Le festival du vent est à Calvi une affaire pérenne qui a une organisation qui, bien que très particulière, est extrêmement bien rodée. Calvi aussi est une cité particulière en Corse, une ville dominée par sa citadelle qui rappelle un passé et un présent militaire avec des casernements qui précèdent les hôtels en entrée de la ville. Haut lieu du tourisme, Calvi me semble toujours peiner à se remettre des alternances entre foule estivale et vie locale à l’année. La ville fait cependant ce qu’il faut au niveau culturel et accueille Calvi on the Rocks qui attire des jeunes de l’Europe entière et le Calvi Jazz Festival, une très belle manifestation quand on la rapporte à la taille de la commune. C’est en arrière saison que le « Festiventu » prend le pari de raviver la ville en concentrant la multitude de ceux qui se nomment équipiers, des bénévoles intervenants du festival, dans un centre de vacance dénommé La Balagne, du nom de la région autour de Calvi et d’Ile Rousse.
Voulant me rendre compte de l’ampleur de ce staff, j’ai demandé aux cuisiniers combien ils faisaient de couverts par service, chaque personne accédant à la salle à manger possédant un badge d’équipier, le nombre de convives nous donnera le nombre de personnes impliquées dans l’organisation du festival. Chaque jour ce sont près de 600 personnes qui fourmillent autour des divers lieux de diffusion et de rencontre se disséminant de la vielle ville à la sortie de Calvi sur la route de Lumio. Chez Tao, la taverne mythique des délires enivrés d’Higelin, la cathédrale très sonore, un espace d’activités avec divers chapiteaux ou tentures, la scène de la terrasse de La Balagne, la plage, les pentes du Col de Salvi et le Magic Mirror, cette salle nomade au vécu inénarrable… tous ces lieus, et surement d’autres que j’oublie, ont été investis par cette multitude de débats, conférences, ateliers, projections, expositions, représentations théâtrales, activités sportives et ludiques, apéros, déambulations, acrobaties et musique live.
Le programme est foisonnant, il y a de tout et presque tout le temps. L’envie de se démultiplier alterne parfois étrangement avec une lassitude oisive que fait naitre un sentiment de trop plein. On a beau vanter à juste titre la qualité de chacune de ces prestations, on a vraiment du mal à saisir le sens de tout ça. De la conférence sur l’avenir de l’industrie chimique à la celle sur les rythmes scolaires de Marcel Rufo et celle sur les équipements sportifs, au concert des Innocents, on ne sait plus trop où nous amène le Festival. De jour en jour en béotien, j’en apprenais de plus en plus sur cette organisation vraiment particulière. Le premier sentiment étrange fut le fait de s’apercevoir au vu des têtes qu’on croisait au fil des jours que la quasi-totalité du public, des activités, mais surtout des conférences, était constitué des accompagnateurs des intervenants ou d’autres groupes d’intervenants impliqués ailleurs sur le festival. On apprend ensuite qu’une grande partie du staff vient de Paris en Charter affrété par l’organisation et repart en groupe, laissant à nouveau un Calvi déserté. Cela affecte la portée de l’évènement et aussi sa cohérence quand on voit l’interminable liste des partenaires (au sein desquels figure Nouvelle Vague) et l’appellation de certains lieus comme l’Espace Oscaro pour le Magic Mirror (oui, le site ou j’achète mes pièces de bagnole) et le partenariat avec la Corsica Ferries, une compagnie qui ne dessert que Bastia et non Calvi, obligeant les organisateurs a de nombreux allers retour en voiture de Calvi à Bastia pour convoyer les intervenants aux bateaux : drôle de mise en perspective de l’éco-responsabilité ! (si on va par là, j’aurais aussi dû rester chez moi au lieu de faire la morale tout en polluant). D’un autre côté tout le monde est bénévole (peut être pas l’agence de com. Faut pas pousser !) et l’organisation compte d’inconditionnels fidèles très expérimentés et professionnels dans leur approche bénévole, qui font cela de cœur avec la meilleure volonté et une grande efficacité.
Un regret personnel pour l’aliéné à la culture corse que je suis, c’est la discrétion des Corses qui ne se sentent pas toujours à leur aise au milieu de cette communauté de fortune mais très habituée aux codes des célébrations culturelles. En plus de la frustration de ne pas retrouver l’atmosphère de confraternité de comptoir, d’anecdotes partagées et de chants unique et si profonde qu’on rencontre toujours en Corse, je trouve que cet isolement prive les participants au festival de comprendre ce que ces gens et cette culture ont de si particulier.
J’ai personnellement vraiment apprécié le spectacle « Corps de mots » des Têtes Raides qui m’ont surpris par la qualité musicale et la manière avec laquelle le chanteur habitait les textes qu’il lisait. Une section rythmique tout en subtilité et en groove soutenue par le trombone et le violoncelle qui pulsent, laissaient cependant la place par de nombreux changements d’ambiance aux solistes et à une expression plus nuancée. Les textes sont abrupts et mis en rythme vocalement lors de leur lecture avec une ferveur et une interprétation tout à fait convaincante. Un registre qui a mon sens met plus en avant leurs qualités musicales et scéniques que leurs concerts habituels plus tranchants rythmiquement mais moins crus dans le texte. Une expression pure de l’esprit rock qui se déplace du bruit au sens, ce qui leur sied à merveille.
Je ne pourrais conclure ce compte rendu d’immersion sociologique sans évoquer les risques du métier, pendant que certains de nos confrères sont détenus au bout du monde et que les politiques s’interrogent sur l’opportunité d’exposer des reporters de guerre qui bravent le danger sans relater l’abnégation de ma collègue de Nouvelle Vague Manon Feldmann. Son portrait devrait défiler tous les mercredis en fin du journal de France 2 au côté des autres martyrs du journalisme d’investigation. Lecteur aimé, tu ne t’imagines pas les risques qu’elle n’hésitait pas à prendre pour que tu puisses feuilleter lascivement ton Nouvelle Vague affalé sur ton canapé moelleux. N’écoutant que sa conscience professionnelle, elle décidait de s’embarquer sur un parapente pour réaliser une vidéo pour le site de votre magazine. Oui, braver le danger, mettre son existence entre parenthèses pour un si modeste résultat pourrait sembler déraisonnable à tout être humain qui n’est pas comme elle taraudé par la rigueur journalistique. Je dois aussi la remercier car sans elle je n’aurais jamais sans doute connu le service des urgences du centre médical de Calvi et son personnel pléthorique et dévoué. On l’imagine cacher par pudeur et sous sa blanche blouse, le cœur au sein duquel on imagine se dénouer les tourments amoureux les plus poignants comme à la télé … une entorse cervicale (avec inversion de courbure s’il vous plait ! on fait les choses avec panache à Nouvelle Vague, où on s’abstient : qui a déjà vu Philippe en soirée sait de quoi je parle) sera le lourd tribu payé par cette innocente au sol majoritairement minéral des contreforts de Balagne. Pauvre d’elle, pourvu que dans le futur son environnement proche puisse la raisonner pour qu’elle ne s’offre pas entière au difficile sacerdoce de l’information. Le cœur déchiré par le ressentiment de celui qui n’a rien fait et rien dit, la décence m’impose de finir ici ce récit qui semble après cela bien dérisoire.