Qui de mieux que IAM pour faire la couverture de ce numéro spécial 20 ans ? Groupe emblématique de Marseille et de la région sud-est toute entière : 25 ans de carrière, plusieurs centaines de morceaux enregistrés et des dizaines de récompenses au compteur, les 5 guerriers de Mars jouissent d’une popularité intacte! L’occasion pour nous de faire un bilan du passé… et un point sur l’avenir !
Quel regard tu portes sur les 25 ans de carrière d’IAM ?
Nous sommes rentrés dans une ère paisible depuis quelques années, parce que nous nous sommes débarrassés de beaucoup de points nuisibles à la créativité. Je dirais que nous avons atteint une sérénité, un détachement, par rapport à quelques années en arrière où nous étions très à cheval sur certains détails. C’est tout bête mais nous voulons faire de la musique, nous faire plaisir point à la ligne. Chaque membre du groupe a d’ailleurs plus ou moins arrêté ses activités de productions ou management de labels pour se concentrer sur la musique. Ce qui fait aussi la force d’IAM c’est que nous avons réussi à traverser les moments difficiles. Autant chacun a ses défauts, autant il y a une intégrité et une honnêteté indéniables dans ce que nous faisons. Même si certains choix artistiques sont discutables, nous l’avons toujours fait comme nous le voulions, sans calcul intéressé. Et à un moment une grande partie du public qui nous suit arrive à comprendre ces choix.
Il y a 25 ans en arrière, est-ce que faire de la musique était plus facile que maintenant ?
Il est très difficile de comparer car chaque époque a ses difficultés. Aujourd’hui les jeunes artistes ont du mal à émerger de la masse car beaucoup de gens font de la musique, beaucoup d’artistes de tous niveaux différents. En ce qui nous concerne, avec notre expérience, nous arrivons avec un message clair, une identité assimilée. Pour un artiste d’aujourd’hui en revanche, il est très compliqué d’expliquer sa démarche, son message, ses intentions, son authenticité. Internet a un bon côté parce qu’il permet à des centaines d’artistes d’émerger, de pouvoir diffuser leur musique. Mais le revers de la médaille c’est que le public endosse le rôle d’arbitres, de juges, en écartant certains groupes.
Il y a 25 ans, il était compliqué de faire du rap, d’expliquer ce que ça voulait dire, dans une France de l’époque qui était versée dans le rock. Le rap était quelque chose de nouveau donc il y avait cette sorte d’Eldorado, de territoires à découvrir, d’être des pionniers. Le danger d’être un pionnier c’est se perdre en cours de route, se tromper de chemin.
« La force d’IAM c’est d’avoir réussi à traverser les moments difficiles. Autant chacun a ses défauts, autant il y a une intégrité et une honnêteté indéniables dans ce que nous faisons. »
Quel est ton avis sur l’évolution de la manière de consommer la musique ?
Les dernières avancées en termes de dématérialisation de la musique me laissent perplexe. Même si je suis le premier à copier un album et le mettre dans mon baladeur, j’ai auparavant fait la démarche d’acheter l’album sur un support physique, CD ou vinyle. Je ne conçois pas le fait d’acheter de la musique sans l’acquisition de l’objet en lui-même. Et puis, j’ai de grands doutes sur la qualité de la musique mise à disposition sur ces plateformes. Ça ne sera jamais équivalent au support physique.
Ce qui me rassure, c’est l’augmentation constante des ventes de vinyles, ce qui signifie qu’en dépit de cette dématérialisation, des gens font l’effort d’acheter des disques. Rends-toi compte que tous les exemplaires vinyles d’ « Arts Martiens » ont été vendus la première semaine de la sortie de l’album ! Ce que je souhaite c’est que le public ait le choix : CD, vinyle ou téléchargement pour ceux qui préfèrent. Le danger serait une augmentation considérable du téléchargement, ce qui induirait un abandon du support physique qui serait devenu plus assez rentable.
En France il y a une énorme hypocrisie par rapport au piratage musical : parce que c’est de la musique, parce que certains l’associent à un passe-temps, il devient presque « normal » de faire des copies pirates en téléchargement sur Internet, mais fais la même chose sur n’importe quel autre corps de métier, c’est presque la guerre civile. Tu n‘as qu’à voir lorsque le prix du lait augmente de 2 centimes, des gens massacrent des préfectures ! En ce qui me concerne la musique c’est mon métier, la façon dont je gagne ma vie, sur laquelle je passe des journées entières, ça me fait un peu mal au cœur de la voir mise à disposition gratuitement, écoutée ensuite en boucle pendant des journées entières ! Au moins si l’album te plaît tant que ça, va l’acheter. En plus, le prix du CD est l’un des rares ces dernières années à ne pas avoir augmenté, et même à avoir baissé ! Contrairement à certains produits de la vie courante qui ont vu leurs prix multipliés par 4 ou 5.
Quand ce sont des gens qui achètent des baskets à 250€ la paire qui te tiennent des discours sur le prix de la musique, il faut arrêter de se foutre de la gueule des gens deux minutes… Les sites de téléchargement illégaux sont montrés du doigt mais qui parle des revenus générés par la pub sur ces mêmes sites ?
« Il y a une énorme hypocrisie par rapport au piratage musical : parce que c’est de la musique, certains l’associent à un passe-temps, il devient presque normal de faire des copies pirates en téléchargement »
Est-ce que tu continues à suivre la scène locale et nationale ?
Oui bien sûr. Je suis d’ailleurs assez impressionné par cette nouvelle génération d’artistes rap qui arrive. Malheureusement, Marseille à un défaut d’exposition par rapport à la capitale mais ça on le sait, il faut se battre pour exister. J’ai récemment collaboré avec des artistes de la région parce que j’aime ce qu’ils font, parce qu’ils soignent leurs textes, leurs instrus. Je préfère travailler avec des gens comme ça plutôt qu’avec certains qui me voient encore comme une espèce de dictateur de la scène rap marseillaise.
Le label que tu avais créé, Me Label, a fermé, tu en retires néanmoins du positif ?
Beaucoup de positif pendant ces deux années où je me suis éclaté même si cela m’a demandé beaucoup de travail entre les sessions d’enregistrement, de mixage et de mastering. Le modèle économique n’était pas viable. C’est une grande fierté d’avoir expérimenté cette façon de travailler. Encore une fois, comme avec IAM, nous faisons les choses comme nous le voulons sans attendre qui que ce soit.
A quoi peut-on s’attendre pour l’avenir avec IAM ?
Nous allons ralentir le rythme des concerts, nous avons beaucoup joué en France ces dernières années. Peut-être faire des concerts à l’étranger comme ce que nous avons pu faire récemment à Hong-Kong ou à New-York. Nous allons essayer de travailler sur l’album d’IAM le plus tôt possible, puisque nous avons signé pour deux albums supplémentaires avec Def Jam. Nous avons déjà préparé quelques instrus. Si l’album peut voir le jour en 2016 c’est pas mal ! De nos jours, le public n’a plus la patience d’attendre un album 5 ou 6 ans.
Le rythme de sorties des albums d’IAM va donc s’accélérer ?
Oui car depuis la sortie de « We luv New-York » en 2011, le temps auparavant alloué au travail sur les productions annexes que nous avons économisé, nous le consacrons au groupe ou projets solo. Et en plus nous prenons beaucoup de plaisir à travailler de cette manière, je pense notamment au concert en Egypte pour nos 20 ans de carrière ou l’enregistrement de « We luv New-York » pendant un mois à New-York où nous avons retrouvé cette ambiance de travail si particulière : partir tous ensemble, cette émulation réciproque. Ça nous a réconciliés avec l’envie de faire de la musique.
Rémi Cavaillès
Le 07/11 au Moulin – Marseille (13)