CIGARETTES AFTER SEX

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Sortant tout juste de scène, après un concert qui, comme à l’accoutumé, aura laissé une empreinte émotionnelle sur les visages d’un public venu très nombreux assister à la performance du groupe Cigarettes After Sex, issu des quartiers de Brooklyn, Greg Gonzalez accepte de nous communiquer ses impressions à chaud sur l’expérience de ce soir. De sa prestation scénique à sa passion pour le cinéma, notamment du courant de la Nouvelle Vague de Jean-Luc Godard, le chanteur prolixe se livre généreusement et se prête de bonne grâce au jeu des questions/réponses.

Votre show ce soir, contrairement à l’ensemble de votre tournée, avait quelque chose de très minimaliste, dépourvu de projections vidéo telles que celles d’Anna Karina de Godard par exemple. Pourquoi ce choix ?

L’envie de faire quelque chose différent je dirais. Nous avons utilisé ces vidéos tout au long de ces deux dernières années. Evidemment, j’adore ces clips que je choisis pour être projetés en fond de scène. Et même s’il est encore difficile de savoir si ce que nous avons fait ce soir a marché ou pas, je voulais changer.

Devons-nous désormais nous attendre à une ambiance scénique plus atmosphérique ?

Je pense que pour nos prochains concerts nous utiliserons un genre de mélange entre les vidéos projetées et ce que nous avons fait ce soir. J’aime l’utilisation de l’écran en support de certaines de nos chansons, créer une cinématique avec une ambiance très théâtrale. Nous allons voir comment nous allons procéder dans le futur.

Quelles sont vos impressions sur le concert de ce soir ?

C’était cool. Très Mellow je dois dire, le genre de vibrations que nous cherchons à créer.

Quel est votre film préféré de Godard ?

J’adore « Une Femme est une Femme ». On y trouve beaucoup d’humour et de romantisme. C’est son film le plus adorable (Rires).

Peut-on vous considérer comme un fan des films de la Nouvelle Vague?

Définitivement, spécialement de l’œuvre d’Éric Rohmer. Si j’avais à diriger un film, je me baserais sur la technique de Rohmer. Des lumières naturelles, des filles dans des lieux exotiques, comme par exemple dans « Le Genou de Claire » ou bien « La Collectionneuse », de la simplicité dans la manière d’exprimer l’amour. J’adore la façon dont les français font parler les personnages à propos de l’amour, avec une grande ouverture d’esprit.

Cet univers cinématographique a-t-il un réel impact sur vos compositions artistiques?

Complètement. Je pense que la musique de Cigarettes After Sex pourrait servir de bande son sur des films tels que ceux-ci.

Françoise Hardy a récemment déclaré aimer votre musique. Connaissez-vous Françoise Hardy ?

Françoise Hardy est la plus grande influence que nous ayons, en particulier sur ma voix lorsque je chante. La voix de Françoise est pure, mélodique et simple. J’ai eu le plaisir de la rencontrer deux fois. Nous avons diné ensemble et échanger de la musique (Rires). Je la considère comme une amie maintenant.

Votre voix, lorsque vous chantez, est incroyablement différente de celle utilisée lorsque vous parlez. Comment réussissez-vous cela ?

Je compare ma voix à celle utilisée pour murmurer dans une chambre.

Est-ce ainsi que vous obtenez une tonalité plus sensuelle?

Exactement.

Cette transformation vocale vous est-t-elle venue de manière innée ou bien avez-vous dû travailler pour l’obtenir ?

Lorsque j’ai commencé à chanter, ma voix se plaçait un peu comme celle de Serge Gainsbourg ou bien encore Leonard Cohen. Mais, même si j’apprécie énormément ces deux artistes en tant qu’écrivains, je ne me sentais pas d’adopter ce type de chant. Je préfère les chanteuses en fait, comme Françoise Hardy par exemple. Je trouve les voix féminines plus instinctives. C’est ainsi que j’ai trouvé ma propre voix. Mais cela m’a pris des années de travail. Je chante depuis l’âge de dix ans.

Quel est votre expérience musicale ? À quel âge avez-vous commencez ? Quels ont été vos premiers projets ?

J’ai plus ou moins commencé à dix ans. J’écoutais des groupes tels que Queen, Michael Jackson mais aussi Metallica et aussi d’autres groupes plus expérimentaux. Honnêtement j’ai écrit de la musique dans tous les styles possible et imaginables. Puis j’ai commencé à jouer du jazz, puis à chanter des reprises de Paul Simon dans les restaurants. J’ai chanté tout un tas de trucs, même du Elvis, etc… J’ai une culture très éclectique.

Lorsque l’on écoute les commentaires à propos de votre musique, on entend beaucoup revenir le mot « mélancolique ». Etes-vous d’accord avec cette description ?

Nous considérons nos chansons comme étant douces plutôt que tristes. Nous parlons des relations, de l’amour, de la notion de protection de l’autre avec une chanson comme « Nothing’s Gonna Hurt You Baby ». La musique qui les accompagne peut effectivement ressortir comme un coffret mélancolique, mais uniquement parce qu’elle a pour rôle de donner aux compositions un aspect éloigné, un peu comme un joli souvenir qui se serait quelque peu effacé avec le temps.

Toutes vos chansons sont-elles inspirées par votre expérience personnelle ou bien traitent-elles d’émotions sur un plan plus général ?

Chaque chanson parle d’une relation que j’ai eue avec une personne. Des relations sérieuses durant plusieurs années à celles, éphémères, ne durant que le temps d’un weekend.

Vous avez la réputation d’être un perfectionniste et de composer toutes les chansons du groupe. Comment le processus de la rédaction des textes se déroule-t-il ?

La composition des mélodies s’exécute toujours de manière extrêmement rapide. C’est concernant l’écriture des paroles que les difficultés peuvent parfois se faire ressentir. Si j’ai de la chance, le texte peut émerger à toute vitesse, comme cela fut le cas avec « Nothing’s Gonna Hurt You Baby » ou « Sweet » par exemple. Mais d’autres peuvent me prendre quelques semaines, je pense notamment à « Opera House », « Apocalypse » ou encore « Sunsetz ». Je travaille seul avec mon pc, ma guitare et mon piano. J’écris des centaines de texte jusqu’à ce que, finalement, le bon apparaisse.

Faut-il voir un parallèle entre l’installation instrumentale minimaliste de vos scènes et la simplicité du moment qui succède à l’acte d’amour ?

C’est une bonne observation. Il est vrai que l’on peut comparer notre scène réduite sur le plan des instruments avec cet instant qui survient après une relation sexuelle. Un peu comme si, juste avant, votre esprit était parasité par des millions de pensées et que, l’instant d’après, vous vous sentiez heureux et en paix.

L’esthétisme de votre scène est toujours très épuré, très cinématographique et orienté vers l’univers du noir et blanc. Pourquoi avoir fait ce choix graphique ?

Cela nous a toujours semblé évident. J’ai toujours voulu que mon groupe ait une identité visuelle très spécifique. Un peu à l’instar des Smiths. Les Smiths ont sans cesse eu une influence sur ma façon de visualiser mon propre groupe. Non pas une influence directe mais plutôt sur l’approche à avoir quant à la recherche d’unité dans mon style. Leurs pochettes d’albums sont tirées de collections de photos. Je voulais quelque chose comme ça. Un style. En discutant avec un ami je lui ai dit que j’avais en tête d’utiliser des photos d’actrices et il m’a demandé pourquoi je ne me tournerai pas plutôt vers la photographie d’avant-garde telle que celle de Man Ray. Je trouve le travail de Man Ray incroyable et totalement en adéquation avec la musique que je compose, basé sur une sensualité quasi sexuelle et frissonnante à la fois. Le choix du noir et blanc provient du rêve qu’il implique, par opposition aux couleurs de la réalité, mais aussi à ce lien qu’il nous oblige à tisser avec le passé. Toutes ces notions se reflètent précisément dans notre musique.

Ironiquement, l’Amour est omniprésente dans vos chansons et vous vous produisez ce soir au cours d’un festival nommé « This Is Not A Love Song ».

(Rires) Oui en effet, c’est assez amusant. Pour être honnête, vous savez, cela ne me dérangerait pas d’être plus tard reconnu comme ayant été un auteur de chansons sentimentales. Mon film préféré traite de l’Amour, mon poème préféré parle de l’Amour. Je désirais ne pas m’écarter de cette image mais au contraire l’embrasser pleinement. La musique que j’écris sur l’Amour me semble être la plus honnête, celle qui me correspond le mieux. Et toutes ces relations que j’ai eues par le passé me sont très précieuses, au point que j’espère continuer à en expérimenter encore longtemps.

Vous avez énormément tourné ces derniers mois. Quels sentiments cela procure-t-il de se retrouver constamment loin de chez soi, de ses amis, de sa famille ?

Au début, c’était intéressant. Mais maintenant, cela a quelque chose de très excitant. J’ai passé ma vie à écrire de la musique en me répétant que je voulais pouvoir parcourir le monde entier tout en jouant mes compositions. Et voilà, c’est arrivé, d’un seul coup. Nous voici à présent voyageant dans des endroits merveilleux, interprétant les chansons que nous aimons pour des gens qui les aiment aussi. Je ne peux qu’être reconnaissant pour tout ça. Même lorsque je traverse un coup de blues, je me dis que je vis ce que j’ai toujours voulu faire. Monter sur scène est toujours un moment génial. Même si, parfois, vous avez le sentiment qu’un public est moins réceptif qu’un autre, cela reste grisant. De plus, nous faisons la fête tous les soirs.

Quelle est la chanson qui vous tient tout particulièrement à cœur de jouer en concert ?

Nous ne l’avons pas interprétée ce soir mais il s’agit de « I’m A Firefighter ».

Est-ce un goût personnel ou bien est-il partagé par le reste du groupe ?

Non cette préférence ne fait pas l’unanimité. Je sais que le batteur aime la jouer aussi. Randy, notre bassiste, aime « Opéra House ». Concernant notre claviériste, ce poste au sein de notre formation change trop souvent pour que je puisse répondre à vrai dire.

La composition de votre groupe a effectivement connu de nombreux changements, comment cela se fait-il ?

Je crois que cela vient du fait, qu’à l’origine, en 2008, Cigarettes After Sex était plus mon projet solo qu’un groupe à proprement dit. La composition du groupe a changé une bonne vingtaine de fois. En un sens, on peut comparer cette approche de la vision du groupe à celle de Miles Davis ou bien de Paul Simon. Ces artistes montent leurs projets puis s’entourent des musiciens dont ils ont besoin le moment venu. Tout dépend de la nature de l’enregistrement. J’ai travaillé ainsi pendant longtemps et l’alchimie du groupe donnait un résultat différent à chaque fois. Mais maintenant je souhaiterais devenir un groupe à part entière. Il faut ajouter à cela les éléments sur lesquels je n’ai aucun contrôle. Par exemple, notre claviériste vient de quitter le groupe car il trouvait le rythme de la tournée trop intensif. Il est quasi impossible d’avoir une vraie relation sentimentale avec quelqu’un lorsque tu es constamment parti de chez toi.

Vous avez été révélés aux yeux du monde en partie grâce à l’algorithme de Youtube. Quel est votre ressenti sur votre soudaine et explosive notoriété ?

Youtube a définitivement été notre tremplin. La vraie surprise vient du fait que je n’ai jamais posté notre musique sur Youtube. Quelqu’un l’a fait pour nous. Un fan originaire de ma ville natale où, je dois l’admettre, personne ne venait jamais à nos concerts, a partagé la chanson « Nothing’s Gonna Hurt You Baby ». Avoir l’opportunité de devenir célèbre par le biais d’un média comme Youtube est quelque chose de cool. Pour moi ce fut complètement dingue. Je ne m’attendais pas à ce que cette chanson rencontre un tel succès. Soudainement je recevais un email toute les secondes pour me dire que quelqu’un venait de s’inscrire à ma chaîne, laquelle a maintenant un million d’adhérents. Je suis heureux de la façon dont le processus s’est déroulé. Parce qu’en tant qu’artiste, tu attends toute ta vie ce moment. Pour certains, cela s’est traduit par un coup de fil, pour nous c’est arrivé sur Youtube.

Comment enregistrez-vous vos albums ? Recherchez-vous systématiquement des univers sonores aux acoustiques particulières telles que celles régnant dans les églises par exemple ?

Oui exactement. En matière d’enregistrement, j’ai toujours été influencé par l’album « Kind of Blue » [NDLR : Miles Davis]. Cet album fut enregistré live dans un énorme studio. Je trouve incroyable la vitesse avec laquelle le travail avait été réalisé. C’est ce qui le rend si spécial, ce côté spontané. La musique en ressort avec une sorte d’électricité. Il me semble que l’album a été produit en seulement une ou deux prises. C’est un peu comme prendre une photo. Tu veux absolument ce plan à un instant très précis et tu n’as qu’une seconde pour le faire. Plus tard j’ai découvert l’album « Trinity Session » de Cowboy Junkies qui fut enregistré en une nuit dans une église par le biais d’un seul micro. C’est là que je me suis dit, pourquoi ne pas reproduire le même processus d’enregistrement avec nos albums, le groupe dans un seul espace et jouant live ensemble. Lorsque j’étais en fac, il y avait un escalier avec une acoustique unique, alors, une nuit, j’y ai amené le groupe et nous avons joué live. Si vous aviez été présents ce soir-là, alors vous auriez écouté les chansons avec l’exact même son que celui de l’album. Depuis, j’ai toujours travaillé en respectant ce procédé. Des enregistrements live. C’est de là que provient toute l’énergie.

Vous aimez travailler dans l’urgence? Dans l’instant?

Absolument, c’est le cas à chaque fois. Il y a le moment où il faut enregistrer. Cela doit arriver maintenant. Je ne dévoile d’ailleurs jamais les chansons en avance au reste du groupe. Je débarque avec le titre et je leurs dis ce que je veux en faire. Nous l’essayons, pendant peut-être vingt minutes et puis je presse le bouton enregistrement. Je suis persuadé que de la nature de l’enregistrement dépend la qualité de la chanson. Tu peux avoir une mauvaise chanson et en faire un bon enregistrement, et vice versa. Le texte et la mélodie, s’ils sont bons, ne sont que des bonus en fin de compte.

Pensez-vous que l’on ne trouve plus assez d’Amour ni de Lumière dans le Monde qui nous entoure aujourd’hui ? Vos chansons sont-elles un remède à cela ?

Le Monde d’aujourd’hui est un concentré d’anxiété et de stress. Prendre soin de son prochain est, à mon sens, le sentiment le plus profond. Le faire à travers ma musique est un moyen comme un autre. Si quelqu’un se sent seul, pouvoir écouter une chanson qui contient tous les ingrédients disponibles dans la recette de l’Amour, est déjà une façon d’alléger la souffrance. Certaines chansons répandent aussi un message qui dit, tu n’es pas seul à ressentir cela. Cela aide à sortir de l’isolement émotionnel que l’on peut parfois expérimenter. C’est important d’avoir ce réconfort. Il n’y en a jamais de trop.

Vous utilisez à maintes reprises le mot Amour dans vos chansons. Connaissez-vous le nombre exact de fois qu’il apparaît dans tous vos textes ?

(Rires). Laissez-moi voir… (Rires) Non c’est impossible. J’imagine que je devrais m’y intéresser à l’occasion.

Aurélie Kula

cigarettesaftersex.com

Crédit photo : Charles Pietri

 

 

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Aurélie Kula
Aurélie rejoint l'équipe de Nouvelle Vague en 2013, en tant que rédactrice. Après plusieurs contributions, elle intègre le bureau du journal au sein duquel elle effectuera les missions liées à sa nouvelle fonction de secrétaire de rédaction pendant plusieurs années, ce qui l'amènera à couvrir beaucoup de concerts et de festivals, comptes rendus et interviews d'artistes de renoms et internationaux. Aurélie est en charge du "Son du jour" sur la page Facebook de Nouvelle Vague, publié tous les jours à 13h. Amatrice de jazz, IDM, dream pop, néo classique et de punk rock (en gros FIP), elle est aussi une grande collectionneuse de vinyles. Ses autres passions sont, à ce jour, la photographie, la littérature, la basse, les arts martiaux et le yoga. A présent, elle travaille en tant qu'assistante de production pour l'influenceur Nota Bene, youtuber spécialisé dans la vulgarisation de l'Histoire et le Gaming.