MINISTÈRE A.M.E.R

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30 ans après « 95200 », le Ministère A.M.E.R se reforme pour nous offrir une tournée et nous faire revivre l’histoire du groupe de rap le plus engagé des années 90. Pour l’occasion, nous avons pu rencontrer Passi et revenir sur l’évolution des agents du Ministère Éloquent et Radical. 
30 ans après « 95200 », les thèmes que vous abordiez sont toujours d’actualité. Quel regard portez-vous sur cette évolution sociétale ?

Avec le Ministère nous dénoncions déjà les violences policières et l’hypocrisie politique. Nous avons continué en solo en prônant plutôt l’amour et le respect, mais les populations des cités n’ont cessé d’être stigmatisées. J’ai souvent dit aux politiques que je croisais que personne n’allait voir ces jeunes pour leur dire qu’ils étaient des français comme les autres, hormis au moment d’élections. De même, il n’y a pas d’émission TV valorisant les talents qui sortent de ces cités pour essayer de tirer ces jeunes vers le haut. C’est ce que nous essayions de dire avec le Ministère, mais nous n’avons pas forcément réussi à l’imposer.

Quel votre héritage dans le rap d’aujourd’hui ?

Nous faisons partie de la génération qui a emmené le rap de quartier jusqu’à TF1. Je pense que c’est un bel héritage dans le sens où, aujourd’hui, n’importe quel jeune qui rappe peut se dire que c’est possible. Je suis aussi très fier de la formation « Global Music Industry » que j’ai créé pour encourager les nouveaux talents. Je pense qu’un jeune qui travaille dur et se sert de tout ce qui est disponible (internet, les réseaux) peut réussir. Certains parlent de chance. Je pense que la chance, c’est lorsque l’opportunité et le travail se rencontrent.

Selon vous, qui pourrait porter des messages aussi forts que le Ministère A.M.E.R aujourd’hui ?

Il y a plein de nouveaux talents qui pourraient le porter, mais cela est plus difficile dans notre époque de surconsommation. Les morceaux de rap sont de plus en plus courts, comme des post Instagram. Tu passes d’une image à une autre, d’une punchline à une autre. Les raps qui développent un sujet du début à la fin sont beaucoup plus rares.

Peut-être qu’il est plus difficile d’écrire des textes aussi trash que ceux du Ministère à l’heure actuelle ?

C’est surtout difficile de les faire diffuser. Il y a toujours des rappeurs qui écrivent ce genre de textes et qui ont cette culture du boom bap, mais ils ont du mal à se faire entendre. Si tu écoutes la radio, tu trouves un rap plus électro avec davantage d’auto tune.

Depuis les débuts du Ministère A.M.E.R, vos carrières solos ont explosé. Comment se gère la transition du gangsta rap à des projets plus éclectiques ?

En plus de notre évolution personnelle, cette transition était une manière de se défendre. Lorsque nous avons débuté avec le Ministère, nous étions placés dans une case rap hardcore. Dans ce contexte, développer d’autres projets était un moyen de casser les frontières. J’aime beaucoup d’autres styles de musique. Par exemple, le zouk fait partie de ma vie. Cette inspiration s’est transformée en « Dis l’Heure 2 Zouk » qui portait aussi un message. Le morceau « Laisse parler les gens » prône le fait qu’on peut tous se mélanger. Cette inspiration m’a aussi conduit à créer Bisso Na Bisso. Tout le monde se demandait pourquoi j’introduisais de la musique africaine dans le rap, alors qu’aujourd’hui ce mélange est très présent. Il y a aussi eu le titre « Face à la mer » avec Calogero. C’était inconcevable que ce mélange entre rap et musique urbaine n’ait pas eu lieu avant. Aux États-Unis, il y avait déjà Run DMC et Aerosmith par exemple. Le problème venait des radios françaises qui étaient assez réticentes à diffuser ce type de mélange : pour les radios rap, ce titre n’était pas du rap, pour les radio rock, ce n’était pas du rock. Malgré tout, Calogero et moi nous nous entendions bien, chacun aimait le travail de l’autre, donc nous nous sommes lancés.

Pour la tournée, qui sera avec vous sur scène en plus de Stomy ?

Nous serons accompagnés de Driver, un rappeur qui a grandi à Sarcelles et qui a suivi toute notre aventure. Papillon de la Clinique et des Sales gosses, qui avait fait partie du Secteur Ä, sera aussi de la partie. Cela va nous permettre de faire revivre sur scène l’histoire du Ministère et d’expliquer d’où nous venons.

Avez-vous d’autres projets avec le Ministère ? Nous avons pu entendre des rumeurs sur un projet de série. Qu’en est-il ?

C’est effectivement un projet en cours et nous avons beaucoup avancé sur les écrits. Toutefois, il est très difficile de trouver des diffuseurs. Le but de la série est de raconter une certaine histoire de France et de ses quartiers. Nous aimerions aussi mettre en avant le côté « rigolade » que peu ont perçu dans le Ministère A.M.E.R. En effet, on rigole beaucoup dans nos banlieues. Et ce qui est fascinant est qu’on peut très vite passer du rire aux larmes. C’est une sorte d’excitation permanente qui nous a beaucoup marqué. Surtout, nous voulons montrer à la jeunesse ce rêve à la française et la possibilité de se construire, de tomber et de se relever pour aller au bout de ses rêves. 

Marie-Ange Galangau

facebook.com/ministereamer

Photo : On The Roots.

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