Des thèmes sombres sur des sonorités électro-pop-funk pour nous faire danser, telle est la musique du combo General Elektriks. À l’occasion de la sortie de son septième album « Party Like a Human », nous avons rencontré son leader, Hervé Salters.
Comment est né votre dernier album «Party Like a Human» ?
J’entame rarement les albums avec un thème en tête. Mais pour cet album c’est différent. L’idée m’est venue à la fin de la dernière tournée «Carry No Ghost» en été 2019. Je me demandais ce qui pourrait unifier les humains dans cette époque chaotique et je me suis dit qu’il nous faudrait peut-être un ennemi commun. J’ai alors imaginé une invasion extraterrestre et je voulais faire un album entier sur cet axe narratif. Mais, j’avais peur que cela soit poussif sur la longueur d’un album. Finalement, cette idée est regroupée dans le morceau en trois mouvements «Cosmic Check» et j’ai élargi mon propos pour le reste de l’opus.
« Faire la fête comme un humain » renvoie à notre humanité. Qu’est-ce qu’être un humain en 2022 ?
L’album pose la question de savoir ce qu’est un être humain. Pour moi, nous sommes des êtres sociaux, nous avons besoin les uns des autres. Nous sommes tous dans le même bateau, et il est important de garder ça en tête, encore plus dans cette période d’individualisme forcené. Faire la fête ensemble est un trait assez humain et quelque chose qui nous a beaucoup manqué ces derniers temps. Mais il y a également un sens caché à cette fête. Elle évoque aussi ce capitalisme à l’occidentale qui semble incontrôlable, d’où l’idée d’une fête démente que l’on retrouve sur la pochette.
La pochette de l’album est une œuvre de Laurina Paperina. Qu’est-ce-qui vous a attiré dans cette peinture ?
Cette œuvre, «Skull Valley», est une pièce importante pour l’élaboration du disque. Je l’ai découverte dans un livre d’art moderne et j’ai trouvé que son côté post-apocalyptique sous acide, ultra coloré, coïncidait avec ce que j’essayais de faire : quelque chose de pop et de dansant, mais aussi cauchemardesque. Cette pochette est vraiment devenue un compagnon de route dans le sens où je l’avais avant même d’avoir fini de composer l’album. Dès que j’avais un doute, je me référais à l’œuvre de Laurina. Je lui ai d’ailleurs demandé de faire un dessin supplémentaire pour l’arrière de la pochette. Elle a dessiné un personnage vampirique portant une petite couronne et levant les mains au ciel.
Quels claviers avez-vous utilisés pour cet album ?
Le clavier que j’utilise le plus est le clavinet C datant de 1968. Il s’agit du clavier rouge et blanc que j’utilise sur scène. Il fonctionne avec des cordes à l’intérieur, un peu comme des cordes de guitares électriques. Quand on appuie sur une touche, un petit tampon vient taper la corde ce qui crée une vibration qui est reprise par un micro. Cet instrument se prête à un jeu très syncopé et très funky, que j’aime beaucoup. On l’entend vraiment bien sur les titres «Seeker» ou «Just a Man, Just a Woman» où il est l’instrument principal. Mais j’ai également utilisé beaucoup d’autres claviers car j’aime essayer de nouvelles couleurs musicales, de nouveaux sons. En tant qu’auditeur, j’aime être surpris par de nouvelles sonorités, perdre pied. Et j’essaie de retrouver cette surprise, cette nouveauté, quand je compose mes morceaux.
Quelles ont été vos influences musicales ?
Certains artistes me suivent depuis que je suis ado comme Stevie Wonder, les Beatles, David Bowie. Ils font vraiment partie de mon ADN musical. Pour ce disque, j’ai aussi été inspiré par Shabazz Palaces, un groupe de Seattle qui dévoile un hip-hop expérimental brillant, notamment dans leur album «Quazarz : Born on a Gangster Star». Ils m’ont donné ce choc électrique dont on a besoin lorsqu’on est en pleine création.
Cet album comprend des featurings avec des artistes d’horizons très différents. Pourquoi avoir choisi ces artistes et comment s’est passé le travail avec eux ?
J’avais envie d’inviter des gens parce-que j’en ai un peu marre de n’entendre que ma voix. D’ailleurs, mon tout premier album «Cliquety Kliqk» sorti en 2003 faisait déjà intervenir des artistes comme ami Lateef The Truthspeaker, qu’on retrouve dans mon dernier album et avec qui j’ai beaucoup travaillé aux États-Unis lorsque j’étais claviériste pour le groupe Blackalicious. Travailler avec des artistes d’horizons différents correspondait également bien à l’idée de s’unir que je développe dans l’album. Le choix des artistes dépendait aussi des morceaux. Par exemple, je trouvais qu’«Electric Pigeon» se prêtait bien à un rap assez athlétique et c’est pourquoi j’ai fait appel à Lateef, dont j’admire le flow et l’inventivité. Pour « Chambre magique », qui est un texte parlé, je voulais quelqu’un capable de l’interpréter. J’ai choisi l’actrice et réalisatrice Ariane Labed que je trouve fantastique et qui influe quelque chose de fascinant au morceau.
Dans «The Night Sky», on entend une voix d’enfant. Était-ce une volonté d’évoquer le futur ?
Un des thèmes sous-jacents de l’album, particulièrement développé dans «Chambre Magique», est le rôle de l’humain dans la destruction de l’environnement. La présence d’un enfant était donc importante car ce monde que nous fabriquons ou plutôt «débarquons», c’est aux enfants que nous le laissons.
Pourquoi avoir choisi d’allier des thèmes très sombres avec des sonorités qui donnent envie de danser ?
J’aime les contrastes entre des textes sombres et des beats mettant le sourire aux lèvres. Je suis plus touché par des morceaux politiques qui sont joyeux comme «Respect» d’Aretha Franklin ou « 1999 » de Prince qui, sur un son très dansant, évoque la peur du nucléaire.
En parlant de thèmes assez sombres, comment appréhendez-vous la suite de votre tournée avec les nouvelles restrictions sanitaires ?
L’effet a été direct puisque nous avons dû reporter trois concerts. Nous avons commencé la tournée en automne, et c’était déjà très bizarre de jouer devant un public masqué. Il y a un côté dystopique. De plus, sur scène, General Elektriks devient un réel groupe, contrairement au studio où je suis seul. Je joue avec Jessie Chaton, Eric Starczan, Thomas Milteau et Guillaume Lantonnet, et cela donne quelque chose d’extrêmement énergique auquel le public participe très naturellement. Il y a un véritable échange. Mais malgré les restrictions, l’ambiance sera là.
Marie-Ange Galangau
Le 02/04/2022 à l’Espace Léo Ferré – Monaco, le 21/04/2022 à Victoire 2 – Montpellier (34), le 23/04/2022 au 6MIC – Aix-en-Provence (13), le 24/04/2022 à la Rotonde – Châteaurenard (13), le 22/07/2022 au Palais Longchamp, dans le cadre du festival Jazz des Cinq Continents – Marseille (13) et le 06/11/2022 à l’Espace Léo Ferré – Monaco (98).