Le 16/11/2024 au Casino de Paris (75).
Chez les Souchon, on naît artiste de génération en génération. On connaît le père, Alain, qui fête cette année un demi-siècle d’un parcours sans faute. Un peu moins ses fils, Charles Souchon (dit Ours) et Pierre Souchon qui mènent des carrières plus discrètes. Ce soir, une histoire de famille où chacun s’exprime autour des chansons d’Alain Souchon. Après la première partie électro pop de Pétrole Brut, jeune chanteur bordelais qui récolte les faveurs du public, les lumières s’éteignent. Dans le public on reconnaît aux premiers rangs, des membres de la famille, Sandrine Kiberlain, Alain Voulzy ou encore Michel Yves Kochmann, le guitariste qui l’accompagne depuis plus de quarante ans.
Le décor sobre dévoile quatre rideaux derrière lesquels le trio apparaît en ombre chinoise. Magique dès les deux premiers titres « La p’tite Bill » et « La beauté d’Ava Gardner », la voix raisonne, envoute immédiatement la salle. Après une brève présentation, Souchon plaisante avec nous, histoire de briser la glace : “Bonsoir, je suis content d’être là ce soir au Casino de Paris. Comme, je n’ai pas trouvé de baby-sitter, je suis venu avec mes deux gars ». Les écrans diffusent alors des images familiales en noir et blanc tournées en caméra super 8. Ces extraits montrent Souchon faisant lire Rimbaud à ses enfants, quand d’autres images zooment sur les petits Pierre et Charles, debouts la table d’un balcon ouvert sur la mer. La nostalgie nous envahit aux accords de « Somerset Maugham ». Dans cet arrangement acoustique raclé à l’os avec Pierre (piano) et Charles (guitare), la voix n’en raisonne que plus fort et le texte prend toute sa dimension. Tignasse ébouriffée, chemise blanche et jeans slim, le look chic ne bouge pas d’une tournée à l’autre. A 80 printemps, l’âge ne semble pas avoir d’emprise sur lui. On lui donnerait facilement dix, voire quinze ans de moins. En introduction de « Petit tas tombé » chanson qui figure sur l’album « Au ras des pâquerettes » (2014), le chanteur nous prend à témoin : « Dans nos villes, on voit parfois des corps couchés sur les trottoirs, on les enjambe et puis voilà ». Voilà qu’ il entonne une chanson tout aussi poignante « Les cadors » inspirée lors d’un tour de chant à la prison pour femmes de Châteauroux. Suit « La ballade de Jim » boostée par les arrangements vocaux de Pierre et Charles.
Pas le temps de souffler. Souchon entonne « Comédie » en hommage à Jane Birkin, « L’amour en fuite » et le sublime « Âme fifties » illustré de réclames publicitaires d’un autre temps, celle des années 50. La guitare bourdonne aux accents du oud sur « C’est déjà ça », titre là encore illustré de magnifiques images montrant des travailleurs immigrés dans les rues de Belleville. Puis le trio nous prend par surprise avec des chansons écrites par les deux fils : « Les montagnes de Corée » interprétée par Charles et « Pareil jamais » de Pierre Souchon. Et des surprises, il y en a durant près de deux heures quand le musicien virevolte entre ses deux fils musiciens disposés en ligne sur la scène centrale. « Karin Redinger, Sous les jupes des filles, La vie ne vaut rien », les tubes défilent repris en chœur par le public debout. Un public conquis qui aura droit a de beaux moments d’émotions sur « L’amour à la machine, Foule sentimentale». L’œil rieur, la tignasse ébouriffée, Alain Souchon semble s’amuser plus que jamais, esquissant quelques pas de danse singuliers, se frappant parfois le torse avec les poings comme le ferait un bluesman. La scène, c’est vraiment son terrain de jeu favori à fortiori quand il replonge dans son répertoire des 70’s avec des titres forts tels « Poulailler’s song » ou « Rame ». Sous une apparente fragilité, Souchon nous emmène dans une poésie qui nous fait oublier la laideur du quotidien. Et particulièrement, ce soir, on est face à un artiste à la présence lumineuse. Dans le tumulte de notre monde qui vacille, quel plaisir d’entendre autant de finesse, d’intelligence et d’humour réunis. En guise de premier rappel, on a droit à « Le Marin », « Quand je serai K.O » et « J’ai 10 ans » des chansons qui réussissent, à certains moments, à nous rendre nostalgiques, tristes ou euphoriques. Au dernier rappel, son complice laurent Voulzy qui était assis parmi les invités, le rejoint sur scène pour Belle-Île-en-Mer, Marie-Galante et « Allô maman bobo » Après un peu plus de deux heures pile d’un show sans faute, les fans sont émus et conquis.
Jean-Christophe Mary
Photo : Jean-Christophe Mary.