L’Amérique des années Nixon, véritable âge d’or de la soul à messages. Avant les futurs chef-d’œuvres de ses confrères de Detroit (Motown), Marvin Gaye et Stevie Wonder, le soulman de Chicago ouvrait le bal. Coup d’essai solo pour l’ex-membre des Impressions, coup de maître. Curtis Mayfield se fait un véritable chroniqueur social de son époque. Dès les premières notes, un synthé-basse massif lancine, recouvert de voix parlées et rapidement rejoint par des congas, percussions qui deviendront la marque de fabrique du Chicagoan. Puis le chanteur assène l’auditeur d’un constat amer : « (Don’t Worry) If There’s A Hell Below We’re All Going To Go » (traduire : S’il y a un enfer ici-bas, nous y aurons tous droit). Passé un hurlement de dix secondes, place à une déferlante de cuivres. « Curtis » combine ainsi de façon magistrale la fièvre contestataire et l’orfèvrerie des studios.
Sur « The Other Side Of Town », l’artiste se fait le porte-parole des laissés pour compte des ghettos noirs et dénonce l’indifférence de la classe politique. Il aborde le racisme sur le déchirant « We The People Who Are Darker Than Blue », au titre évocateur. Mais loin de verser dans un communautarisme afro-américain, Mayfield appelle plutôt à l’unité de toutes les minorités ethniques pour lutter contre l’adversité. A mi-parcours, les percussions entrent en transe, le rythme s’accélère, soutenu par une guitare wah-wah puis des cuivres funky comme pour symboliser le réveil des consciences, avant que la mélodie reprenne le dessus après de magnifiques arpèges de harpe. Un instrument que l’on retrouve sur de nombreux morceaux, dont la sublime ballade soul orchestrale « The Makings Of You », où le falsetto immaculé du chanteur porte l’émotion à son paroxysme. Quant au funk irrésistible de « Move On Up » devenu culte, il n’a pas fini de faire chauffer les pistes de danse.
Mathieu Presseq