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Après de longues années de silence, Secteur Ä, le légendaire collectif de hip hop français, fait son grand retour et reprend la route à l’occasion d’une nouvelle tournée en 2018. Dans la lancée de la tournée « l’Âge d’Or du Rap », organisée par la société de production Mazava Corp (fondée par Valérie Atlan), qui fut un réel succès l’an dernier, la grande famille du hip hop se réunit à nouveau pour le plus grand plaisir des fans. Et a comme objectif l’AccorHotel (ex-Paris Bercy) le 20 mai prochain, soit vingt ans, presque jour pour jour, après le mythique concert à l’Olympia en 1998 ; un événement national.
Un collectif qui a marqué l’histoire du rap français
Secteur Ä est un collectif hip hop créé par les membres du Ministère A.M.E.R et dont le leader est Jérome Ebella alias Kenzy. Un groupe de rappeurs, pour la plupart originaire du Val D’Oise, qui réunissait Passi, Stomy Bugsy, Doc Gyneco, Arsenik, Neg’Marrons, Hamed Daye, Mc Janik et la Clinique, Pit Baccardi, Jacky & Ben-J, Futuristiq, Fdy Phenomen et Singuila. Autant de personnalités et de rappeurs influents et talentueux de l’époque dont les noms resteront gravés à jamais au panthéon du hip hop de France. Ils marquent la fin des années 90 avec ce fameux concert à l’Olympia donné à l’occasion du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage, ce sera d’ailleurs leur seul et unique concert ensemble. Dans la même année, l’album live sort, « Live à l’Olympia » qui est l’enregistrement du concert et qui sera par la suite certifié double disque d’or. Grâce à une notoriété sans précédent, « Les 10 petits nègres », comme ils aimaient se surnommer, ont su séduire avec une attitude banlieusarde assumée largement apprécié par le public. Dans la seconde moitié des années 90, Secteur A tréma est quasi omniprésent sur les radios et les plateaux télés et prône le rap français. Réunissant plusieurs voix et flow différents, le groupe inaugure un marketing de masse inédit et propose à chaque public son rappeur préféré. Le secret d’une recette qui marche puisque le collectif collectionne les disques d’or, et vend près de 6 millions d’albums entre 1991 et 2001. Une véritable révolution musicale à l’échelle nationale, selon Singuila « C’est l’ADN du rap français, une bande de blacks qui réussissait et faisait rêver ».
Des titres inoubliables
Chaque membre du collectif a su apporter sa pierre à l’édifice Secteur Ä, des collaborations prestigieuses qui ont su faire frissonner les codes de l’industrie du disque comme jamais. Parmi les titres emblématiques, le single « Traîtres » de Ministère A.M.E.R ,sortit en 1991, est une musique dans laquelle Moda, Stomy Bugsy et Passi évoquent les traîtres dans la communauté noires, ainsi que les brutalités policières. Avec des propos engagés dans une forme « vulgaire », ce titre fort, sans censure a permis de hisser les trois rappeurs au rang de franc-tireurs gangsta rap face aux leaders de l’époque NTM et IAM porté par le slogan « Le savoir est une arme, maintenant je sais ». Autre classique, « Dans ma rue » de Doc Gyneco, sortit en 1996, est une véritable déclaration d’amour dédié à son quartier, le 18ème arrondissement de Paris. Gyneco, âgé de seulement 21 ans à l’époque, joue avec le vocabulaire lexical au travers d’un flow fluide en décalage avec le fond musical, et livre une magnifique chanson sur la ville lumière, avec une qualité de phrasé à souligner. Il y a eu des titres controversés aussi comme « Sacrifice de poulets » de Ministère A.M.E.R, sortit en 1995, où l’instru est lourde, surplombée du flow ravageur et violent de Stomy Bugsy. Dans ce titre les propos sont tellement virulents qu’à l’époque, le Ministère de l’Intérieur a porté plainte contre les rappeurs pour provocation au meurtre et injures publiques, une condamnation qui marque un tournant artistique pour le groupe. Et puis, comment ne pas parler de « Boxe avec les mots » du duo Ärsenik, sortit en 1998, issu de l’album « Quelques gouttes suffisent… » qui fut récompensé d’un double disque d’or en 1999. Calbo et Lino livre dans ce titre une démonstration d’écriture brut et d’un flow maîtrisé avec un thème qui fait le parallèle entre boxe et rap, le refrain est en featuring avec Doc Gynéco dont la punchline restera dans les annales : « si le rap part en couille, je lui prête mes boules ».
Une brutale séparation et une renaissance inattendue
Les années passent et l’histoire est ensuite moins jolie. Au début des années 2000, le mouvement Secteur Ä s’essouffle. Les artistes se sont davantage concentrer sur leurs carrières individuelles que sur la cause commune, ce qui a causé l’épuisement du collectif. Dans le même temps, l‘industrie musicale prend un nouveau tournant et les membres du clan font face à des choix plus ou moins compliqués, mal gérés en interne. L’aventure prend fin en 2005 quand la société d’édition Secteur Ä est placée en liquidation judiciaire. Kenzy, le meneur et porte-parole du groupe, disparaît de la circulation. Il ne reste à l’époque que quelques photos et interviews, sorte de « vestiges » du collectif, çà et là sur internet. La vie reprend son cours. Et puis, un peu plus de dix ans plus tard, Valérie Atlan, grande marraine du rap français, a eu la fabuleuse idée de les réunir. Elle a convaincu Kenzy et la plupart des membres du groupe de se reformer. Incroyable mais vrai, pour le plus grand bonheur des fans ! Bien que la séparation fut longue, les membres sont restés en contact et sont toujours aussi soudés. D’après Pit Baccardi « le collectif revient en famille, dans un esprit positif », et Doc Gyneco « on est encore plus heureux vingt ans plus tard de se retrouver ». Ce qui promet des concerts explosifs avec toujours autant de monde à scander les morceaux qui ont marqué les années 90. Les concerts seront composés d’une compilation de quarante titres de leur discographie pour deux heures et demi de show et une projection de courts-métrages sera également diffusée. Pour leur retour, les membres du Secteur Ä ont mit la barre haute pour marquer le coup, et les esprits une nouvelle fois.
Influences aujourd’hui
Même si le rap a eu un moment d’essoufflement en France, il n’en est pas mort pour autant ! Et nous avons la chance de voir de plus en plus de talents émerger. Depuis quelques années, la lumière est remise sur le rap, cette musique que beaucoup pensait violente et inappropriée est remise au goût du jour, comme pour la démocratiser. Puisqu’au fond, le rap n’est que la poésie de la rue. Certes la vie de Secteur Ä fut de courte durée, mais ses membres ont su influencer toute une génération de jeunes artistes grâce à des textes forts, bien écrit, une conviction sans faille, et bien sûr une bonne dose de talent. Un bel héritage, car certains artistes d’aujourd’hui ont certainement été bercé à coup de Secteur Ä.
Aurore Viberti
Le 04/05/18 au Dôme – Marseille (13).
Photo : FIFOU