NUITS DU SUD : Julian Perretta / Inna De Yard, 15/07/17 à Vence

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#NVmagLiveReport

Bien accueilli par un staff qui mixe la bonne volonté et le dévouement de jeunes bénévoles et le professionnalisme d’acteurs plus expérimentés, je constate que les Nuits du Sud savent année après année préserver cet équilibre précieux que j’ai goûté quand je suis venu en tant que tour manager avec un groupe brésilien en 2001. Cela crée un indispensable rapport humain qui, au-delà du cachet, encourage les groupes à bien jouer et à fraterniser avec le public. Après plus de 20 ans dans la musique je suis capable de dire si un musicien qui monte sur scène a passé une bonne journée ou pas, et ce soir-là cela semblait être le cas que ce soit pour le jeune Perretta ou les sexagénaires caribéens.

La programmation de cette soirée avait de quoi surprendre, d’un côté l’icône londonienne Pop Julian Perreta et de l’autre le collectif d’anciens reggamen jamaïcains baptisé Inna de Yard. Le lien entre les 2 univers musicaux était loin d’être évident mais si le public s’y retrouve ce n’est qu’une considération secondaire. Ce soir-là entre ados survoltés et sages rastas quinquagénaires, on percevait une certaine dichotomie mais la musique a, comme toujours, fait tomber les barrières sociales et culturelles.  En tant que reggae addict, c’était plutôt le second groupe qui a motivé mon déplacement à Vence. Contrairement à ce que j’attendais la bonne surprise est venue de Julian Perretta, que, honte à moi, je ne connaissais que comme vague souvenir de quelques ritournelles entendues à la radio. Même si je ne suis pas client de ce son Electro Pop trop vide et impersonnel pour moi, je dois reconnaître que le jeune artiste s’est révélé être un très bon chanteur, humble sur scène et à côté qui a produit un bon répertoire sur la durée du show et a su créer un lien avec un public qui est, comme souvent aux Nuits du Sud, est en partie composé de vacanciers curieux (et ce n’est en rien désobligeant car je trouve que cette vulgarisation culturelle est respectable au plus haut point). Cependant les fans étaient là et n’ont, eux non plus, pas été déçus. Aux débuts un peu tièdes, ils ont vite été réchauffés par des titres qui ont su générer ferveur et attention chez les spectateurs présents. Une électro pop dansante et vivante pour un beau concert, jeune, vif et positif !

Concernant Inna de Yard, mon premier sentiment (et je jure que c’est vrai) a été de louer le système social français, car nous ne verrions jamais Charles Aznavour ou Michel Fugain se présenter édentés sur scène. Dans les pays plus pauvres que les nôtres on peut juger du degré de précarité d’un interlocuteur âgé à l’état de sa dentition et malgré les centaines de fans applaudissant, voir Cedric Myton mal soigné m’a fait réfléchir sur la condition de ces musiciens qui ont marqué l’histoire et qui peinent encore aujourd’hui à assurer une vie stable qui ressemblerait à la nôtre. Tout au long du concert les sentiments paradoxaux m’ont parcouru. Le collectif Inna de Yard a enchainé des passages très prenants, émotionnellement parlant, avec d’autres ou l’approximation musicale frisait avec la limite de l’acceptable. Très Nyabinghi et acoustique, leur musique appelle à la proximité des cérémonies rasta pour lesquelles elle a été conçue et se prête mal à un dispositif scénique tel que la grande scène des Nuits du Sud qui les éloigne du public. Même si cela semble difficile, ces musiciens auraient dû être placés au centre de la place du Grand Jardin, à même le sol, à niveau du public et de son fluide spirituel.

Comme toujours dans les rassemblements de vétérans jamaïcains, Kiddus I est sorti du lot avec une plus grande application et implication que ses camarades de scène. Sa voix grave, sa diction distinguée très BBC et son registre de langue anglaise très « Upper Class » qu’il a hérité de l’éducation d’un père libraire et lettré, le rendent reconnaissable entre tous. Kiddus I doit beaucoup à Inna de Yard et à Makasound qui lui a fait enregistrer son premier album en 2005 après 35 ans de carrière et des prestations dans le film Rockers et auprès des Sons of Negus de Ras Michael, un grand groupe Rasta dans les 70’s. Alors que Danakil nous fait régulièrement saigner les oreilles avec son inepte reprise de je ne regrette rien, Kiddus I nous a fait vibrer avec une interprétation de L’hymne à l’amour de Piaf, magnifiée par sa voix chaude, son anglais impeccable et son attitude empathique sur scène, une autre preuve de l’étendue de sa culture musicale.

Winston Mc Anuff, qui coule une retraite active en France où il a trouvé une deuxième patrie pour assurer ses vieux jours, a lui aussi pu nous émouvoir malgré de multiples errances mélodiques et rythmiques quand il joue seul de la guitare. Cependant son enthousiasme et son parcours artistique (il a remplacé le mythe Jacob Miller au sein d’Inner Circle) nous amènent à tout lui pardonner comme on le ferait pour un grand père qui radote un peu mais qui aurait su gagner notre indulgence après avoir sauvé notre pays grâce à un passé de résistant. Pour moi Cedric Myton, le troisième compère historique est hors-jeu et n’assure plus le minimum artistique et lui n’a pas accès à mon indulgent pardon avec ses vocalises dissonantes et criardes et sa rythmique très approximative, jadis très incantatoire et mystique sa présence vocale est aujourd’hui très décrépie.

Sentiment mitigé donc car rien de ce que j’ai fait ou expérimenté dans l’univers du reggae n’aurait exister sans ces précurseurs qui ont posé les bases du Reggae en mêlant philosophie Rasta et musique syncopée. Cependant, c’est incontestablement Marley qui, plus universel, a su rendre planétaire l’esprit du reggae que d’autres avaient cantonné en Jamaïque sur des thématiques liées au passé culturel des descendants d’esclaves. Doivent-ils tout à Marley qui a su provoquer une vague mondiale qui les a fait sortir de Jamaïque ou ont-ils inspiré et motivé Marley en donnant un contenu spirituel à sa musique ? C’est le paradoxe de la poule et de l’œuf que cette soirée à fait renaitre en moi, même si la raison, ma connaissance du milieu et les heures passées à discuter avec Mark Miller, ancien manager de scène et proche de Marley me font pencher pour la deuxième assertion.

Les français ont toujours été fascinés par l’histoire et le budget de la culture passe davantage dans les vielles pierres que dans le soutien aux jeunes artistes, c’est un fait culturel que je ne vais pas changer et il en va logiquement autant des programmations reggae en France. Inna de Yard est quelque part un concept hexagonal crée par Makasound, le label très français par son gout immodéré pour l’histoire. Personnellement je ne pense pas que le reggae, musique caribéenne et syncrétique, se conjugue harmonieusement au passé, sinon Marley aurait joué du Mento pour touristes dans les halls d’hôtel … Heureusement il n’en a rien été et il a créé à partir du son du monde qui l’entourait une musique nouvelle, ce qui nous permet d’en débattre encore aujourd’hui. Quand on sait le nombre de talents que cache une scène reggae délaissée par l’industrie musicale et les jeunes et talentueux musiciens qui n’ont pas accès aux tournées internationales que des artistes de même niveau mais dans d’autres styles musicaux plus acceptables institutionnellement parlant, vivent chaque été. Je ne peux m’empêcher de quitter cette soirée avec un peu d’amertume. Enfin si Téo, le directeur des Nuits du Sud, cherche des noms de jeunes artistes reggae hyper convaincants sur scène, je suis bénévolement disponible pour lui venir en aide !

Emmanuel Truchet

 

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