Le 20/07/2024 à la Bastide de Chateauloin – Neoules (83).
On a tous ressenti ça au moins une fois ! Quelque chose que vous portez à même le corps, qui vous sied à merveille à tel point dès le premier essai qu’elle semble avoir été confectionnée directement autour vous, effleurant votre peau sans la contraindre tout en l’accompagnant fidèlement dans chacun de ses mouvements. Avec elle, vous vous sentez parfait, idéalement constitué, elle jette aux oubliettes tous vos doutes ou vos complexes et vous donne l’assurance qui va vous porter au bout de votre bien-être et ainsi vous permettre toutes les libertés, les audaces et les excentricités que vous aviez jusque-là réprimées.
Ce sentiment d’osmose je l’ai ressenti tout au long de la nuit de samedi au festival de Néoules, à croire qu’Axel Anne le nouveau programmateur a tout organisé autour de mon bien être et de mes contours personnels précis. Tout dans la soirée évoque des périodes fondatrices et le périple tortueux de ma vie à tel point que j’ai du mal aujourd’hui à décrire mon bonheur. Le voyage qu’il a organisé part du Sénégal avec le reggae man King Kaala, s’arrête ensuite à la Réunion avec la toasteuse Sika Rlion, pour rejoindre la France et le Maroc d’où Taïro tire ses origines comme destination finale, le tout en passant par le Brésil avec Flavia Coelho. D’aventures amoureuses, professionnelles ou musicales j’ai des attaches réelles ou émotionnelles dans différents pays, si Axel avait voulu relater mon parcours de ma vie, il n’aurait pu rien faire de mieux, tout y est ! Je ne me suis pas senti chez moi à Néoules mais bien plus que cela j’ai eu l’impression que le festival a été imaginé autour de moi, comme l’étoffe idéalement découpée et façonnée évoquée plus haut.
Je l’ai déjà écrit, Néoules c’est la perfection faite festival, tout y transpire le plaisir en étant dosé à l’idéal, tous les organisateurs sont sympathiques et concentrés à la fois, le son est toujours excellent, les concerts s’enchaînent sans aucun temps mort ni anicroche entre les deux scènes, le bar est bien achalandé avec des tarifs normaux, le site est parfait pour accueillir tout le monde mais j’ai voulu garder le meilleur pour la fin : le public ! “éduquer un public”, dit comme cela on dirait une phrase creuse de sociologue, mais en 33 ans d’existence à Néoules c’est devenu une réalité palpable tant on dirait que chaque personne du public est exceptionnelle en elle-même mais aussi indispensable à la réussite du festival pour ce qu’elle construit dans sa relation à l’autre. Les gens à Néoules sont incroyables, ils sont intimement et collectivement connectés aux artistes qui du coup donnent le meilleur. Quand vous croisez des artistes plusieurs fois dans l’été, c’est invariablement à Néoules qu’ils ont le mieux joué.
Parfois pendant les concerts je prenais de la hauteur derrière la scène et en scrutant cette masse hyperactive mais parfaitement coordonnée, il m’est arrivé de me demander pourquoi la société dans son ensemble ne fonctionnait pas à cet unisson. 33 ans de recherche de la perfection dans les hauts et les bas, une combativité décontractée qui permet de durer et une équipe qui évolue sans cesse sans réellement changer d’état d’esprit, voici la recette autogérée qu’aucun politicien n’aura jamais l’occasion de comprendre et c’est bien dommage ! Ce que nous avons de plus ? L’amour de la musique et du rythme, seul à même de créer force, conviction, synchronisation et harmonie entre nous. C’est quand on quitte le festival pour se retrouver dans la vraie vie qu’on se rend compte que ce qu’a construit le Festival de Néoules est précieux, un véritable trésor en fait ! Tout le monde danse, chante, applaudit, lève les bras en l’air, sourit sans jamais flancher … on résiste parfois à y croire.
La soirée s’est ouverte avec un beau set très rythmé de King Kaala, ça dansait et sautait avec une belle énergie typique du reggae Sénégalais, mais parfois aussi un léger manque de mélodie et de flow typiquement reggae mais cette légère lacune est toujours rattrapée par la force et la volonté d’Essamaye, le chanteur, qui fait tout pour pulser sur scène et entraîner le public, ce qui il faut le dire, a parfaitement fonctionné.
Ensuite j’ai eu le bonheur de découvrir Sika RLion, la jeune toasteuse réunionnaise et néanmoins talentueuse qui a le vent en poupe en ce moment. Il faut dire que pour sa première tournée elle a la chance de se produire aux côtés de Dub Akom, le célèbre Backing Band marseillais qui a fait ses preuves aux côtés des stars du reggae new roots comme Lutan Fyah, Turbulence, Etana, Fanton Mojah, Chezidek, Perfect Giddimani et d’autres encore … pas mal pour un départ. Engagée, talentueuse, et charismatique, Sika Rlion possède sur scène l’assurance des artistes qui croient vraiment en l’utilité sociale des paroles desquelles ils composent leurs chansons, cette conviction et cette force d’où naissent beaucoup de choses palpables par le public auxquelles d’autres chanteurs ne peuvent que rêver ! J’espère que c’est le début d’une belle et durable collaboration qui peut élever les deux parties, Sika profitant de l’expérience musicale du Dub Akom et ces derniers pouvant peut-être explorer les rythmes de l’océan Indien, une zone géographique où il existe une forte culture reggae avec des sonorités bien spécifiques qui n’arrivent que très rarement jusqu’à nous.
Comme je l’ai déjà écrit plus haut, le public de Néoules pousse les artistes à se dépasser, en effet j’avais déjà vu Flavia Coelho mais jamais je n’ai trouvé son set aussi convainquant et aussi brésilien. Ceci non pas par la couleur musicale mais par l’esprit car le talent brésilien c’est de tout mélanger sans aucun complexe ni appréhension pour créer un nouveau tout qui n’a que peu à voir avec ses parties. Ce soir-là elle a mélangé à peu près tous les rythmes que j’aime, le funk, la soul, le ragga dancehall, le reggae et la samba funk pour un résultat vraiment convaincant qui nous a fait convulser en rythme collectivement tout au long d’un set passionnant qui la représente vraiment. Notre brésilienne, varoise d’adoption, a pu, à Néoules démontrer tout son talent et cela a été pour moi l’occasion de changer d’avis sur son œuvre, je vais désormais lui courir après de festivals en concerts, avec une seule envie : danser !
Les Twinkle Brothers investissent, après elle, la scène, ce groupe créé en 1962 (oui, vous avez bien lu !) qui a sorti pas loin de 35 albums (oui, vous avez bien lu !) et qui représente un des piliers de la culture reggae. Malheureusement et alors que je les trouve meilleurs sur scène, ils n’ont jamais en France eu le succès des poncifs et inusables Congos, Gladiators ou autres Israël Vibration dont le public français se repaît et c’est bien dommage. Leur Roots Reggae qui pulse présentait de belles harmonies de voix et dégageait une forte spiritualité comme seuls savent le faire les vieux rastas qui ne radotent pas, vraiment une belle surprise.
Pour nous finir (comme si cela ne suffisait pas) l’équipe de Néoules a sorti son gros calibre, celui qui est pour moi le reggaeman français de référence, le franco-marocain Taïro ! Ce qui marque en premier quand on le voit sur scène, c’est la diversité de son public, en genre comme en âge, car je pense que ce qu’il écrit et chante propose plusieurs niveaux de lecture dans lesquels, chacun, en fonction de sa condition, vient chercher ce qui le pousse à avancer dans sa propre direction. Ce qu’il sait aussi créer c’est l’intimité qu’il partage avec les gens, qui, comme moi, le suivent depuis des années, lui qui sait décrire et partager ses états intérieurs mais aussi sa vision du monde comme personne. Taïro sait mettre en scène sa personnalité faite de rébellion, de sensibilité, de sensualité mais aussi sa passion pour l’avenir ! Ses concerts sont vraiment étonnants car on a l’impression que chaque spectateur le connaît, que certains de ses titres sont en même temps des hymnes musicaux, des guides de développement personnel et spirituel que chacun connaît et entonne à l’envi. Alors quand tout cela se passe au festival de Néoules, vous imaginez la liesse fusionnelle qui nous attend ? C’était juste magnifique, humainement et artistiquement parfait, une éruption, une effusion et une émotion sans pareille !
A la fin du set et de la soirée si j’avais pu j’aurais écrit sur les murs du château à la peinture rouge sang “Néoules m’a tuer” car pour être honnête je ne me rappelle pas d’être rentré si sainement épuisé chez moi, plus et c’était la mort clinique assurée ! J’ai dû dormir avec le sourire car le lendemain au réveil j’avais même des crampes aux babines !!!
Merci David Anne pour ta présence paternelle aux manettes du festival. Merci à toi Axel Anne, son fils, pour avoir fait cette belle programmation sur mesure pour moi et merci Stéphane Poirier pour ton accueil et ta considération constante pour mon travail d’écriture. On revient l’an prochain ? Ça va être long d’attendre, non ?
Emmanuel Truchet
Photo : Youri Lenquette.