HIGH TONE

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Plus de vingt ans d’existence, sept albums, un nombre incalculable de participations à des projets aussi passionnants que mémorables, des scènes comme s’il en pleuvait, High Tone, représentant intemporel de la musique dub hexagonale, demeure, plus que jamais, fidèle à lui-même, le cœur gravé sur un disque vinyle. Aujourd’hui, le public qui les soutient et les accompagne à chacun de leurs concerts se retrouve, les yeux fermés, en une communion intergénérationnelle. Tenter de découvrir le secret d’une telle longévité à quelques jours de la sortie de leur huitième album “Time Has Come”, comprendre l’importance de l’utilisation des nouvelles technologies dans une musique qui se veut issue d’un son reggae ancestralement traditionnel, décrypter la nature d’un message diffusé en l’absence de chant, telles sont les questions auxquelles Julien Oresta, aka Aku Fen, guitariste de la formation, a gentiment accepté de répondre tout au long de cet entretien. 

A quelques jours de la sortie de votre nouvel album “Time Has Come”, quelles sont vos attentes en matière d’accueil de celui-ci ?

Comme à la sortie de chacun de nos albums, je dirais que les interrogations se font plutôt ressentir du côté des auditeurs. Les membres d’High Tone sont tous de grands passionnés de musique dans ce que cet art a de plus éclectique, aussi, il est vrai que le public ne sait jamais trop à quoi s’attendre en matière de contenu lorsque nous présentons une nouvelle composition. Le disque sera-t-il très dub, un peu, pas du tout ?  De notre côté, les attentes sont naturellement dirigées vers les premières critiques qui, immanquablement, bonnes ou mauvaises, ne manquent pas de rapidement voir le jour. “Time Has Come” sonne plus électronique que dub. Nous sommes donc préparés au fait que nos fans hardcore des débuts, ceux qui souhaitent inlassablement nous entendre jouer du dub défini par une ligne très ethnique, seront cette fois un peu plus mordants que les autres. Encore qu’il faut bien l’admettre, partiellement conçu en Chine, cet album contient une dose non négligeable de musique du monde et de dub en voûte centrale. Au lendemain de la parution du premier clip vidéo accompagnant ce nouvel album, nous avons pu constater que les premiers commentaires étaient très positifs malgré le côté troublant de celui-ci. Je pense que ce retour positif vient quant à lui d’un jeune public plus aguerri à une écoute d’un spectre plus large de genres musicaux représentés par, notamment, des artistes tels que Panda Dub et Rakoon qui ont su apporter une réelle touche de nouveauté au genre dub. Ce qui est intéressant, avec les critiques, c’est d’observer comment celles-ci évoluent avec le temps. Une personne peut très bien te laisser une critique négative et en changer le fond du tout au tout quelques mois plus tard.

Diriez-vous que, dans sa globalité, ce disque se dévoile sous un aspect moins oriental qu’à l’accoutumée, avec des notes plus techno, voir acid, comportant même des sonorités propres aux années quatre-vingt-dix ?

En tous cas, il est sûr que dans la palette de sons utilisés, nous avons eu recours au hip-hop, au dubstep, à de la musique très cinématique ainsi qu’à beaucoup de musiques ethniques. Et si, dans les années 2000, nous avions eu un virage très hardcore, très techno, il faut admettre que ces influences sont encore un peu présentes dans notre travail aujourd’hui.

“Time Has Come” est votre septième album. Quel est le secret d’un bon album selon vous ?

(Rires) Si nous avions la recette et le secret de la composition d’un bon album, nous l’utiliserions à bon escient. On ne sait jamais à l’avance. Un album est un arrêt sur image du chemin parcouru entre celui-ci et l’album précédant. Chaque sortie de disque est ponctuée par une tournée durant laquelle, si la créativité liée à la composition est un peu mise de côté, les expériences, qu’elles soient d’ordre collectif ou bien individuel, viennent alimenter nos vies. Ce sont toutes ces nouvelles sensations, ces nouvelles envies que l’on va essayer de mettre en musique au bout du compte. Après, le secret du bon album, j’aurais tendance à dire que tout dépend du style, du résultat attendu. Malheureusement, je dois admettre, qu’à notre goût, il y a de moins en moins de lancement d’albums concepts, cela étant dû au fait que les auditeurs achètent de moins en moins d’albums dans leur intégralité au profit de titres isolés, de singles. La compétitivité dans ce domaine, le nombre croissant de moyens existants pour diffuser la musique, tout cela rend la composition d’un bon album de plus en plus difficile à réaliser dans son unité. Pour nous, les bons albums sont clairement ceux présentant un aspect plus thématique, et même si ceux-ci sont de plus en plus durs à trouver, il en existe encore Dieu merci. Après, il ne faut pas non plus oublier qu’un bon album le sera pour une personne et pas pour une autre.

Votre point de vue sur le retour du vinyle ?

Tous les albums d’High Tone sont sortis en disques vinyle. Nous vendons, au moins, autant de vinyles que de tout autre support de production musicale. Il y a vingt ans, tout le monde nous vendait la mort de celui-ci et pourtant, force est de constater que le vinyle est toujours là. Nous en sommes ravis, le disque vinyle est un bel objet.

Le dub est-il, justement, un style musical qui se prête au format vinyle plus que d’autres types de musiques ?

Non je ne crois pas, le vinyle se porte à tous les styles. Maintenant si tu fais référence à la comparaison entre le son vinyle et son équivalent numérique, je te répondrais, qu’à mon avis, tout dépend de la qualité du matériel utilisé pour la diffusion de la musique que tu écoutes. En règle générale, je ne trouve pas que le son d’un CD diffère tant que cela de celui d’un disque vinyle, même si, tu as raison, le vinyle propose une autre approche quant à l’écoute d’un son.

Comment trouvez-vous l’inspiration nécessaire pour vous renouveler en permanence depuis la parution de votre album “Bass Température” ?

Persévérer dans l’écoute du monde qui nous entoure, continuer à tendre l’oreille vers les différentes musiques créées aujourd’hui, en jouer, s’assumer en tant qu’artistes professionnels, ne pas se lasser d’expérimenter de nouvelles émotions à travers sa propre musique. Le piège, c’est de tomber dans l’automatisme. Il ne faut pas hésiter à patienter avant de produire un disque. Il est vrai qu’à certaines époques nous avions des rythmes de production beaucoup plus réguliers qu’à d’autres. Cela correspond au fait qu’il est nécessaire de prendre le temps de ressentir l’envie de créer quelque chose de nouveau. D’en avoir l’envie et le matériel. Certains groupes ont une carrière très courte, d’autres une carrière longue, voire très très longue, la musique est juste une histoire de passion. Et quand celle-ci vous dit qu’il est temps, alors c’est qu’il est temps. Se renouveler est en soi, pour High Tone, par définition, plus facile qu’un groupe produisant de la musique de type dance music, ces musiques qui se doivent de respecter des règles établies afin de justement faire danser les gens. Nos albums racontent des histoires, nos histoires, et celles-ci changent à chaque fois.

Quelles sont vos influences actuelles ?

Nous écoutons énormément de choses. Concernant les toutes dernières influences, notre batteur a un projet annexe qui se nomme “Midnight Raver”, et dans le cadre de cette aventure, il s’est énormément rendu en Afrique afin de récolter ce qui se faisait tout dernièrement en matière de musique électronique africaine. C’est exactement dans cet état d’esprit que nous piochons nos influences du moment. Pendant très longtemps, le modèle anglo-saxon s’est imposé comme une espèce de référence à partir de laquelle l’ensemble des acteurs issus des pays émergents travaillaient dans le but de produire des sonorités, des mélodies. Quel qu’était le continent d’origine de la musique, elle ressemblait à ce que les anglais faisaient. Aujourd’hui, avec la démocratisation des techniques permettant la composition de la musique électronique, puisque c’est de celle-ci que nous parlons, le phénomène s’est inversé, que ce soit en Afrique, en Amérique du Sud ou bien même en Chine où nous avons passé pas mal de temps ces quinze dernières années. Les identités culturelles remontent à la surface et s’imposent clairement sur les sons produits. Mieux encore, ces musiques commencent, à leur tour, à servir de référence au sein de la composition anglo-saxonne.

Comment sélectionnez-vous vos samples et comment construisez-vous vos morceaux ?

Il n’y a pas vraiment de méthode. Le sampling amène une teinte, une sonorité qui ne serait pas réalisable par les méthodes d’utilisation d’instruments de façon classique. Je veux dire par là que le sampling ressuscite non seulement le son d’un instrument, mais surtout l’ambiance créée par le lieu où il a été enregistré la première fois, et cela à un moment bien précis. Par exemple, il n’est pas aisé de pouvoir jouer de l’orgue dans une église au quotidien pour en récupérer les mélodies et les sonorités. En cela, les samples présentent un réel intérêt, ils apportent une texture au morceau dans lequel ils sont intégrés. Au même titre, le sampling vocal permet de pallier à l’absence d’un bon chanteur au sein d’un groupe.

Quel message souhaitiez-vous véhiculer à travers le titre de ce nouvel album “Time Has Come” ?

La phrase du titre vient d’un sample tiré d’un texte de Timothy Leary qui était un apôtre du LSD. La citation intégrale disait en fait “Time has come to open your mind”. Elle traite de l’importance de garder ouvertes les portes de la perception [N.D.L.R. « The Doors of Perception » d’Aldous Huxley]. Un message qui est plus que jamais d’actualité dans cette société surveillée qui est la nôtre. Il s’agit d’inviter chacun d’entre nous à s’amuser tout en restant vigilant, tout en ouvrant son esprit. Ce titre est un appel au questionnement spirituel ainsi qu’à la contemplation écologique. Respectez votre planète, ressentez-la. Cela peut paraître évident, mais il est intéressant de constater qu’un message vieux de quarante ans a toujours besoin d’être répété. Nous nous méfions du côté démagogique des conseils donnés de façon systématique. Nous préférons nous concentrer sur l’associatif à travers la construction de petites structures. Dans le même esprit, nous refusons de nous compromettre auprès de grosses majors. “Time Has Come” est un miroir dans lequel vient se refléter toutes nos valeurs.

Quelle part la spiritualité tient-elle dans votre œuvre ?

Nous nous revendiquons d’un agnosticisme certain. Et dans cette même sphère spirituelle, chacun des musiciens d’High Tone a ses propres croyances. Je ne parlerai donc pas au nom du groupe. Ceci étant dit, il y a fond commun, une ligne directrice qui accompagne tous les albums d’High Tone. Au travers de toutes nos interviews, de tout ce que les membres ont pu dire sur la musique que nous créons, nous avons, je pense, su dire que nous ne sommes pas là pour diffuser des messages de baba-cool. Nous sommes avant tout des amoureux de la musique à la recherche d’un équilibre dans notre création et les différentes directions que celle-ci prend. Il s’agit, somme toute, d’une spiritualité qui peut également prendre le visage d’actes concrets. Il y a une certaine forme de spiritualité à rejoindre le milieu associatif à partir du moment où cela est réalisé dans une démarche de bienfaisance, de mélange des genres, de rencontres. Le tout, encore une fois, sans tenter d’imposer quoi que ce soit.

Après vingt ans d’existence, quel bilan tirez-vous de votre voyage musical au-travers de toutes ces années ?

En tout premier lieu, si c’était à refaire, nous le referions. Bien sûr, il s’agit d’une vie éloignée du modèle standard de bien-être matériel, nous ne gagnons pas beaucoup d’argent, nous avons décidé de ne pas nous vendre, de ne pas nous corrompre. Il n’empêche que, le parcours est superbe, nous avions moins de vingt ans lorsque nous avons commencé cette aventure, nous avons fait le tour du monde entre amis, vécu des expériences inoubliables. Nous n’avons qu’une envie, continuer encore.

Pensiez-vous, à vos débuts, que votre carrière allait perdurer aussi longtemps ?

Non, pas du tout. La vision que nous avions des autres groupes à l’époque, lors de nos débuts, était plutôt celle d’artistes des années soixante-dix qui se cramaient et ne vieillissaient pas vraiment. Sincèrement, je crois qu’aucun groupe ne soit capable de se projeter sur une carrière de vingt ans ou plus. Nous n’étions pas des musiciens professionnels lorsque nous nous sommes rencontrés, nous étions une famille, nous nous connaissons depuis l’enfance, et cela nous a énormément protégés. Toutes ces tensions apportées par le succès, les tournées, nous avons su, très tôt, nous en protéger. Tout est parti d’une réelle amitié au sein de laquelle la notion de professionnalisation n’a vu le jour que bien plus tard.

Le dub depuis ses débuts, fin des années soixante, a toujours su se montrer à la pointe de ce que la technologie offrait de mieux en musique. Avez-vous, vous-même, subi cette évolution ou bien utilisez-vous les même technologies qu’à vos débuts ?

Ce qui nous plait dans le dub, c’est que, depuis les années soixante en effet, il a su se montrer leader des expérimentations qui ont mené à la création et à l’évolution de la musique électronique sous toutes ses formes actuelles. Il a su rester underground, se tenir à distance du mainstream, protégeant ainsi son intégrité. Nous utilisons certains outils qui étaient déjà présents aux origines du dub, mais, également, des outils plus modernes. Cependant, même s’ils évoluent et se modernisent au fil du temps, les techniques restent identiques. Là encore, l’esprit reste maître dans le processus de la création, et ce quel que soit le degré d’avancée technologique dont nous disposons. Je crois que cela est commun à tous les styles musicaux. Je pense que si nous devions remonter l’arbre généalogique des différents courants musicaux, nous arriverions à des ancêtres communs. Les caractéristiques évolutives de la musique qui ont conduit à l’apparition du dub sont essentiellement la mise en avant de basses et l’utilisation systématique de samples. De ces répétitions est né le hip-hop, de ses effets sonores, la techno, etc… C’est aussi ce qui nous a charmé dans le dub, ce sentiment qu’à la fin des années soixante, un virage avait été pris, un virage qui allait donner naissance à une multitude de ramifications musicales par la suite.

Quelle est la place du dub en 2019 ?

Il est aujourd’hui moins figé qu’il ne l’était à ses origines. A l’instar des autres musiques, le dub a su se différencier, se moderniser au fil du temps. Certains sound systems jouent encore un dub très roots là où d’autres pratiquent un dub très digital. La France est un pays qui a su constamment insuffler une énergie au dub et redonne, régulièrement, la part belle à ses artistes en les re-propulsant sur les devants de la scène, des artistes tels qu’O.B.F par exemple. La France sert de repère pour les pays comme l’Italie, le Mexique ou bien même encore l’Angleterre, des pays qui regardent ce qui se passe chez nous. Cette pseudo notoriété a permis à des groupes comme O.B.F justement de faire quinze fois le tour du monde. Ces artistes remplissent des salles dans tous les pays du globe, il suffit de jeter un coup d’œil à l’agenda d’O.B.F pour comprendre qu’il n’est pas nécessaire d’être un groupe à connotation commerciale pour faire bouger les gens. Il est nécessaire de mentionner, au même titre que les piliers du genre, les nouveaux groupes tels que Panda Dub, Rakoon et O.D.G, le travail qu’ils réalisent est essentiel au renouveau du dub, ces groupes distillent des sonorités plus transe, plus modernes au dub.

Le fait d’être un groupe dépourvu de chanteur ne représente-t-il pas un frein dans la diffusion de votre message ? De fait, comment palliez-vous cette absence de chant au sein de votre musique ?

Nous avons toujours été influencés par la musique sans chanteur. Dans les années quatre-vingt-dix, il y avait le hip-hop, mais nous étions attirés par ces courants de musique électronique qui se formaient et qui, pour la plupart, n’avaient pas de chanteur. Cela permettait de se reconcentrer sur la musique, sa sonorité et le son qui la définissait. A l’époque nous ne connaissions pas de bon chanteur et ne voulions pas faire le choix de l’utilisation d’un chanteur moyen, voire médiocre. L’absence de chant au sein d’High Tone n’est absolument pas réductrice, au contraire, elle permet à chaque musicien du groupe de s’exprimer pleinement à travers son instrument. De plus, ce mode de fonctionnement correspondait à notre désir de ne pas tomber dans la démagogie caractérisée par la diffusion de grandes leçons et de conseils. Après, cela ne nous empêche pas d’apprécier pleinement les collaborations occasionnelles avec d’autres chanteurs tels que Martin Campbell, Shanti D, etc… Nous n’avons pas envie de devenir un groupe avec un chanteur qui deviendrait la pièce centrale au milieu de la formation. Nous restons bien plus séduits par l’idée du collectif.

Votre nouvelle tournée débute en Chine où a été réalisé votre premier clip “Oh Why”. Quel accueil reçoit votre musique en Chine ?

La Chine est un pays immense dans lequel nous avons mis les pieds pour la première fois en 2004 dans le but de collaborer avec des artistes chinois au sein d’un underground quasi inexistant. Puis nous avons été témoin du développement de ce pays et, petit à petit, l’underground a véritablement commencé à se développer. C’est dans ce milieu qu’High Tone est très connu. Aujourd’hui, ce développement a littéralement explosé ! Enormément de jeunes artistes font leurs apparitions et proposent de nouvelles choses. L’accueil qui nous est fait en Chine est donc très bon, même si la musique qui y est produite est extrêmement contrôlée par l’état ce qui rend difficile la distribution ainsi que la commercialisation de celle-ci. Nous tirons un réel plaisir à voir, à chacun de nos voyages en Chine, que des salles sont créées, que des festivals naissent.

Qu’est-il advenu de vos anciennes collaborations, avec Zenzile par exemple ?

Il s’agit là d’artistes de notre génération qui ont mené un chemin complètement parallèle aux nôtre. Ce sont des amis avec qui nous avons connu de vraies aventures musicales et humaines, nous les rencontrons régulièrement. Nous sommes toujours en très bons termes et avons d’ailleurs prévu de réaliser prochainement une collaboration. Nous aimerions vraiment pouvoir jouer plus souvent ensemble, mais cela dépend essentiellement de la volonté des programmateurs. Je pourrais ajouter que c’est également le cas avec Brain Damage et d’autres groupes.

Un mot pour le public français ?

Gardez le dub underground. C’est ce qui lui a permis de survivre aussi longtemps.

 

Aurélie Kula

www.hightone.org

Crédit photo : Aurélie Kula

Le 18/05/19 à la Victoire 2 – Saint Jean de Védas (34).

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