KRAFTWERK

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La musique électronique actuelle ne pourrait être ce qu’elle est sans ses influences diverses: Depeche Mode, Gary Numan ou Yazoo pour la synthpop 80’s; Front 242, Fad Gadget ou Nitzer Ebb pour l’EBM; Juan Atkins, Drexciya, Jeff Mills ou Derrick May pour la techno de Detroit; de même, le monde du hip hop ne serait pas le même sans ses classiques de breakdance: “Rock It” de Herbie Hancock, “Planet Rock” d’Afrika Bambaataa, “Scorpio” de Grandmaster Flash & The Furious Five, … Pas de ghetto music ou booty bass non plus sans l’influence majeure de 2 Live Crew ou Paul Johnson… Mais qui a directement inspiré tous ces artistes ? Un même nom ressort toujours de leurs bouches: Kraftwerk. En 45 ans d’existence, le groupe mythique vient enfin nous rendre visite pour 2 dates dans le Sud-Est à Monaco et Marseille, l’occasion rêvée pour revenir sur le parcours unique de ces jeunes allemands pourtant discrets dont l’influence a néanmoins façonné la musique des 30 dernières années.

Düsseldorf, 1971. Après 2 albums, le groupe Organisation devient Kraftwerk. Sous ce nouveau nom sortent 2 albums éponymes de plus. Leur style est déjà novateur; un rock progressif et psychédélique instrumental dont l’émergence de groupes au style similaire tels que Neu ! ou Can marquera l’Allemagne des années 70. La presse britannique dénommera ce genre musical “krautrock”, une connotation limite xénophobe, “kraut” étant l’équivalent français de “boche”… Mais en 1973, le groupe se sépare. Il ne reste alors plus que 2 membres: Ralf Hütter et Florian Schneider. Qu’à cela ne tienne, ils signent ensemble un album qu’ils intitulent sobrement “Ralf & Florian” (la recherche de titres d’albums ne semble pas avoir été un souci majeur pour le groupe). Cet album expérimental plus dépouillé et intimiste n’en sera pas pour autant inférieur aux précédents, les Kraftwerk y explorant plutôt de nouvelles voies électro-acoustiques; mais c’est l’année suivante, après avoir retrouvé 2 nouveaux acolytes sous les personnes de Wolfgang Flür et Karl Bartos que le nouveau quatuor enregistre l’album qui va tout déclencher: “Autobahn”.

Succès mondial, cet album-concept serait de nos jours qualifié d’ambient groove ou de trip hop instrumental avant l’heure, le morceau éponyme offrant 22 minutes lancinantes aux percussions sèches et aux effets sonores en tous genres alternant avec une mélodie naïve et les mélopées de Florian incarnant à la fois la plénitude et la répétition hypnotique d’un voyage sur une autoroute… Un envoûtement novateur et une approche complètement décomplexée de la musique électronique grâce à laquelle Kraftwerk transcende les frontières et touche le monde entier; une mission qui leur est chère, comme le prouvera le reste de leur discographie.

Jusqu’alors signés chez Philips, les 4 mousquetaires décident de monter leur propre label afin de sécuriser leur créativité et leur distribution, qu’ils baptisent du même nom que celui de leur studio d’enregistrement: Kling Klang. Une démarche rare pour l’époque car risquée, considérant que le groupe est basé en Allemagne et par conséquent moins enclin a être distribué efficacement sur le marché international. Et pour cela ils ont une combine: enregistrer une version anglaise et une version allemande de chaque album. Une technique qu’ils répèteront sur leurs albums suivants, se risquant même sur les faces B de leurs 45 tours à des versions en français, espagnol et japonais de leurs singles !

Kraftwerk veulent à tout prix populariser la musique électronique et faire passer leurs messages à la fois admiratifs et craintifs de la présence de la technologie dans notre environnement et son impact sur l’humanité. Ainsi, en 1975 sort “Radio-Aktivität” / “Radioactivity”, binaire, froid et alarmant, suivi en 1977 de “Trans Europa Express” / “Trans-Europe Express” aux sonorités métalliques, formant à la fois les prémisses de la musique industrielle et leur utilisation surprenante dans des rythmiques syncopées influencées du funk (le morceau éponyme sera repris par Afrika Bambaataa en 1985, fondateur du mouvement hip hop, sous le titre “Planet Rock”). En 1978, “Die Mensch-Maschine” / “The Man Machine” introduit l’image du groupe tel qu’il restera ancré dans l’inconscient collectif: chemise rouge, cravate noire, cheveux gominés, debout, immobiles, sérieux, froids, robotiques… à l’image du titre phare de cet album: “Die Roboter” / “The Robots”, constat cynique de la condition de l’humain qui commençait déjà à se laisser dominer par la technologie. Ils enfoncent le clou en 1981 avec l’album “Computerwelt” / “Computer World”, devenu l’album référence pour la plupart des artistes électroniques ayant commencé dans les années 80, son titre “Nummern” / “Numbers” introduisant un style nouveau à part entière: l’electro. Non le terme générique qu’il est devenu de nos jours mais le style musical qu’on appelle maintenant breakbeat ou electro-funk. Il se fait alors rapidement approprier par les danseurs des ghettos new-yorkais qui créent le breakdance. En 1983, en pleine apogée de cette mode, Kraftwerk sortent un maxi 45 tours qui n’appartiendra à aucun de leurs albums: “Tour De France”. Mieux produit que les efforts de leurs disciples, le disque fera mouche comportant néanmoins toujours cette mélodie naïve qui fait la marque de fabrique du groupe, histoire de ne pas se faire trop vite oublier…

Puis le début de la fin approche. Il faudra attendre 3 ans pour que sorte “Electric Café” en 1986, mais cette fois-ci, c’est un échec. Il n’y aura pas de versions en plusieurs langues, le niveau de production n’est pas au niveau de ce qui se fait, les morceaux ne se démarquent pas vraiment… L’année suivante, Wolfgang part et sera remplacé par Fritz Hilpert. Karl Bartos suivra et aura plusieurs remplaçants…

En 1991 sortira un best of de leurs classiques remaniés au goût du jour mais, trop gentillets, Kraftwerk ne seront pas en phase avec le son de la techno émergente. On n’entendra plus parler d’eux jusqu’en 2003 et “Tour De France Soundtracks”, un comeback attendu. Kraftwerk allaient-ils mettre leurs élèves à l’amende ? Finalement non, mais l’album reste irréprochable et honnête. Le son unique de Kraftwerk retrouvé. Un bel épilogue montrant qu’ils ne cherchent à concurrencer personne, qu’ils ont leur identité propre, et que ce qu’ils savent faire, ils le font bien.

Depuis, Kraftwerk n’ont plus sorti d’album studio. Ils se contentent de parcourir le monde en changeant interminablement le line-up du groupe en s’efforçant d’être toujours 4 sur scène, stoïques et immobiles, conformes à l’image qu’on s’attend à voir d’eux. Du line-up original, il ne reste que Ralf Hütter. Même Florian, son acolyte de toujours (et vocaliste de leur entière discographie), a raccroché les gants en 2008. Mais au-delà du groupe, Kraftwerk est un concept engagé, un style unique, une icône vivante qui a bien plus influencé le monde musical que nous ne le percevons (oui, même Coldplay reprennent la musique de Kraftwerk dans leur chanson “Talk”), et pour toutes ces raisons, voir Kraftwerk se produire enfin dans notre région en fait un évènement véritablement rarissime et essentiel.

Christopher Mathieu
Le 11/11 au Sporting – Monaco (98) et le 12/11 au Silo – Marseille (13).

www.kraftwerk.com

 

Crédit photo : Peter Boettcher

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