Le 20/07/17 à Vence (06).
#NVmagLiveReport
Alors que je trouvais l’alternance entre l’Electrop Pop de Julian Perretta et le Reggae acoustique old school du collectif Inna De Yard hasardeuse lors de ma précédente soirée aux Nuits du Sud 2017. Cet éclectisme m’est apparu ce soir au contraire très adapté au public présent sur la place du Grand Jardin à Vence. Si on y trouve quand même quelques addicts, expérimentés, surs de leurs gouts, de leurs convictions sur le bien jouer et volontairement râleurs ou trop perfectionnistes comme moi, nous ne sommes pas majoritaires loin de là. La plupart des gens présents sont plus ouverts et béotiens dans le bon sens du terme, venus passer un bon moment en découvrant des artistes, que souvent, ils ne connaissent pas. Autre particularité des Nuits du Sud, un public très féminin qui contribue à une ambiance particulière. Ce n’est pas le public le plus facile pour les musiciens car les spectateurs venus sans idée prédéfinie sont certes ouverts mais d’un autre côté, tout est à faire pour l’artiste dès qu’il entre sur scène et l’ambiance grimpe doucement si, et seulement si il ou elle parvient à se mettre le public dans la poche, ce qui est la plupart du temps le cas. L’apothéose n’en est que plus méritée et intensément ressentie par l’artiste qui est sur scène.
Madame Monsieur le premier groupe propose en duo une musique qui oscille entre électro, jazz et chanson que je découvre. Il en ressort une prestation tout à fait honnête avec notamment Emilie qui se révèle être une bonne chanteuse qui fait vivre un ensemble qui sonne quand même malgré une scène dépeuplée par la formule en duo du groupe. Certes, en ce qui me concerne, je n’apprécie que très modérément le son électro trop artificiel pour moi mais me laissant emporter par l’ouverture d’esprit ambiante (oui je sais c’est pas facile pour moi) je passe un bon concert en découvrant chacun des titres qui dans l’ensemble, font ressortir une ambiance assez moderne et même urbaine par moment avec des petits morceaux de Hip Hop dedans.
Quand Morgane Ji arrive sur scène on sait que penser ! Son allure mystique, ses origines réunionnaises, un groupe divers et variés comme l’est cette île de l’océan indien, tout interpelle. Connue pour son métissage et la diversité de ses influences culturelles, la Réunion pourrait voir son hymne composé et interprété par Morgane Ji ! Alors que les brésiliens, les champions du métissage et du recyclage d’influences musicales malaxent et recomposent un ensemble qui existe par lui-même et qui finit par avoir une identité propre, Morgane Ji, elle juxtapose …. Avec une maestria qui nous a bien surpris. Dès le premier morceau, celle qu’on prend au départ pour une jeunette s’avère être une artiste entière, créative et très libre dans ses compositions et ses arrangements. En effet sur ce titre alternent 5 ou 6 ambiances différentes : des percus typiques de l’océan indien, des nappes Electro, des refrains Pop, des passages Blues, Funk, Rock et même de légères incursions vers un style déluré proche du métal. Morgane Ji a retourné le public et l’a surement lavé de toutes ses certitudes pour ceux qui en avaient en arrivant. L’ensemble du concert très réunionnais dans l’esprit, c’est-à-dire ne ressemblant à rien mais aussi à presque tout en même temps, a révélé une artiste. Excellente chanteuse, compositrice sans limite qui a su très bien s’entourer avec un très bon groupe de musiciens, notamment le clavier percussionniste et le bassiste très présent dans la musique de Morgane Ji. Son éclectisme, très étendu rend riche sa musique tout en réussissant le pari de rester authentique, et on voit là un concentré de ce qu’est à mon sens l’île de la Réunion. Parfois c’est en s’éloignant de la tradition qu’on met le mieux en lumière la culture et l’identité particulière qui représente au mieux la manière de faire et de penser d’un groupe humain. C’est cette idée qui est souvent difficile à faire comprendre au milieu de la musique en France, notamment aux programmateurs de festivals qui cherchant systématiquement l’identité dans la lignée plus que dans le présent, dans le passé plus que dans la création, s’arque boutant sur leurs repères personnels. En effet j’ai personnellement passé des heures a expliquer à des programmateurs qu’on retrouve plus de Brésil dans ce qu’il a de plus intime et spécifique dans le Reggae de mes musiciens de l’état de Saõ Paulo (Afrodizia) que dans une Samba old school jouée de manière répétitive à travers les âges et qui a vu le savoir-faire spécifique des musiciens brésiliens s’éroder avec l’habitude. Morgane Ji est de mon côté c’est certain et on peut lire la Réunion dans sa musique comme dans un livre ouvert ! Je me prends à rêver de penser que c’est quelque chose qu’on a compris à travers les années aux Nuits du Sud. En tout cas allez voir Morgane Ji dès que vous le pourrez car elle saura vous surprendre, vous émerveiller, vous tenir en haleine et vous impressionner par sa maitrise d’un arsenal technique quand même complexe à gérer sur scène avec des effets et des boucles de son. Même si je pense qu’elle pourrait trouver mille imperfections à son concert, car un dispositif si complexe ne se gère pas facilement, ces imperfections se fondent dans l’ensemble et renforcent encore l’originalité de son propos en s’insérant parfaitement dans son style en lui donnant l’aura d’une artiste en mouvement, en créativité constante et non une diva qui tire toutes les ficelles avec trop d’habitude et de maitrise. On est partie prenante de son concert car on découvre chacune des mesures sans savoir ce qui va se passer à la suivante, ce qui est finalement très immersif. Un excellent concert qui a laissé le public un peu atterré et presque éthéré quand le groupe s’est incliné sur scène pour remercier la réactivité d’un public qui n’avait rien de conquis au départ.
Alors qu’on a été surpris par la fraicheur et la créativité de Morgane Ji, talentueuse et surprenante inconnue, Alpha Blondy que j’ai peut-être vu 15 fois sur scène n’arrivait pas avec les mêmes attributs. Chez lui c’est plutôt la constance et la pureté de l’engagement qui impressionnent. Chanteur engagé depuis des décennies pour la paix, le vivre ensemble et une certaine pureté spirituelle, Alpha Blondy a su comme personne faire coïncider la recherche de racines des caribéens créateurs du Reggae avec l’identité africaine, diamétralement opposée, où la vie ne s’éteint jamais et où un être qui nait continue la lignée à laquelle chaque humain est attachée. C’est un exploit que peu mesurent tant les identités caribéennes et africaines sont distantes. Influencé par la pensée Rasta, le Reggae a pris pour référence la culture africaine et l’a glorifiée, ce qui a attiré beaucoup de musiciens africains. Marley a fait le tour du monde en revendiquant son appartenance à la famille panafricaine dès les années 70 mais cela n’a pas pour autant rendu évidente la fusion entre culture africaine et esprit du Reggae. Certains comme Tiken Jah Fakoly, n’y parviennent toujours pas et courent après cette tournure d’esprit particulière, ou toute solution a un problème concret débute par une introspection spirituelle pour savoir en quoi nous pourrions, en explorant nos meilleurs penchants, améliorer la situation et apporter une contribution positive au bien commun. Cela ne nous empêche nullement de dénoncer les travers des autres mais charité bien ordonnée commence toujours par soi-même comme dit l’adage, c’est la ligne de conduite de la pensée Reggae. Un mode de pensée philosophique qu’Alpha a fait sien et auquel il a apporté la spiritualité africaine et sa sagesse personnelle pour donner une forme unique à son propos qui reste année après année toujours aussi convainquant. Pour moi Alpha Blondy est une référence en termes d’exemplarité, de sagesse, de démarche humaine et de parcours artistique. Je conseille de revoir le documentaire Alpha Blondy, un chanteur pour la paix qui met son incroyable chemin artistique en lumière. Un chemin que sa constance, son opiniâtreté et son impertinence sous contrôle rendent unique.
Le concert débute sans vraiment débuter car les musiciens n’ayant pas fait de balances, entament un progressif Line Check pendant lequel chaque instrument prend successivement un train musical qui permet aux techniciens de mettre au point leur son de scène et de façade. Si certains pourraient y voir un manque de professionnalisme, j’adore ces instants de vérité musicale qui collent à un esprit et une méthode de répétition plutôt que de concert millimétré. C’est là, que si on sait observer on comprend l’articulation entre musiciens et la répartition de l’autorité et la réelle structure du groupe. Un pur plaisir pour moi. Quand les lumières s’éteignent enfin après ces 15 minutes de pur groove Reggae, on ne sait jamais à quoi s’attendre car on connaît par cœur l’intro du Solar System et que c’est cette connaissance qui va nous permettre de comprendre avec finesse la spécificité du concert qu’on va voir. Le Solar System très remanié avec un nouveau duo basse-batterie alors que la précédente section rythmique avait accompagné Alpha pendant des décennies, suscite quelques inquiétudes. Dès les premières notes de l’intro électrique et cuivrée que j’aime toujours autant, on retrouve le style d’Alpha avec un son extrêmement puissant et mobilisateur avec une section rythmique qui écrase et frappe et beaucoup de guitares saturées : un mix que je considère comme sublime. On a beau voir mille fois Alpha arriver sur scène avec Jerusalem et ses alternances d’ambiances et le célébrissime roulement de batterie qui envoie l’avalanche du gros son, il pourra toujours m’émouvoir aux larmes. Alpha se présente vêtu de manière stylée et originale avec des couleurs vives et une récurrence de dorures des chaussures au pantalon et au lion de Judée ornant sa casquette. Plus de dreadlocks mais une chevelure grise qui renforce son aura de sage africain. Cela faisait au moins 5 ans que je n’avais pas vu Alpha dans une pareille forme et on sent qu’il a pris soin de lui, ce qui est une hygiène de vie nécessaire après un certain âge si on veut continuer à être crédible sur scène (cf. ma précédente chronique sur Inna De Yard@les nuits du sud).
Je ne saurai exprimer avec quelle intensité ce concert m’a marqué. C’est l’apanage des grandes prestations scéniques qui submergent les spectateurs et je dois avouer que j’ai passé la journée du lendemain avec les notes et les ambiances d’Alpha en tête, comme faisant partie de moi-même, je l’ai ai amenées partout sans chercher à m’en défaire. Cela m’a rassuré sur beaucoup de choses : mon amour inconditionnel de la musique, la capacité à durer des hommes intègres qui n’ont pas transigé sur leurs valeurs mais aussi sur la spiritualité laïque que les grands musiciens savent faire naitre dans le public. En effet Alpha a non seulement su séduire les habitués et ses fans mais il a su lier un public très disparate autour de ses rêves de paix et d’unité. La liesse qui s’est emparée de certains de mes voisins de foule, m’a rassuré sur l’humanité toute entière. Des personnes qui n’ont visiblement rien de fervents de la spiritualité africaine ou de l’univers artistique du Reggae ont plongé dans la musique d’Alpha comme si c’était le dernier jour de leur vie ! Toujours prêcheur dans l’âme, le discours très spirituel et moralisateur d’Alpha (dans le bon sens du terme, lire plus haut) mettait en évidence un réel décalage culturel avec une assemblée composée d’un peuple français qui a pris massivement ses distances avec le divin (60% des français se déclarent liés à aucune religion en particulier) mais pas avec la spiritualité (ce qui est 2 choses très différentes) tant Alpha a réussi à nous faire, tous ensemble, communier vers plus de tolérance et de considération mutuelle. A chaque fois qu’il prend la parole entre les chansons pour souligner son propos, notre conscience d’occidentaux rationnels est d’abord distante et bousculée par des références au divin qui ne font plus partie de notre univers de pensée. Cependant je dois reconnaître qu’en quelques secondes, notre humain profond reprend le dessus et Alpha parvient systématiquement à nous émouvoir, nous immerger par sa pensée pacifiste et unificatrice.
Le Solar System, nouvelle mouture, a été grandiose et si l’ancien band pouvait peut-être avoir par moment plus d’envergure, on ne peut formuler aucun reproche tant les nouvelles recrues ont été à la hauteur de leurs glorieux prédécesseurs. Le style d’Alpha Blondy parfaitement restitué, un gros son fait de basse batterie, de riffs de guitare saturée très présents enrichis de lignes de cuivres archi-connues mais qui sonnent toujours aussi justes comme des signatures de chaque morceau. On peut mettre en évidence le nouveau bassiste, qui en plus de tenir sa place avec un groove implacable chante comme un jamaïcain tout en restant impeccable à la basse. Je trouve qu’Alpha a mieux organisé une set list (ordre des chansons jouées sur scène) qu’avant je trouvais critiquable pour finir en beauté avec Brigadier Sabari son tout premier hit !
Une très très très bonne soirée avec une ambiance qui alla crescendo avec l’expérience et le talent croissant des artistes sur scène, une soirée qui a profondément marqué un grand nombre de ceux qui s’y trouvaient en les reliant les uns aux autres … et ce jusqu’aux jours suivant le concert … un quasi miracle !
Emmanuel Truchet