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Hawksley Workman est un artiste aux multiples facettes, capable d’aborder tous les répertoires de la musique. Depuis son succès “Lover Fighter” qui le révéla au grand public, l’auteur-compositeur canadien a publié en 2019 un nouvel album “Median Age Wasteland” dont le contenu rappelle celui de “Treeful of Starling”, 11 chansons mélancoliques et divinement folk. Un nouvel album “Less Rage More Tears” est attendu pour le 23 octobre, une fois encore, la créativité de ce troubadour est toujours intacte et cela pour notre plus grand bonheur.
Votre musique semble être fortement influencée par le théâtre, avez-vous été tenté par le métier d’acteur ?
J’ai travaillé dans une troupe ces dix dernières années notamment dans un one-man-show que j’ai écrit, intitulé “The God that Comes”, une histoire d’inspiration politique articulée autour du dieu Bacchus et ses excès du pouvoir. Le théâtre a toujours été présent et sa forme, très pure, proche d’un concert de rock avec l’intimité de la narration théâtrale. Beaucoup de gens qui pratiquent cet art pensent dès le début, devenir riche et célèbre, mais cela n’arrive jamais.
Quand est-ce que votre tournée va débuter en France ?
Plusieurs dates étaient prévues pour le mois d’octobre, mais avec ce Covid, la situation s’est dégradée au Canada et une partie de la tournée devrait donc être reportée, ce qui est très frustrant. L’année dernière j’étais venu à Paris pour des interviews, des passages à la radio et la télévision, j’aime tellement la France et l’idée de ne pas pouvoir voyager est très embêtant.
Vous semblez être très attaché avec le public français, quel lien avez vous avec notre pays ?
Je suis venu pour la première fois en France en 2001, ma musique est rapidement entrée en résonance avec le public et la presse musicale a été très positive à mon égard. Je commençais à être reconnu au Canada mais je ne me sentais pas à l’aise avec ce concept de célébrité. Venir jouer en France c’est ressentir cette liberté ambiante, cette connexion naturelle, de pouvoir jouer librement avec des artistes. J’ai de très bons souvenirs, notamment un concert à Nîmes en ouverture de David Bowie, il y a vraiment de sacrées opportunités en France et le public est bien plus loyal. Il reste avec toi dans la durée, il t’accompagne dans ton voyage, c’est très rassurant.
Quel est votre plus lointain souvenir qui vous relie à la musique ?
Mon père est un grand fan de musique, nous avions une batterie à la maison et dès le matin au réveil, il mettait un disque et jouait par dessus. Mon frère et moi faisions de même chacun à notre tour. Mon père nous faisait écouter Stevie Wonder, les Stones, les Beatles. Quand tu es gamin, tu prends conscience de l’environnement dans lequel la musique trouve sa place au quotidien.
Concernant l’écriture de vos chansons, comment procédez vous ?
C’est un procédé qui se traduit au quotidien, notamment au réveil le matin, au piano, à la guitare, mais l’apport de la technologie a changé ce processus. Je mets mon casque, je prends ma guitare, et j’écris des textes sur des carnets ça devient instinctif. C’est un effort physique, tu utilises tes muscles, tu passes d’un état de faiblesse à quelque chose de pur. C’est difficile de ne pas apprécier les outils technologiques, qui te permettent de passer rapidement d’une idée à un produit fini, c’est plutôt cool.
Dans « Stoners Never Dream » chanson hautement psychédélique vous chantez ceci « like everybody else in here, you were trained to hate your body », pouvez vous nous éclairer sur le thème de ce titre ?
Je ne sais pas si c’est instinctif en france,mais au Canada nous avons une façon très british de percevoir notre physique, nous avons des problèmes relationnels avec nos corps et nos désirs sont perçus comme quelque chose de dégoûtant. Enfant, j’ai reçu une éducation qui consistait à constamment remettre en question les rapports avec les autres, il m’a fallu des années pour comprendre cela et m’en défaire. J’ai l’impression qu’en France, vous avez justement préservé votre façon de penser, sans le poids de la religion. Depuis que le Canada a légalisé la marijuana, c’est devenu une véritable obsession, les gens en oublient même leurs rêves, au point où leur vie s’est focalisée sur ce phénomène, je trouve cela effrayant. Chaque pays a dans son patrimoine culturel une part dédiée à l’ivresse, je me souviens avoir voyagé au Bangladesh où l’alcool même était prohibé et tu pouvais sentir cette énergie négative nourrie par la frustration de l’interdit.
Le personnage de Hawksley Workman fait-il partie de vous ou est-ce le surnom de quelqu’un qui travaille beaucoup?
(Rires)… c’est vraiment moi et cela me ramène à plusieurs années en arrière, durant mes études, avec cette culture qui m’a fait grandir, qui a fait ce que je suis aujourd’hui en tant qu’être, c’était comme un refuge où je pouvais observer le monde. C’est devenu un endroit confortable pour moi, et je me considère comme quelqu’un de chanceux qui a la possibilité de s’exprimer en tant qu’artiste, c’est comme si j’avais créé un refuge pour mon personnage afin qu’il puisse exister, c’est un privilège d’avoir du temps et de l’énergie. C’est marrant, personne encore ne m’avait posé ce genre de question. Tu sais au Canada, le journalisme musical est minoritaire, il n’est pas aussi développé qu’en France. Et j’apprécie de répondre à ce genre de question étrange comme celle ci. Oui, c’est vraiment moi, je me reconnais complètement dans ce personnage.
Jouez-vous avec Mr Lonely plus qu’avec votre groupe?
Oui, avec le temps, Mr Lonely s’est révélé être une sorte de personnage de cabaret, il y a cette liberté d’improvisation et cette aisance, dans l’espace créatif et intimiste qu’est la scène, qui restituent l’univers théâtral dont nous venons. Avec le groupe, il est parfois plus difficile de partir en tournée à l’étranger en raison de l’aspect financier que cela implique. Je joue donc souvent avec mon pianiste, nous laissons de la place à l’inattendu, et la participation du public est importante. Nous vivons dans l’air du Netflix, le divertissement est disponible n’importe où et tout se passe dans un écran. Moi je veux créer un divertissement sur scène, pour réduire cette frontière avec le public. Il y a une division entre ceux qui produisent et ceux qui consomment la culture et quand ces deux univers se rencontrent, cela crée une communauté, ça nous ramène au théâtre Grec avec cette proximité où chacun est concerné. Ce n’est plus une seule personne qui véhicule quelque chose aux gens, mais un échange où chacun est impliqué, c’est beaucoup plus intéressant que cet univers Netflix où chacun est isolé, séparé. C’en est même dangereux ! L’art puise dans la vie dans un renouvellement continu, et tu trouves cette vie avec le public, cette énergie procure une véritablement excitation ! Oui je pense justement que le public en france vous apprécie Hawsley, car vous crééz un lien direct avec le public, vous établissez une connexion, et ce malgré la barrière de la langue.
On retrouve souvent les mêmes personnes créditées dans vos albums, existe t-il une petite famille musicale autour de vous ?
Cette structure est primordiale, et ces personnes sont souvent avec moi, elles m’entourent vraiment, c’est étrange car plus le temps passe, plus tu ressens ce besoin de rester jeune, surtout dans le milieu du rock, tu réalises au fur et à mesure que tu vieillis avec cet entourage. Tes propres instincts grandissent avec ceux de ta communauté, et tu ressens que tu es en fait au bon endroit avec ces personnes, j’aime vraiment cette famille musicale.
Franck Irle