L’artiste électro chouchou des marseillais fête en beauté ses dix ans de carrière. Simon Henner – plus connu sous le nom de French 79 – remplit les salles du monde entier et collectionne les records d’écoutes. Entre deux dates, il nous a reçu chez lui, à Marseille. Rencontre.
La multitude de dates de tournée que tu as fait depuis 2021 donne le tournis ! Comment fais-tu pour garder de la stabilité dans la motivation, l’énergie, l’envie ?
Déjà, je tourne beaucoup et j’ai un bon tourneur, qui m’accorde des conditions de tournée plutôt cool : on est en tourbus ! Ce n’est plus la même chose, on arrive sur les dates assez reposés, à la fin des concerts on retrouve le bus et nos lits, le lendemain on arrive dans la ville suivante sans avoir l’impression d’avoir passé la journée à voyager ! Ça joue. Ensuite, j’essaye d’avoir un équilibre entre les dates : je joue en moyenne du jeudi au samedi, trois dates par semaine donc, ce qui me permet de passer le reste du temps chez moi à Marseille. Je fais un peu de sport en tournée, je pense qu’il faut éviter de trop faire la fête pour s’en sortir et trouver le truc. En termes de motivation, les salles sont quasiment toutes remplies : je ne vois pas comment tu peux ne pas apprécier voir tout ce monde t’applaudir à chaque concert ! Je me fais ultra plaisir, j’ai une équipe de techniciens qui me suit depuis le début, on est sept ou huit sur la route, quasiment entre potes !
Il y a de nouveau un Zénith au menu de ta tournée de “Memories remixes”. Tu en avais fait un en 2019, quel souvenir en gardes-tu ?
Ce n’est pas la même chose car à l’époque je faisais la première partie de Flume, mais là, c’est sous mon nom… C’est la première fois que je fais une aussi grosse salle ! C’est tout un travail pour remplir le Zénith et y proposer quelque chose de différent : je fais venir des amis à moi pour partager la scène et enrichir le concert. Ça se prépare bien en avance et ça oriente une tournée : ça y marque des temps, chaque salle est différente et chaque tournée l’est aussi.
As-tu une anecdote de tournée particulièrement marquante ?
Des anecdotes, j’en ai pas mal ! (rires). Ce qui m’a marqué dernièrement, c’est ma tournée aux Etats-Unis, il y a deux – trois mois. Les salles étaient souvent pleines, ce qui est assez fou pour un français aux States, je trouve ! Aller dans des villes où je n’avais jamais mis les pieds, voir une date comme Détroit, complète, c’était assez hallucinant. Nashville, pareil : ce sont des villes qui n’ont pas de culture de la musique électronique. C’est un aboutissement pour quelqu’un comme moi.
Tu fêtes cette année tes dix ans de carrière en solo. Période sur laquelle l’industrie musicale s’est radicalement transformée. Quel regard portes-tu sur ces évolutions ?
Moi, je n’ai jamais connu l’âge d’or des ventes d’albums et de CDs, donc ça n’a jamais été un problème. J’ai vécu l’arrivée du streaming progressivement, et aujourd’hui je trouve que c’est vraiment un succès : je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que cela ne rémunère pas assez, c’est en effet peu, mais en faisant le cumul sur plusieurs années ça commence à faire. C’est là qu’il faut voir un rapport : quand on vendait un album une fois à sa sortie, ça devait représenter beaucoup d’argent mais là, ça se joue plutôt dans le temps. Je continue à être rémunéré par mes premiers albums toujours présents sur Spotify. Sur la durée, c’est bénéfique ! Ce que je vis dans la diversification et le nombre d’artistes, je le trouve positif. J’ai reçu deux disques d’or cette année, je ne sais pas si j’en aurais eu à l’époque de la vente de CDs… Tout évolue sans cesse : il y a cinq-six ans, les clips avaient une importance folle pour le nombre de vues sur Youtube. Aujourd’hui, ça se réduit, les réseaux sociaux prennent le relais mais les modes changent très vite. Il ne faut pas se focaliser là-dessus.
Parlons musique, d’ailleurs. Tu sembles porter une affection particulière à tes synthés. D’où cela te vient ?
J’ai fait le conservatoire en percus et piano quand j’étais petit. J’ai toujours eu un piano chez moi. Ensuite, j’ai fait pas mal de guitare, dans le groupe de rock Nasser par exemple. Mais pour composer, je passe par le piano. Ça m’a toujours attiré : j’ai découvert le monde des synthétiseurs en découvrant le studio et les groupes que mes parents m’avaient fait écouter quand j’étais petit, les Pink Floyd par exemple. J’ai découvert tard que les trois quarts de ce qu’on y entendait venait de synthétiseurs ! Je suis tombé amoureux de ces machines qui sont fascinantes.
On peut également y trouver des liens avec le cinéma… ?
Exactement. Pareil que pour la musique, celle des films est faite aux synthés. J’ai adoré la musique de François de Roubaix, par exemple. Sans avoir les moyens de se payer des orchestres symphoniques comme les américains, il les remplaçait par des synthétiseurs. Et on ne s’en rendait pas compte !
Ton identité visuelle est également soignée, de tes clips à tes scénographies. Comment tu conçois ces travaux visuels ?
Je les imagine avec mes potes d’enfance qui habitent à Nancy. Ce sont eux qui font mes clips depuis le début ! C’est assez particulier, en général on change souvent de collaborateurs mais je préfère personnellement garder cette équipe. Chacun son métier : je donne des idées, je dis principalement ce que je ne veux pas et je laisse libre cours à leur imagination après envoi de mes morceaux. Sur scène, en tant que solo électro, c’est encore plus important ! J’adore travailler là dessus.
Tu parles de relations professionnelles qui durent, nous avons récemment pu interviewer Kid Francescoli également. Vous vous connaissez bien…
Ça fait très longtemps qu’on se connaît : nos studios sont collés, nos copines sont copines. Il y a une relation cool, on s’entend très bien musicalement, on se fait découvrir des choses et entendre ce sur quoi on travaille. On a une complicité : dès qu’on a l’impression de faire de la merde, on se voit et on partage nos doutes, on arrive bien à se parler. Et c’est vrai qu’on suit une trajectoire qui se ressemble et se rejoint.
Quels sont les artistes de la scène électro actuelle – ou pas – qui t’inspirent ?
Je n’écoute pas tant de musique électronique que ça, surtout quand je compose, de peur de faire un plagiat inconscient de ce que j’aime bien. Je trempe mes oreilles dans d’autres trucs. Je croise plein d’artistes en tournée dont j’admire la démarche : Jacques, Flavien Berger, Etienne de Crécy sur les visuels, The Blaze… On a une diversité et une richesse de musiciens électro géniaux, en France.
Ta popularité grandit, ton public s’élargit à mesure que ta carrière avance. Est-ce ça te fait peur, parfois, que tout s’arrête ?
J’ai l’impression d’avoir un vrai public, qui ne s’est pas construit sur le succès d’un morceau mais au fil du temps. Je ne passe pas à la radio et pourtant je remplis les salles : il y a donc un public fidèle à ce genre de musique. Pour pallier la lassitude, j’essaye de ne pas suivre les modes et je mets de l’importance dans la composition, les harmonies, les mélodies, en essayant de rester moderne mais fidèle à ma pâte.
Évidemment, comme dans tout métier où tu vis de ta passion, la peur principale c’est que ça ne marche plus. Il faut se dire qu’on rebondira forcément sur autre chose si ça s’essouffle.
Lucie Ponthieux Bertram
Photo : Cauboyz.