Doit-on encore présenter Moderat ? De l’association de Modeselektor (Gernot Bronsert et Sebastian Szary, héros de la bass music, fondateurs des prestigieux labels Monkeytown et 50Weapons) et de Sascha Ring a.k.a Apparat, à peu de choses près leur antithèse à l’électronique plus délicate, résulte une collaboration qui depuis 2008, offre une fraîcheur novatrice qui s’étend au-delà de la scène électronique berlinoise. C’est lors de leur passage à Marseille au Cabaret Aléatoire que nous avons pu rencontrer Sebastian Szary.
Comment la rencontre Modeselektor et Apparat a-t-elle eu lieu, qu’est-ce qui a fait que vous aviez directement accroché entre vous et ainsi décidé de travailler ensemble. Comment cette union est-elle née ?
C’était en 2001 à Berlin, dans une soirée, un petit festival dans un club avec des labels berlinois. Nous sommes venus pour représenter BPitch Control (Modeselektor) et Apparat est venu pour représenter Shitkatapult. Il a joué, nous aussi, et c’était la première fois ou l’on s’est réellement rencontrés.
Nous nous sommes présentés et avons présentés nos productions. Apparat a dit « Bonjour, je suis Apparat je fais ces sons » et nous avons dit « Bonjour, nous sommes Modeselektor et nous faisons du bruit (rires) ». Et nous nous sommes rendu compte que nous habitions dans le même coin à Berlin, à quelques pas du club. C’est comme cela que notre amitié a commencé.
Selon Gernot, le secret de la recette c’est que : « Moderat est basé sur l’amitié. Apparat et Modeselektor sont deux projets différents, comme peuvent l’être une pomme et une banane, mais ça reste des fruits, et ensemble on fait une bon gâteau » Quelle est la clé de votre collaboration fusionnelle, étant donné la différence de style, de rythme et de façon de travailler de chacun ?
La clé est que nous partageons ce même esprit de « rave ». Notre musique n’en est pas, mais nous avons grandi pendant la même époque, peu après le mur de 1990 à 1993, quand la musique techno était en train d’émerger et de grandir. C’était le moment, notre moment, donc nous avons organisé des soirées, des petites raves. Nous avons acheté des machines, un soundsystem et des stomboscopes. C’est d’ici que nous venons. La plupart des gens pensent « Le plus mélodique du groupe c’est Apparat, et Modeselektor, ce sont les « hooligans » (rires). Mais l’exemple le plus frappant dans le dernier album (II), c’est « Bad Kingdom » : le rythme est d’Apparat et il a principalement écrit les paroles de ce morceau. Mais Modeselektor amène aussi des éléments dans l’atmosphère de Moderat qu’ils n’apportent pas d’habitude dans Modeselektor. Vous voyez ce que je veux dire ?
Donc Moderat, ce n’est pas Modeselektor et Apparat, c’est juste Sasha, Gernot et moi. C’est un peu comme des vacances pour nos projets respectifs.
On retrouve dans les sons de Moderat des influences de Modeselektor et d’Apparat qui forment un univers indépendant, différent. Est-ce un autre secret de Moderat ? Mélanger de l’électro pop avec de la techno plus expérimentale ? Donc Moderat est une histoire d’expérimentation ?
Je pense que la vie est une histoire d’expérimentations (rires) ! En fait, l’expérimentation n’est pas le but. Bien sûr, les caractéristiques différentes de chacun entrent en compte, notamment le côté « Modeselektor » et le côté « Apparat ». Mais la chose principale est que depuis le commencement, c’était comme si nous créions un « soundtrack » (une playlist ?) pour toute une vie. Nous sommes dans ce film qui n’existe pas, c’est notre bande son. Ces trois albums sont le soundtrack de ces 10 dernières années. Donc asseyons-nous, regardons le film et écoutons sa musique ! (rires) . Nous pensons à beaucoup de sons, donc parfois, ce n’est pas facile !
Gernot dit que :« Moderat, c’est plus pour les esthètes de l’aristocratie »
Tandis que Apparat pense que : « Ce n’est pas une bonne chose de tomber dans une musique trop cérébrale ». Là encore, on constate que vous avez 2 visions et points de vues qui s’opposent entre vous ! Pouvez-vous développer un peu plus vos opinions?
Oui il a raison (rires) ! Quand nous sommes dans les studios, notamment pour faire « II » et « III », nous nous retrouvons à 10h ou 11h du matin et ce n’est pas comme si nous nous retrouvions plein d’engouement «Hey salut, nous allons faire un super morceau, comme « Animal Trails » tous ensemble aujourd’hui ! » mais c’est plutôt comme si nous y allions à reculons et sans envie « Oh non, encore cette merde, je n’ai pas envie de faire de la musique aujourd’hui, laissez-moi rentrer chez moi … » donc parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Nous avons deux studios, un qui nous appartient et un autre plus petit dans Berlin qui sont liés au bureau de Monkeytown.
Par exemple pour la production du dernier album, nous avons travaillé sur les 10 musiques en même temps. C’est tout le temps « j’ai une idée pour l’autre morceau, il y a un problème qui persiste». Donc on se sépare, la plupart du temps, je cerne le problème, je pars dans mon autre studio, qui est le studio « fumeur » et ça me prend 2 ou 3 heures. Quand je reviens, entre temps ils ont trouvé une solution à un problème, et j’amène aussi une autre solution. Et là on se dit « ouais, c’est cool, je n’y avais pas pensé !». C’est comme travailler toute une nuit sur une rythmique de basses… Faire de la musique peut être très douloureux et épuisant. Comme je vous l’ai dit, on ne peut pas aller en studio et dire « Hey, nous allons faire une musique aujourd’hui ! »
C’est peut-être parce que vous attendez toujours de trouver la perfection, non ?
Oui, effectivement. Nous commençons avec un loop, et le loop se transforme en son, et là tu penses que le son est prêt. Mais c’est comme une sculpture, tu as la pierre et la tu commences à tailler dedans, mais parfois tu tailles trop. Et lorsque tu travailles une pierre ce n’est pas facile de se rattraper, tu dois te débrouiller pour recoller les morceaux.
Est-ce que avant de créer un son il y a une phase de réflexion, ou est-ce que celui-ci vient uniquement de l’inspiration ?
L’inspiration vient en travaillant. La plupart des chansons n’ont pas été travaillées en amont au départ, certaines ont été travaillées, mais souvent nous effaçons ce travail préparatoire et nous coupons des parties des sons, en fait c’est un processus très complexe.
Comment pouvez-vous terminer un son, comment arrivez-vous à y mettre un point final ?
Si chacun de nous trois a comme le même sentiment, la même impression, là nous pouvons dire « ok, c’est bon, restons là-dessus ! » mais c’est souvent Gernot qui a le dernier mot. Après avoir fini une chanson, tu dois la mixer et certaines sonorités ont été oubliées entre temps et sont effacées au mixage, donc le son continue d’évoluer.
La mélancolie est récurrente dans vos albums, est-ce qu’elle représente votre état d’esprit ?
Je suis une personne très mélancolique (rires). Mais la vraie question est, qu’est-ce que la mélancolie ? Peut-être que parfois il y a quelque chose dans la musique qui est le déclenchement, qui amène ce sentiment le plus souvent de chaleur. Je pense que notre musique n’est pas froide.
Ça joue donc sur les sentiments ?
Oui, ça joue principalement sur les sentiments. Le premier album, nous l’avons fait entre l’hiver et l’été. Le deuxième, nous l’avons totalement fait en hiver. Pour chaque album nous avons changé l’emplacement du studio, et pour le deuxième celui-ci était au 12ème étage d’un grand building et nous ne voyons que le ciel, c’était génial. Pour cet album, nous avons commencé en automne 2014, puis nous avons glissé dans l’hiver et enfin terminé en été. Ça nous a pris exactement un an.
Le deuxième album, qui a été fait en hiver, est assez lourd et touche particulièrement les sentiments donc ?
Oui, et pour le troisième nous continuons sur l’idée du deuxième et nous amenons et jouons sur plus de variations. Nous essayons plus de choses, comme par exemple les synthétiseurs, nous avons des « hardware and software synthesizers » et nous avons beaucoup samplé la voix de Sascha, ce qui crée un effet solaire. C’est ce qui fait la différence entre le II et le III, le III reste sur la même lignée, sombre mais moins morose.
Dernière question, on vous a vu affectés par la récente disparition de Prince. Dans quelle mesure faisait-il partie de vos références ?
Je pense que c’est une légende. Il était vraiment un très bon musicien, il a fait des choses dans le business et l’industrie de la musique qui étaient vraiment différentes dans l’univers de la pop. Il faisait de la pop mais dans un univers très spécifique. Après c’est la vie, un jour nous devons tous mourir, mais c’était trop tôt pour Prince.
Il représentait donc plus une légende qu’une référence musicale pour vous ?
Je pense que parfois il a des influences oui. Ou plutôt il a eu des influences !
Et enfin, quel est votre morceau de Moderat préféré ?
Ooooooooh, ok (rires) ! Bien, après avoir joué ce live, sur le moment, j’ai beaucoup aimé « Animal Trails », parce que c’est un son qui est très court, c’est comme un son punk, c’est comme « 1, 2, 3 ! », c’est un morceau très intense. Tout comme « Intruder » ! Mais « Bad Kingdom » reste toujours aussi bien.
Lucas Marchetti
moderat.fm