Solaire, enjoué et généreux : Mathieu Hocine – alias Kid Francescoli – reste fidèle à lui-même, malgré une popularité désormais planétaire. il nous a accueillis dans son petit studio de la rue Paradis pour parler de son dernier album, de ses folles tournées et plus encore.
Cela fait bientôt vingt ans que tu as commencé ta carrière musicale sous le nom de Kid Francescoli. Ton succès est grandissant et ta carrière à l’international a explosé. Comment vis-tu popularité et longévité ?
Comme un rêve éveillé ! Je rêve de ça depuis tout petit, depuis que j’ai commencé à faire de la musique. À part peut-être la fatigue je ne peux me plaindre de rien ! Quand on me demande des photos en fin de concert je suis ravi, quand on m’écrit des messages je réponds toujours… Je ne peux pas refuser ça, et c’est sincère, ça me fait tellement plaisir. Ça vient surtout du fait que tout ça a pris du temps. Aujourd’hui, c’est installé, on fait le tour du monde, on tourne aux États-Unis. On a fait une tournée européenne incroyable, des salles pleines et surchauffées, avec une ambiance de folie comme à Amsterdam, Berlin, Bruxelles, Milan, Barcelone, Madrid… C’était incroyable ! Quand j’ai commencé, j’ai fait des concerts devant cinq personnes, ou devant cent personnes qui ne m’écoutaient pas dans un bar de New-York… Aujourd’hui, je ne refuse quasiment aucune date et je suis toujours content quand je vais faire un concert, même si on joue parfois cinq jours d’affilée, même si on part trois semaines – un mois de suite. C’est un peu dur parfois mais je le vis bien. Je me demande même comment on peut mal le vivre.
Ton album “Sunset Blue” est sorti en septembre dernier. Le bleu pour… ?
Pour la méditerranée, ce bleu de la méditerranée que j’ai au quotidien sous les yeux et qui est la toile de fond de cet album. Les deux dernières tournées étaient très grandes tant en dates qu’en distance. On a joué en Indonésie, en Chine, au Liban, au Mexique. Avant, je ne tenais pas en place et je voulais sans cesse partir conquérir le monde ; là, chaque fois que je revenais je me disais : “on est quand même trop bien à la maison!” ! Avec la mer sous les yeux. Ce bleu fait également référence au bleu du blues, de la mélancolie ; c’est quelque chose qui résume bien l’ambiance de l’album. J’ai fait quelques recherches et j’ai découvert que le “sunset red” est une couleur, c’est le rouge “coucher de soleil”. C’est important pour moi que dans le titre de l’album, il y ait quelque chose qui fasse référence à ce qu’il contient.
Les femmes et leurs voix ont toujours eu une grande place dans tes projets. Comment l’expliques-tu ?
J’ai beaucoup essayé de trouver des raisons psychologiques à tout ça ! (rires). En fait, je crois que ce que j’aime ce sont les chansons avec des voix féminines. J’aime les chanteuses. Autant que j’aime le sens de l’harmonie d’Ennio Morricone ou celui du beat de Dr. Dre, j’aime Nina Simone, Lana del Rey, Billie Eilish, Nancy Sinatra, François Hardy ou Jane Birkin… C’est juste un élément de mes goûts musicaux personnels ! Quelque chose qui revient quand je compose ; ça m’influence par ma façon d’apprécier la musique. J’aime la musique contemplative ou mélancolique autant que l’électro, j’aime la musique de films, un certain type de voix de chanteurs comme Julian Casablancas ou Gainsbourg plus que celle de David Bowie, par exemple.
Les voix de chanteuses, ça m’inspire depuis toujours. J’avais des morceaux presque finis, et j’ai contacté Julietta et Sarah, deux chanteuses américaines. Ça a matché tout de suite. Parfois, tu tournes autour du pot avec un titre, tu ne sais pas si tu vas en faire un instrumental. Et, tout à coup, une voix vient se poser dessus et amène une étincelle comme par magie : il n’y a pas plus de questions à se poser. Sur scène, de fait, je refuse de faire des concerts seul ; je n’ai pas envie de faire une formule électro, mais plutôt d’avoir avec moi une interprète féminine. Je suis ravi de la configuration sur scène de notre tournée actuelle avec Andréa Durand, qui chante magnifiquement bien et joue de la basse, ainsi que Raphaël Léger à la batterie. Moi, je m’occupe des machines et claviers, c’est le mix parfait entre électro et instrumental. J’avais envie de ça.
Nous avons pu interviewer French 79 récemment. Vous vous connaissez bien…
On a évolué de manière presque parallèle ! On fait presque les mêmes salles, les mêmes tournées… Son studio est collé au mien. C’est un frère musical, c’est quand on a commencé à bosser ensemble que tout a un peu pris, entre le projet Husbands ou Nasser. Puis il a produit mon album… On a grandi ensemble en s’écoutant, se conseillant, se rassurant. C’est une vraie complicité musicale, on pourrait en parler ensemble pendant des heures.
Ayant commencé il y a longtemps, tu as vu l’industrie musicale évoluer, se transformer. Quel regard portes-tu sur les évolutions apportées par l’explosion d’internet et ses conséquences sur les métiers de la musique ?
Personnellement, je ne peux pas trop m’en plaindre. Beaucoup mettent le doigt sur le fait que Spotify ne paye pas beaucoup et que c’est compliqué de vivre de la musique. Je suis très reconnaissant de pouvoir en vivre aujourd’hui, c’est incroyable. Je mesure ma chance. Je me dis parfois que s’il n’y avait pas eu internet, je n’aurais peut-être pas fait de musique, je n’aurais pas été connu à travers le monde. À l’époque des CDs et des grands labels, on aurait pas pu sortir nos albums au début. Tout le monde peut sortir des titres et les mettre en ligne facilement. Après tu ne sais pas ce qu’il peut se passer. Dans les années 90, c’était un monde auquel je n’avais pas du tout accès. C’est toujours dur de vivre de la musique aujourd’hui, mais il y a plus de possibilités. Quand je regarde le nombre de streams à l’étranger, je réalise que c’est grâce à internet. Je me souviendrai toujours : mon premier concert, à Rome, c’était avec Myspace ! J’avais reçu un message d’un certain Mikele de Roma qui nous proposait de venir jouer à son petit festival. On a pris un Ryanair avec tous nos instruments, on n’avait pas dormi, c’était fou ! J’ai donc commencé en me disant : “ merci internet !”
Sur le thème de l’évolution, on peut aussi parler de la technologie, les machines, synthés disponibles aujourd’hui. Est-ce que ta façon de composer évolue avec ça ?
Je ne sais pas : à part les tous premiers morceaux que j’ai fait pour me faire la main, j’ai toujours fait de la musique avec un ordinateur et des instruments virtuels, censés singer les vrais. Je les ai en vrai aujourd’hui, mais je continue à composer avec des virtuels également. Quand je vois les jeunes aujourd’hui qui font des instrus très très vite avec FL Studio – anciennement Fruity Loops – qui a d’énormes banques de sons, ça m’impressionne. J’aime le fait qu’il se passe le moins de temps possible entre une idée et sa concrétisation en morceau sur l’ordi. J’ai grandi avec le home studio.
Y a t-il une collaboration artistique qui te fait rêver ?
Oui, mais ce sont plus des idoles. Par exemple, j’adorerais avoir Lana del Rey ou Rihanna en featuring sur un album. J’adorerais faire un morceau avec Frank Ocean. Plus que tout au monde, j’aimerais passer de la première à la dernière seconde de composition avec Julian Casablancas, des Strokes, dans son studio. C’est un génie de la mélodie, je ne m’en lasserai jamais. À l’époque de la création de mon album “Lovers”, j’avais dans mon cercle proche ou via des messages, des propositions de chanteuses. Ce n’était pas des collaborations “rêvées”. Alf – qui a mixé cet album, après avait mixé “Moon Safari” de Air ou bossé avec Phoenix – m’a dit : “c’est mieux comme ça, tu crées ton propre truc sans faire un album de featurings”. Je me sens un peu libéré de ça maintenant.
Tu as fait un deuxième Olympia l’année dernière, tu étais aussi excité que la première fois ?
À fond ! Déjà, tu m’as dit Olympia, j’ai tremblé ! (rires). Le premier était particulier parce que c’était au début de la reprise des concerts après le covid : on avait fait deux sessions car il fallait qu’il y ait moins de mille personnes, assises, masquées… La dernière fois, c’était un “vrai” Olympia, avec toute la famille qui était venue de Marseille. Ça fait partie des trucs, comme la tournée aux Etats-Unis, qui sont des fantasmes jamais rassasiés ! Si je refais un troisième Olympia, je serai toujours aussi content ! Dans les loges, je suis toujours en train d’imaginer tous les artistes qui s’y sont assis ! J’en ai tellement rêvé : avant que je sois blasé, il va falloir du temps…
Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour le reste de la tournée ?
Je veux garder ce rythme-là ! Je ne veux pas que ça s’arrête. Que la prochaine fois qu’on se voit, il y ait toujours tout ça, l’ Olympia, la tournée au States, les festivals. Tout.
Lucie Ponthieux Bertram
Le 24/08/2024, dans le cadre du Palmarosa Festival, au Domaine de Grammont – Montpellier (34).
Photo : Nicolas Despis.