en partie de l’écrivain Herman Hesse, et notamment de son roman du « Jeu des perles de verres », peux-tu nous en dire plus ?
Je suis un lecteur assidu de Herman Hesse depuis la fin de mon adolescence, il y a un thème récurrent dans ses écrits, le Yin et le Yang, chacun de ses livres est initiatique. Quand j’ai décidé de faire un album sur le thème du jeu, m’est venu instantanément la lecture de ce livre, je m’étais promis de figurer une partie de ce bouquin en musique. Le livre est construit tout autour de la pédagogie, c’est l’histoire d’un jeune homme qui est repéré pour aller dans une province où l’on ne fait que de la recherche, de l’apprentissage. Il est révélé au travers de la musique, et va dédier sa vie à cet endroit dont la pierre angulaire est le « Jeu des perles de verre ». Le bouquin à la base s’appelait exercices de jeux musicaux. Le héros du livre devient au final un maître en la matière, un « Ludi magister », d’où le titre de l’album.
Y a-t-il une frontière entre votre musique qui accompagne les images d’un film et celle qui est une œuvre à part entière ?
Je n’appellerai pas ça une frontière mais plutôt une passerelle, je ne sépare pas les choses, je fais des ajouts, la musique accompagnée d’une image est liée inextricablement à cette image, mais aussi à d’autres. Une musique qui n’est pas à priori liée à une image peut se lier à une image. Il n’existe pas d’image sans son, le corps, l’environnement émettent des sons.
Lors de vos voyages, quelle démarche faites-vous pour capter des sons que vous reproduisez ensuite sur vos disques ?
La démarche est de trouver un sujet, puis le lieu. En l’occurrence, ici le jeu, une cour d’école, les jeux vidéo à Tokyo. J’ai lu pas mal sur le jeu, notamment Roger Caillois, un sociologue qui en fait une classification. J’ai filmé des parcs d’attraction, des chanteurs qui jouaient un rôle, et donc j’ai fait mes tournages, et à partir des images, je me pose devant mon ordinateur pour écouter ces sons, les modifier, les superposer, les mélodifier, en jouant leur hauteur, j’arrive à obtenir des mélodies.
Justement c’est ce qui m’a plu dans ton album « Big Sun », c’est le titre « Birds » qui est harmonisé et décliné en plusieurs parties.
Je suis content car justement nous allons le jouer la semaine prochaine le 22 Septembre avec le Sacre du tympan de Fred Pallem à Radio France, une version orchestrale arrangée pour l’occasion et je joue également avec Magma !
On ressent une véritable spontanéité dans ton approche, as-tu une idée préconçue de la direction que tu donnes à tes projets ?
C’est marrant que tu parles de spontanéité, je suis content que tu utilises ce mot. Je viens vraiment de la musique jazz et classique, c’est tellement écrit et pré-pensé, cela peut paraître paradoxal, mais dans le dernier disque j’ai expérimenté une technique, sur le morceau “concert pour batteries et cour de récréation”, l’idée était de faire un solo comme le font les gens du jazz, le truc était de réécrire celui-ci, à partir de sa spontanéité en l’harmonisant, comme un solo très écrit, en relevant la hauteur de chaque frappe.
Est-ce que tu as un thème spécifique à chaque album ?
Sur « Indiamore », c’était de la musique indienne. Sur « Big Sun », la nature et le carnaval, oui il y a des thèmes chaque fois.
En écoutant tes précédents disques, on a l’impression d’écouter une musique de film, quel lien fais-tu avec l’univers du cinéma ?
C’est le métier que je voulais faire adolescent, j’ai eu des épiphanies, des moments très forts avec la musique de film. C’est un endroit qui est très populaire et très savant à la fois, cela permet à beaucoup de gens qui ne venaient pas forcément de la musique classique d’y accéder. Des gens qui connaissent les partitions de compositeurs comme Ennio Morricone, Jerry Goldsmith, je trouve ça génial !
Ta rencontre avec Bertrand Burgalat de Tricatel a-t-elle changé ton parcours musical ?
Ma carrière plutôt, ça faisait longtemps que je travaillais comme arrangeur, que je composais de la musique de pub, de séries. En revanche, j’ai démarché auprès des labels avec ma propre musique et aucun ne voulait me publier, il a fallu que je rencontre Bertrand qui est lui-même compositeur, il a vu là où je voulais aller, il a de suite compris ma vision des choses. On avait une filiation au départ avec Burt Bacharach, la musique de librairie, ce qui nous a rapprochés.
As-tu déjà songé à enregistrer un album complètement pop ?
Complètement pop ? Non, je me mets des contraintes, mais cela ne m’intéresse pas particulièrement, je ne m’applique pas de contraintes stylistiques.
A quoi ressemble une journée ordinaire de Chassol ?
Rires… Oui ça a évolué depuis que je suis papa ! Et pendant le confinement, il y a eu quelque chose de répétitif assez agréable, je ne sais pas s’il y a eu une journée ordinaire. Je passe mon temps à bosser dans mon appart, où j’ai un studio d’enregistrement, je peux faire des allers retours vers la terrasse. Je lis beaucoup, je vais voir des films au cinéma. Et puis, je vais faire des concerts, voilà ma vie.
Si tu devais t’auto interviewer, quelles questions te poserais-tu ?
Eh bien, j’ai une réponse toute faite pour ça, ma question serait entre guillemets “Si tu devais t’auto interviewer, quelles questions te poserais-tu ?” et bien, ce serait ma question ! Et voilà la boucle !
Franck Irle
Le 09/10/20, dans le cadre du Nîmes Métropole Jazz Festival, au Pavillon de la Culture – Saint-Gilles (30) et le 30/10/20 au 6mic – Aix-en-Provence (13).
Crédit photo : Flavien Prioreau.