NOSFELL

0
45

#NVmagZoom

Compositeur et chef d’orchestre autodidacte, Nosfell poursuit une carrière artistique exceptionnellement singulière. Auteur de trois albums, il a mis sa carrière solo provisoirement en standby après avoir intégré une troupe en collaboration avec le metteur en scène Philippe Decouflé. Il sort un nouvel album « Echo zulu ». Rencontre avec cet artiste accompli lors du festival Yeah ! cet été.

Dès le début de ta carrière tu t’es démarqué par ton univers qui t’es propre. On sentait qu’il y avait vraiment cette volonté de créer un univers complet. Es-tu toujours dans cette démarche ou bien as-tu évolué au fil du temps un peu différemment ?

Dès le premier album, il était question de parler de ce pays imaginaire qui est tatoué sur mon dos, qui me vient d’échanges nocturnes avec mon père. Il fallait que je lui raconte mes rêves. Il était polyglotte. En échange, il me racontait les siens. Il faisait les dialogues et mettait les personnages en scène. Il me faisait noter des mots que je ne comprenais pas. Après que mon père soit parti, j’ai gardé ses mots comme un fétiche qui sont devenus la base étymologique du langage dans lequel je chante parfois. Il y a beaucoup de ces chansons dans les 3 premiers disques. Ces disques sont conçus comme un triptyque, il y a treize personnages principaux dans cette espèce de saga. Il devait y en avoir 8 mais j’ai préféré faire trois disques et une annexe. Cette suite est un opéra, que j’aime appeler fantaisie lyrique, et qui résout en quelque sorte l’équation narrative des trois premiers disques. Je l’ai composé pour trente-six musiciens et sept voix. Il est sorti en même temps que le troisième album en juin 2009. Cela clôturait la description de ce pays, de ces personnages. La fantaisie lyrique est entièrement chantée dans cette langue inventée. Le troisième disque aussi d’ailleurs, à part deux titres en collaboration avec Daniel Darc et Josh Homme de Queens of the Stone Age. Mais j’ai toujours cultivé une sorte de syncrétisme à l’égard de la langue, il y a toujours un mélange entre l’anglais, le français et mon langage. Le français est apparu sur le deuxième album, mais dès le premier il y a eu beaucoup d’anglais. Le concept était de travailler sur l’écriture d’un anglais un peu suranné, un peu Lewis Carollien, avec ma voix plutôt grave, médium-grave, qui est la voix du conteur. Puis d’autres voix plutôt aiguës s’ajoutent et viennent chanter dans cette langue. Ca c’était une première période. Puis ensuite il y a eu « Amour Massif » ainsi que deux bandes originales de spectacle en collaboration avec le metteur en scène Philippe Decouflé. Là aussi c’est très syncrétique parce que Philippe m’a contacté à la fois pour mes qualités de compositeur et d’auteur mais aussi de performer. Et également parce j’ai ce que lui appelle une novlangue qu’il considère comme un genre ; c’est une culture qu’il aime beaucoup. Il y a beaucoup de gens qui l’ont intégrée dans la littérature mais aussi beaucoup en musique. Et pour moi, c’était intéressant comme travail.

Sur ces spectacles tu jouais les musiques en live ?

Oui je jouais, je composais et je performais. C’est pour cela que j’ai un peu disparu de la circulation, de là d’où je viens, des scènes de musiques actuelles. Parce que les spectacles de Decouflé ce sont des tournées mondiales d’environ 200 dates. Ce sont des gros spectacles.

Tu as parcouru le monde avec ce spectacle là ?

Oui !

Tu as atterri dans une troupe j’imagine ?

Oui, j’avais un peu un rôle principal, un peu central parce que je suis chef d’orchestre, je performe, je danse et je fais beaucoup de choses. Mais j’étais vraiment intégré dans un groupe, dans une troupe et ça c’était rigolo. C’est quelque chose que j’avais envie de vivre parce que je suis autodidacte et que je n’ai pas cette notion de troupe. J’ai plein de copains qui sont musiciens, qui ont fait le conservatoire et ont ces affinités avec d’autres musiciens avec lesquels ils sont allés à l’école. Moi qui suis très seul pour travailler depuis toujours, c’est un rapport que je n’avais pas vraiment connu.

C’est pour partager une expérience collective que tu as mis entre parenthèses ta carrière solo à ce moment là ?

Oui. C’est une espèce de side project que je signe quand même. C’est un peu hybride, c’est un peu bizarre. C’est un peu un monstre à deux têtes. Mais, j’ai eu l’opportunité de produire des bandes originales que j’intègre dans ma discographie. Et par ailleurs quand je joue en solo, il m’arrive de chanter une chanson du spectacle et même de raconter ce qui se passe sur scène à ce moment-là. Comme une espèce de mise en abime, donc c’est quelque chose que j’ai vraiment intégré dans mon répertoire. Cela en fait parti.

Tu va repartir sur une formule groupe plutôt ?

Oui, parce que c’est mon nouveau disque a été fait avec deux musiciens. J’ai voulu un disque qui soit plus intime, à la fois dans les paroles et dans les thèmes abordés. Il est assez proche de mon premier disque en ce sens que ce sont des structures très simples et courtes. C’est très minimaliste. C’est moins méandreux que le troisième album dans lequel y a beaucoup de parties, beaucoup de tiroirs qui s’ouvrent beaucoup de virages harmoniques etc. Là, j’ai voulu un peu revenir aux bases dans l’écriture, enfin surtout dans le vocabulaire. Car, l’écriture ne change pas pour moi, c’est surtout le vocabulaire qui change, et les nuances. Je veux qu’aucun disque ne se ressemble. Mais en cela, il ressemble un peu au premier. Et puis dans le son j’ai voulu quelque chose de très direct, de très live. Il est vraiment pensé pour un quartet, un peu un quartet de rock, mais il n’y a pas de basse, il y a les triques. Je joue de la guitare baryton qui est accordé comme un violoncelle avec seulement quatre cordes. Il y a une conformation batterie, saxophone basse, donc encore plus bas que le baryton qui pousse et qui plante les clous, et puis les synthétiseurs. Nous n’avons que des synthétiseurs des années 70, que des vieilles bécanes, mais sur scène nous ne pourront pas tourner avec car ils sont beaucoup trop fragiles. Je voulais vraiment remettre la voix au centre du travail, que la voix soit moins avalée par pléthore d’arrangements, pléthore de fréquences. Fréquentiellement, c’est vraiment bas médium, haut médium, c’est beaucoup dans les médiums et la voix se balade là-dessus. C’est très rugueux, très mat. J’ai voulu ça car je pense que, comme beaucoup, j’ai été très ému par ce qu’on traverse politiquement, militairement ; toutes ces violences ! Je pense que j’ai voulu proposer quelque chose de très direct, qui ne ment pas. Il n’y a quasiment aucun traitement sonore, il n’y a pas de boucle. Tout est joué en direct, c’est là, il y a de la sueur, je veux que l’on entende que ça joue. Je ne veux pas qu’il ait d’artifices, je ne veux pas qu’il ait de vernis.

Comment as-tu vécu la mutation de l’industrie musicale, en tant qu’artiste ? Et ce que cela t’a posé des freins, des embuches dans ce que tu voulais faire ? Le fait de n’avoir pas de structure établie comme on a pu connaître il y a vingt ans, quand l’artiste n’avait que son métier d’artiste à faire. Est-ce que cela a changé la démarche de l’artiste d’être un peu plus obligé de s’impliquer ?

Pour moi pas vraiment, parce que la structure de production avec laquelle j’ai produit le dernier album, elle existe depuis le début. C’est une structure que j’ai monté avec mon ancien manager pour mon premier album. C’est une SARL. Et ce n’est pas facile à tenir parce que je n’ai pas de fortune personnelle, je ne suis pas rentier. Donc c’est un tout petit capital dédié pour moi, pour ma production. Nous avons préféré cela plutôt qu’une association tout simplement parce que c’était une structure qui convenait à l’époque. Donc mon premier album était en licence.

Sur une major quand même ?

Il était en licence sur une majorette, sur V2, à l’époque. Et puis V2 m’a ensuite demandé d’être artiste chez eux pour le deuxième album. A la fin de l’exploitation j’ai eu de la chance par rapport aux autres copains, parce que V2 s’est fait avalé, et je me suis retrouvé chez Polydor Universal. Moi, je pensais que j’allais partir parce que je ne pensais pas trop qu’on me retiendrait. Mais ils étaient intéressés artistiquement donc je suis resté. J’ai toujours essayé de m’adapter. J’ai toujours essayé de voir ça – alors, c’est peut être un peu naïf – de manière anthropologique. C’est-à-dire que pouvoir écouter de la musique enregistrée pour soi de manière individuelle dans la vie des hommes c’est neuf. Alors que la musique existe depuis toujours. Tous les empires qui ont été bâtis sur ce principe d’enregistrement, de vente, de multiplication des stocks pour vendre un maximum, et qui ont connu leur apogée dans les années 80/90, ont commencé à chuter à la fin des années 90 avec les boot legs et l’avènement de l’art numérique. Mais quelque part c’est logique. Il y a une logique là-dedans il y a quelque chose de normal. Mais, moi ce qui me rend heureux c’est que les gens continuent d’aimer la musique et d’en écouter. Je rencontre beaucoup de gens passionnés de musique et cela me touche énormément. Ce sont des gens qui n’achètent pas beaucoup de musique mais en écoutent beaucoup. Je n’ai jamais pensé en termes de carrière et j’ai toujours eu du mal à me projeter. Mais c’est vrai que le fait d’avoir travaillé dans le spectacle vivant m’a aidé aussi.

Tu n’as peut être pas été impacté comme ont pu l’être certain. Il y en a qui ont presque stoppés leur carrière quand ils se sont retrouvés sans maison de disque. Ils étaient presque démunis.

Oui. Pour ma part j’ai toujours essayé de comprendre le métier des autres. J’ai toujours considéré que mon métier s’arrêtait là ou celui des maisons de disques commençait. Mais j’ai toujours voulu comprendre dans les grandes lignes comment les maisons de disques fonctionnaient, pour savoir de quoi on parle, pour pouvoir avoir une conversation cohérente dans le travail. Je suis un artisan, je n’aime pas être infantilisé. Je fais des choses concrètes parce que je suis dans une dimension artisanale. Et j’ai choisi de ne pas vivre au-dessus de mes moyens. Je ne suis pas quelqu’un de radin. Je viens d’un milieu vraiment très modeste et lorsque j’ai annoncé que je donnais ma démission pour faire ce métier, ma mère a vraiment flippé. Mais, en même temps, elle a toujours eu envie d’être artiste alors elle m’a encouragé. J’ai toujours eu ça en moi et je sais que j’ai choisi un métier qui n’est pas simple. C’est un métier en dents de scie. Donc du coup, je garde un niveau de vie cohérent et je travaille, j’écris et j’essaye de trouver de l’argent. C’est du taf ! De faire un deuxième gros spectacle avec Philippe Découflé m’a permis d’avoir du temps parce que cela m’a permis de gagner un peu plus d’argent. J’ai gagné beaucoup en droits d’auteur du fait que j’étais co-auteur du spectacle. Cela m’a permis de voir un peu plus venir et de prendre le temps de faire mon prochain album qui sort en octobre. Là où effectivement, si je n’avais pas eu ce spectacle, j’aurai été obligé de courir à l’intermittence et de faire des choses un peu rapide.

Sarah Foudrier

 

Le 13/10/17 au Cargo de Nuit – Arles (13).

www.nosfell.com

ZOOM-NOSFELL © FRANCK LORIOU3-WEB

ZOOM-NOSFELL © FRANCK LORIOU-WEB

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici