La première édition du festival Rock’n Roots s’est déroulée le samedi 12 juillet 2014 au Parc de la Moulière au pied des pistes de ski de l’Audibergue, sur la commune de Caille dans l’arrière-pays grassois. La manifestation regroupe une compétition d’enduro-free ride en VTT le matin et un festival de musique en soirée.
Suite à une prestation du groupe les Tchapakans pour la fête de la musique à Caille, grâce à Nicolas Funel, le photographe du groupe, le contact fût pris entre Jean Philippe, le bassiste et le staff du comité des fêtes de la commune : partant sur l’idée d’un « cross-over » de ce qu’on peut faire à la Moulière, site réputé pour la descente VTT et le ski en hiver. Ce duo se retrousse les manches et va fédérer une quantité non négligeable de bonne volonté et d’ingéniosité.
Manquant de moyens financiers plus que d’imagination ou de savoir-faire, l’équipe s’est progressivement mise en route pour créer coûte que coûte cette première édition. Au programme, de la solidarité, de l’entraide, du Free Ride, de la bonne musique, de la bonne humeur et un grand sens du collectif. Des valeurs souvent énoncées ou valorisées dans le discours des uns et des autres mais pas si souvent mises en pratique.
Pour moi l’intérêt de ce genre de manifestations ouvertes, gratuites et festives, tient autant dans leur préparation que dans leur réalisation concrètes après les milles embûches et problèmes qu’il a fallu déjouer et qui participent à souder les personnes et produisent un sentiment de réussite vraiment galvanisant. Ce genre d’initiative est une parenthèse à contre-courant de tout ce que produit ou prescrit notre société. Ce sont de véritables laboratoires à créer du lien et de la valeur humaine dont tout le monde profite à concurrence de son niveau d’implication.
Les organisateurs n’ont pas été aidés par les conditions météo et les orages assez violents de l’après-midi n’ont pas aidé les citadins à migrer en montagne. Les rayons de soleil sortis spécialement pour l’apéro ainsi que la manifestation qui prend vraiment forme en fin d’après-midi, ont dissipé tous les doutes. Le public local a répondu présent car les mélomanes d’arrière-pays sont combatifs et l’idée de ne pas participer à une des seules fêtes musicales organisées chez eux est bien plus effrayante que la perspective d’une simple averse ou de quelques nuages bas menaçants. C’est une ou deux centaines de personnes qui envahissent l’esplanade du parc de la Moulière vers 19 heures. Des familles, des groupes de jeunes au look de « teufeurs », des gloires locales des sports extrêmes et surtout tous les amis et sympathisants des groupes de musique grassois qui avaient fait le déplacement. Bref tout ce que compte la région d’activistes jusqu’au-boutistes de la musique !
Vu qu’on pouvait dormir où on voulait, je suis venu avec mon fils de 6 ans dans le but de l’initier aux joies du camping sauvage et lui faire toucher du doigt la spiritualité particulière qui découle d’un séjour à l’air libre, coupé du monde et de ses contraintes avec pour soucis constant de penser son confort en composant avec les éléments naturels. Autant le dire de suite, malgré les plus de cinquante concerts que je vois dans l’année, j’ai passé là une excellente soirée, conscient que la simplicité, le partage et l’authenticité sont des valeurs dont l’existence concrète ne se décrète ni ne s’achète. Ce fût l’occasion pour moi de retrouver de nombreux amis musiciens et activistes associatifs du pays de Grasse que j’ai un peu délaissé depuis des années et de constater avec bonheur que chacun, dans notre coin, avons continué à faire vivre notre passion pour la musique à travers un engagement constant qui ne s’est pas émoussé avec le temps.
Le soleil pointe ses rayons, qui après une après-midi perturbée, prennent une dimension salvatrice et rédemptrice, un sentiment qu’on ne peut éprouver que dans les lieux où la nature est sévère avec ceux qui l’habitent. La soirée commence avec Cassonade Pepper, le groupe grassois qui truste les scènes régionales chaque fois qu’on leur propose de jouer leur jazz fusion très rythmique qui a trouvé un peu de mélodie avec l’apport d’une chanteuse qui vient par sa présence adoucir un ensemble que j’ai parfois trouvé trop cassant au-delà de la qualité musicale incontestable qui est la leur. Là le dosage rythme / mélodie s’équilibre vraiment. Ensuite ce fût le tour de Bret’ll , un groupe gracieusement venu du Vaucluse pour l’occasion. Son rock « accordéonnisé » réchauffe progressivement l’ambiance et regroupe le public devant la scène.
Ensuite c’est le tour des Spins New Project. Les Spins, c’est pour moi la quintessence du style grassois. Car il existe bel et bien une couleur musicale grassoise, car une bonne partie des musiciens quarantenaires d’aujourd’hui s’est cristallisée autour de ce que fût la MJC Altitude 500 dans les années 90. Un lieu de pratique musicale, d’apprentissage, de rencontre, de répétition, de fête ou de discussions tardives improvisées sur le parking et jusqu’à tard dans la nuit ou plutôt jusqu’à ce que le gardien de la piscine sorte nous chasser à une heure avancée de la nuit. Christian Boyé, le prof de guitare d’une génération, a initié ce petit monde au rock fusionnel de Frank Zappa, et au fur et à mesure des apprentissages musicaux, c’est cette idée de la musique qui a pris vie dans les divers groupes grassois qui se sont formés autour de ce lieu, aussi central que contesté dans son fonctionnement d’alors. Anchris Cano, à la basse et Miguel Rincon, à la guitare ont toujours été les piliers de ce groupe qui a su traverser les époques et les changements de musiciens pour faire vivre son style propre, sans cesse perfectionné mais jamais dénaturé. Prenez un peu de Stanley Clarke pour la basse démonstrative et musicale à la fois, un peu de funkadelic pour le funk-rock électrique, un peu des Meters pour le jeu rythmique tranché, un peu de Paco de Lucia (ou un peu de Carlos Santana j’hésite) pour une touche latino-hispanisante, un peu de ZZ Top pour le côté powerful blues mais aussi du Weather Report pour l’inspiration et la subtilité … emballez le tout dans un esprit Zappa époque « Zoot Allure » et vous obtiendrez les Spins. Un groupe qui envoie sur scène mais qui a toujours su (ou voulu) mettre en avant l’amitié et le partage plutôt que l’ambition professionnelle. Ses membres fondateurs Anchris et Miguel, aide-soignant et déménageur, entretiennent la tradition des ouvriers musiciens et une certaine manière de faire de la musique en dehors de la retenue, du snobisme et du manque de sincérité des artistes programmés par leur milieu familial ou par le conservatoire pour la pratique de la musique. Cela s’entend dans leur interprétation qui porte directement à l’oreille de ceux qui l’écoutent les valeurs de ceux qui jouent, sans textes chantés, la sincérité et l’implication des musiciens ainsi se suffisent pour transmettre. Leur musique est de qualité, vraiment, mais elle n’est jamais gratuitement sophistiquée ou inutilement délicate, leur riffs respirent l’authenticité et la force de ceux qui se sont faits seuls dans la musique. Ce qui est admirable, c’est leur capacité à intégrer de nouveaux et jeunes musiciens dans le groupe à la batterie et à leur transmettre l’esprit du groupe au-delà du simple style musical.
Plus tard, le rock convivial et très libre des Tchapakans occupe la scène et fédère ses fans qui ont presque tous mis la main à la patte pour organiser le festival. La nuit avance, l’ambiance est toujours aussi agréable et les discussions se poursuivent autour d’un verre ou devant la scène. Le groupe Ska Libre vient ensuite balancer ses rythmes syncopés et festifs pour poursuivre la fête plus tard dans la nuit.
La veille, j’avais passé la soirée au Festival Jazz à Juan, devant des monstres sacrés de la black music et leur savoir-jouer si impressionnant et tutoyant en permanence la perfection (avec vue sur la mer), cependant là-bas, on m’a demandé de m’asseoir, me coupant les ailes contraint à ne pas communiquer mon enthousiasme de mélomane avec les musiciens sur scène, au Rock’n Roots on peut directement envoyer des vannes aux musiciens entre les morceaux… Quel sentiment de liberté ! Quel sentiment de partage et de proximité. En effet, ici pas de barrières, pas d’entrée des artistes ou de backstages, tout le monde se parle échange et partage par ses mots ou ses sourires complices, sa passion pour la musique. Tout le monde vient et repart ensemble, chacun amène son indispensable pierre, aussi petite soit-elle, au festival.
Elus, employés municipaux, spectateurs, musiciens, techniciens, journalistes, tout le monde offre ce qu’il a à donner. Bien plus qu’un défilé de musiciens virtuoses, ce style de manifestation me rassure profondément et sincèrement sur les capacités des hommes et des femmes à construire de manière désintéressée et gratuite des édifices collectifs qui resplendissent en qualité bien plus qu’en quantité. Chacun a su profiter des interstices de son agenda professionnel, personnel ou familial pour œuvrer ensemble à l’existence de ce festival. Alors qu’on nous décrit une humanité fractionnée, recluse, cupide, matérialiste et angoissée, j’aime plus que tout constater (et participer) à ce genre d’ilots d’humanité et de partage qui émergent bien trop peu souvent.
Ce soir-là le son a été bon, les changements de plateau rapides et organisés, les groupes consciencieux et conviviaux, le public proche et bienveillant, les barmaids souriantes, efficaces et charmantes, les cuistots appliqués et dévoués, les organisateurs accueillants et accessibles que pourrait-on demander de plus pour passer une bonne soirée ? Cela doit vraiment faire réfléchir nos représentants qui ont en leur pouvoir de façonner une politique culturelle à leur convenance, pourquoi ne dispose-t-on pas d’un réel support et d’une réelle reconnaissance de la part des institutions culturelles quand on organise avec tant de bonne volonté et de désintéressement de telles manifestations ? Rendant tout accessible à tous, elles créent comme aucune autres du lien entre musiciens et public, encouragent la pratique sportive, musicale et artistique ainsi que l’implication associative et font vivre des coins de montagne quand même désolés par l’absence ou la rareté de manifestations culturelles populaires. Avec un rien de moyens, on arriverait à pérenniser sans épuiser les organisateurs, leur donner un petit peu de confiance et de soutien serait déjà beaucoup pour eux.
Pour finir quelques mots pour celui, qui bien qu’absent pour toujours, lie toutes les personnes présentes ce soir-là : notre ami, Olivier Bonafous, personnage excentrique et attachant, auteur foisonnant, talentueux batteur, comédien et fêtard expérimenté qui nous manque à tous. Son aura a plané sur la soirée et sans même évoquer son absence, elle nous a serrés le cœur à tous. Merci Olive ! Pour tout ce que tu as été et que tu es encore pour nous tous.