Le 23/09/2023 au Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille (13).
La dernière soirée du festival Les émouvantes nous promet encore bien des surprises, bien des découvertes. Il valait mieux avoir réservé car le concert affiche complet.
Keyvan Chemirani a déjà joué avec Louis Sclavis, notamment dans l’album “Silk and Salt Melodies” (ECM 2014) ou plus récemment dans le magnifique “Les cadences du Monde” (JMS 2022) avec les violoncellistes Ana Luis et Brunot Ducret. Le duo de ce soir est une première. Le percussionniste s’installe avec son zarb au creux des bras, entouré de dafs persans de toutes tailles. Louis Scalvis dépose sur un tabouret sa clarinette basse et embouche celle en sib. Ils entament le concert avec “Dust and Dogs”, suivi par “Dresseurs de nuages”, un thème aussi beau que son titre est poétique. Chemirani pose un petit daf sur un support, cela lui permet de jouer dans le morceau suivant du zarb d’une main et de ce daf d’une autre. Les doigts voltigent sur les peaux comme dans une danse, la main se creuse pour mieux frapper le bord boisé puis glisse sur la surface comme les balais sur une caisse claire. Rythmes du bassin méditerranéen pour les volutes graves du la clarinette. Complicité, amitié, musicalité, le duo nous enchante, nous emmène dans le désert pour mieux nous renvoyer dans nos contrées. Le set se termine presque, le percussionniste se lève, soulève une toile noire qui recouvrait un étrange instrument, un santour. Instrument à cordes frappées d’origine indienne (le voyage continu), une sorte de dulcimer qui se joue à l’aide de petites baguettes courbées. Le titre du morceau est “Brotherhood”, écrit par Keyvan et Bijan, son frère; nous dit Louis Sclavis. Sonorités nouvelles, les cordes percutées par les baguettes vibrent, tintent. Keyvan Chemirani est aussi un virtuose de cette cithare. Pour n’être pas en reste, pour la composition suivante (la dernière), Sclavis démonte le bocal de sa clarinette basse, la retourne est approche le tube vide du micro. En frappant des doigts sur les différentes clés, il joue à la fois la mélodie et le rythme. Il sera vite rejoint par son compère pour un final scintillant et sautillant.
Après le traditionnel entracte, on retrouve la salle Andioli pour une nouvelle expérience musicale, les “Brain Songs” de l’ensemble Nautilis. Ce projet est issu de recherches menées conjointement par l’ensemble et un chercheur en neurosciences. Mais ce soir pas de capteur sur la tête des spectateurs ou des musiciens juste un spectacle qui évoque, de façon totalement poétique, le lien presque physique qui relie le cerveau des musiciens et celui de leurs auditeurs, dans le contexte d’un concert. Tentons l’expérience!
Sur la scène huit musiciens, Christophe Rocher (clarinettes), Claudia Solal (voix), Christian Pruvost (trompette), Stéphane Payen (saxophone), Nicolas Pointard (batterie), Céline Rivoal (accordéon), Fred B.Briet (contrebasse), Marc Ducret (guitare). Les compositions sont signées par Christophe Rocher sur certaines desquelles Claudia Solal pose sa voix en anglais, en français. Entre chant et vocalise les mots accompagnent les notes, les précèdent dans une autre voie. Étonnant d’entendre l’accordéon de Céline Rivoal jouer et improviser free, pour le sax et la trompette cela parait plus naturel. Musique répétitive parfois, hypnotique ou extravagante à d’autres moments, certains passages sont presque pop. Ou même métal quand Marc Ducret dans le morceau final se lâche sur sa six-cordes. D’abord en solo, puis propulsés par les trois soufflants, distorsions, bends d’un ton et demi, le manche, les anches s’échauffent. Puis… le silence. Expérience exigeante mais totalement réussie. Le groupe salue, dehors le vent est tombé.
On remercie toute l’équipe de bénévoles qui, avec les techniciens, ont encore un gros boulot pour rendre au conservatoire toute sa sérénité institutionnelle.
On attend déjà septembre 2024.
Jacques Lerognon