FESTIJAM, du 30/07 au 11/08 à Arrens-Marsous (65)

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« Quand des fleuves se rencontrent,

Ils n’en forment plus qu’un

Par fusion nos cultures deviennent indistinctes,

Elles s’imbriquent et s’encastrent

Pour ne former qu’un bloc d’humanité,

Debout sur un socle »

Gaël Faye « Métis »

 

La spiritualité est une notion que nous relions depuis plus de 2000 ans à la croyance en l’existence impalpable d’une divinité surnaturelle autant qu’à la distinction entre matériel et spirituel. Or, bien avant le monothéisme ou les travaux du philosophe André Comte-Sponville, la spiritualité relevait d’une quête personnelle visant à donner à certaines aventures humaines une valeur située au-delà de leur existence matérielle ou de leurs apparences formelles. Une forme d’intelligence sociale et collective qui permet aux êtres humains de connecter leurs états mentaux pour créer et construire une pensée ou une œuvre collective qui ouvre des portes et finit par modeler différemment et durablement la société qui l’a faite naître.

Personnellement je suis toujours en quête de ces choses invisibles au départ qui se font jour si on y est réceptif et qui finissent par créer pour moi un environnement accueillant, sécurisant et stimulant pour poursuivre une œuvre humaine collective et solidaire qui donne un sens lisible à mon existence.

Alors que le confort matériel du quotidien et nos sécurisantes habitudes nous éloignent de la sensibilité nécessaire à cette hyper acuité, qui seule nous permet d’y voir clair sur les processus et les effets réels des interactions humaines et collectives qui sans cesse se mettent en scène autour de nous.

C’est dans le cadre de cette quête, mais sans savoir si ce Graal s’offrira à moi, que je quittais mon cher village provençal, seul sur ma moto, accompagné de quelques effets personnels en quantité réduite pour ne privilégier la mobilité sur le confort que je cherche délibérément à fuir dans ces moments-là. Direction l’ouest, ses paysages verdoyants et ses pentes abruptes qui se resserrent pour former un écrin une fois le village d’Arrens atteint.

Ce que je savais du Festijam se réduisait à une programmation, à des témoignages d’amis qui ont été touchés par l’implication des organisateurs, à trois courtes conversations téléphoniques avec Fijah chef de file d’I’n I Movment et à un point sur une carte. C’est le lundi en début d’après-midi que j’arrive sous un ciel menaçant à l’Apistomaque, un sympathique et coloré café-pub-restaurant qu’on m’a désigné comme centre de rencontre de l’équipe qui organise le festival. Demandant des informations sur les organisateurs, je commence à entrer en discussion avec Jazz et Leuleu, deux bénévoles du village qui gèrent ce jour-là l’installation électrique qui permettra au village éphémère du festival de prendre forme. Isolé dans un village inconnu sans point de chute il faut que je trouve un lieu qui me permettra de dormir et de vivre au sec si le ciel décharge sur moi ses nuages noirs. Un trio de musiciens de flamenco s’invite à ma table (ou plutôt le contraire) et la discussion se noue tout naturellement entre passionnés de musiques. Déjà plusieurs, dont P’tit Tom, paysan très simple et naturel dans son lien avec les autres, se mobilisent pour me trouver un logement et après plusieurs coups de fil pour constater que les gîtes sont tous complets, Alex que je viens de rencontrer m’invite chez lui pour les 3 nuits suivantes, me laissant le loisir de découvrir sa belle et confortable maison (et ses collocs aussi accueillants qu’intéressants) en son absence alors qu’il répète avec son groupe de percussions.

Je commence à me dire qu’Arrens n’est pas un village comme les autres et qu’il sera passionnant pour moi d’y découvrir les signes de l’aventure collective positive qui s’y déroule et le sens de ma vie que j’ai évoqué plus haut.

Plus tard, je fais connaissance de Fijah, petit homme au regard vif et aux mots bien pesés et posés ainsi que de son double (physique, en quantité), Ruben, un immense antillais qui peine à cacher sa gentillesse derrière un humour bien à lui que je partage avec délectation. Ensuite viendra Pauline, avec son côté inflexible qui se perçoit rapidement, son sens du dévouement aussi derrière cette apparente droiture, qui en fait est bien utile tant elle est une des chevilles ouvrières du festival. On sent qu’elle ne s’en laisse pas conter. Il s’avérera très rapidement que c’est une qualité indispensable à ce groupes humain qui avance modestement en avant d’une vallée des Pyrénées qui peine à comprendre qu’ils préparent le monde de demain auquel la rareté imposera le partage.

Entre propriétaires qui refusent au dernier moment le prêt d’un terrain qui devait abriter le camping, un tenancier de camping rétrograde qui a fait de la lutte contre le Festijam et tout ce qu’il porte de valeurs, le but de son existence, une mairie qui ménage la chèvre et le choux sans s‘impliquer avec suffisamment de constance (sans nuire directement c’est vrai), surtout sans comprendre ce qu’apportent les 8 ans de travail collectif dans un petit village isolé en fin de vallée, les organisateurs sont éreintés et stressées alors que rien n’a encore commencé.

Certes le Festijam ne délivre pas de documents frappés de la sanction « diplôme », ne possède ni mandat ni aide extérieure pour se construire année après année, mais c’est une véritable université des métiers qui s’érige sur les terres de la commune, en élargissant son bassin d’influence d’Argelès-Gazost jusqu’au-delà de Tarbes. De l’équipe permanente aux bénévoles d’un week-end, voici une liste forcément incomplète des métiers que j’ai vu s’exercer autour de moi pendant cette semaine et de la part de gens dont les compétences se sont façonnées grâce aux 8 années du Festijam :

Chargé de communication, infographiste, web designer, comptable, gestionnaire de trésorerie, lobbyiste, conseiller politique, chargé de relation publiques, juriste, coordonnateur d’enquêtes publiques, agent de développement social et associatif, programmateur en spectacle vivant, directrice des ressources humaines, manageur, technicien son et lumière, roadie, électricien, monteur de chapiteaux, manutentionnaire, agent de sécurité, économe en restauration & hôtellerie, cuisinier, plongeur, barman(maid), animateur sportif, organisateur de foire & marchés, critique musical, … Oui, vous avez bien lu, nous pouvons réellement apprendre tous ces métiers dans un village de 400 habitants au cœur des Hautes Pyrénées ! Du pur Peer to Peer, Xavier Niel le PDG de Free en fait tout un événement avec son école de codage informatique, les télés se déplacent mais le Festijam et bien d’autres étaient là bien avant lui.

Au-delà de ces compétences précises, les gens de la vallée ont surtout appris à travailler ensemble, à s’arranger des susceptibilités et des fragilités de chacun pour converger ensemble. Comment penser que ces liens solidaires s’évanouissent une fois les lumières des scènes, éteintes ? C’est forcément une contribution déterminante quant à la qualité de vie dans un village où les gens se côtoient tous au quotidien mais aussi en ce qui concerne la capacité de chacun à développer ses propres projets locaux pour faire vivre la montagne.

Même sans y rechercher une spiritualité du réel évoquée plus haut, d’un strict point de vue économique c’est une aberration inique pour la communauté de communes et la municipalité de ne pas miser sur ces interactions positives entre citoyens. Pas besoin que le Festijam ait débuté pour ressentir cela, c’est en se promenant dans le village et en fréquentant les commerces presque tous tenus par des jeunes pleins de courage et d’ouverture que l’on perçoit cette spécificité. Combien coûterait un centre de formation des apprentis formant à ce niveau de qualification ? Qui serait capable de mettre sur pied à Arrens un tel édifice ? On est en pleine illustration locale d’un monde politique qui est à la remorque de la société peinant à comprendre et miser sur le monde de demain qui s’organise autour d’eux. Je ne parle pas ici de la mise à disposition du stade, des quelques tables et chaises et des quelques barrières mises à disposition et des subventions attribuées, il faut le reconnaître, par la municipalité et la communauté des communes, mais d’une reconnaissance formelle qui sécuriserait et donnerait confiance et stabilité aux organisateurs. Les élus savent bien remuer ciel et terre quand les projets les concernent et parvenir à leurs fins en soutenant les acteurs moteurs des initiatives qu’ils ne savent porter directement, nous le savons bien. Quelle charge de stress et de fatigue d’être sans cesse obligés d’expliquer les mêmes choses quand les engagements ne sont jamais acquis, jusque à la dernière minute, nous l’avons vu cette année ? Quel bénéfice cela représenterait pour la commune de soutenir et d’amplifier leurs initiatives ?

Mercredi …

Le mercredi matin, il fait un soleil radieux et c’est le montage du chapiteau avec une équipe pleine d’énergie et de diversité, un magnifique et bigarré échantillon du public reggae qu’on retrouve en France sur les festivals : toutes les générations, toutes les origines et beaucoup de diversité sociale et culturelle … mais une manière d’être et de penser qui unifie toutes ces personnes avec laquelle chacun se connecte à la culture reggae avec ses propres outils intellectuels et culturels, ses qualités et défauts, avec un sens moral difficile à décrire qui lie au-delà des différences. Les responsables du chapiteau portent des sobriquets étonnants quoique tout à fait assumés : Pounet et Pépétte, écrit comme cela on dirait un duo de clowns à l’humour genre tarte à la crème mais je rencontre en fait 2 personnes cultivées, organisées et expérimentées dans le travail mais toujours là pour discuter et partager leur parcours quand arrive chaque pose. Ils seront les chefs d’orchestre lors de ce jour de montage car ils installent leur chapiteau sur le Festijam depuis le départ, et ont adopté la manifestation tout comme leur fils Massimo, qui semble avoir monté des chapiteaux depuis sa sortie du berceau. C’est aussi un Singjay plein d’énergie qui rythme notre travail de Pump Up scandés sur la musique d’ambiance. Une fois le chapiteau installé, le site commence à prendre vie et on sent une petite excitation quand tout cela prend forme et qu’on se rend compte que la 8ème édition est vraiment lancée. Ce que je remarque aussi c’est l’autonomie des bénévoles … chaque sous-groupe sait ce qu’il a à faire … on sent de suite une équipe expérimentée.

Jeudi …

Le jeudi, la pluie s’abat sur les contreforts des Pyrénées, mais une accalmie très opportune nous permet de profiter de la première soirée du festival organisée à L’Apistomaque, le café-pub-restaurant du village. Il faut préciser que ce café est un peu l’âme positive du village et que les organisateurs s’y retrouvent, s’y rassemblent et s’y concertent régulièrement. Entre Bastien au comptoir et Max en salle, leur père qui assure l’intérim le matin de bon heure avec beaucoup de bonne humeur et de convivialité, leur mère qui pousse la chanson dès vient le soir, on retrouve à Arrens chaque jour avec plaisir cette famille hyper ouverte, humaine et attentionnée envers la clientèle d’amis, d’habitués ou de passage. Le planning de soirée quelque peu bouleversé par les conditions climatiques retombe sur ses jambes avec même une chaleur humaine communicative plus intense grâce aux concerts qui se dérouleront dans la salle de restaurant de l’Apistomaque. La superficie limitée va combler un auditoire qui se décongestionnera rapidement malgré les heures de pluie parfois passées dehors ou sous la tente.

Le premier groupe, A la Bonheur, un trio guitare, claviers & batterie électrise le public instantanément avec des structures musicales simples, mais un bon feeling avec le public ainsi qu’un groove et une énergie vraiment entraînante. J’aime les musiciens qui grâce à une certaine spontanéité et une intelligence pour diriger leur travail parviennent à parfaitement exploiter leurs compétences musicales et délivrent une musique qui emballe le public bien au-delà de ses imperfections.

Le second groupe, Ryon, joue une reggae inspiré par le New Roots assez entraînant et énergique comme la motivation semblent bien présentes, le public a profité des concerts et de cette chaude ambiance qui a ravivé tout le monde : les organisateurs confrontés à de nombreux imprévus voient leurs zygomatiques se tendre en voyant leur bébé prendre vie et le public infiltré par l’humidité ambiante de la journée semble revivre en s’entre frottant en cadence.

Vendredi …

Le vendredi vers 19 heures, le site du festival s’ouvre enfin au public qui a patienté pour nombre d’entre eux une partie de la journée entre tentes, promenades dans le village et consommations sirotées à l’Apistomaque qui accueille toute la journée les festivaliers imbibés d’eau (pour l’instant;-). On découvre un chapiteau orné de compositions végétales réalisées à partir de plantes vertes et de nombreuses bannières vert/jaune/rouge qui rappellent l’attachement des organisateurs au culte rasta et à la musique reggae. Entouré de stands qui proposent nourriture et artisanat exotique tout cela forme un havre qui nous accueille au son New Roots du premier Selecta de la programmation du festival (HI-LEE SOUND : mon préféré).

Au niveau Live, la soirée débute par un show acoustique de Mr Lézard, accompagné par une guitare sèche et une darbouka. J’ai apprécié cette configuration scénique spécifique qui met en valeur les textes de cet artiste expérimenté qui propose une musique vraiment personnelle portée par des textes bien écrits et très originaux. Sans être phénoménal au niveau du rendu et ceci malgré des chœurs hyper justes et bien placés, ce concert dégageait une authenticité qui m’a fait passer un bon moment pendant lequel on se sentait réellement en lien avec l’artiste qui nous a agréablement baladé dans son univers.

Après une session de Sound System, c’est Seyni Kouyaté qui a envahi l’espace sonore avec son groupe Yeliba toujours aussi dynamique bien que maintes fois remanié. (Pour moi ce concert a été le meilleur de l’ensemble du festival). Bien que presque sexagénaire, Seyni nous balance une fois de plus un reggae aussi rythmé, qu’exotique et réellement original. Le rythme Yakandi soutenu par un balafon hyper présent a porté la ferveur et l’engagement de cet infatigable chanteur et militant Guinéen. Au fond du trou il y a quelques années après de lourds problèmes de santé, le voir en pleine forme et magnifique sur scène m’a vraiment fait plaisir et c’est un concert qui m’a transporté en compagnie de l’ensemble du public au large des côtes atlantiques pile en face de Conakry.

La prestation de Straika D et Tiwony fut plus problématique alors que c’était le concert que j’attendais le plus. Les balances laissaient pourtant augurer du meilleur, mais Straika D est un peu retombé dans ses travers et Tiwony a cherché sa voix tout le concert. Cependant le groupe, visiblement très expérimenté (à part un nouveau bassiste) a été au niveau tout du long du show et un très beau final regroupant les deux Singjays, dont les registres se complètent bien, a fait oublier à tout le public, moi y compris, les quelques errances techniques.

Samedi …

Le samedi c’est rando musicale pour les plus aventureux ou tournoi de foot nu-pieds pour les autres. J’ai passé une partie de l’après-midi à faire le supporter avec évidemment beaucoup de mauvaise foi et des barres de rire pour influencer l’arbitre qui cédait à toutes les pressions de la horde de hooligans qui entouraient le terrain. Au niveau look c’est l’équipe de Kanakie qui remporte le pompon avec une équipe 100% Kanake, alors qu’au général c’est l’équipe des bénévoles du festival qui avait dépêché depuis le centre village d’Arrens un aéropage de supporters prêts à tous les excès et toutes les fourberies (n’est-ce pas Alex?), qui l’emporte … alors qu’au retour de la rando ce sont les sourires qui dominent. Le site et ouvert tout l’après-midi du samedi pour qu’on puisse se désaltérer (c’était mes débuts de supporter et j »ai pu constater qu’hurler donnait vraiment soif!) et manger un bout ou encore se faire tresser pour disposer d’un look imparable pour la soirée.

Musicalement le soir ce sont les Banyans, I Kong puis Johnny Osbourne qui se sont succédés sur scène, entre les interventions du DJ Akademy Sound System. Pour moi la soirée du samedi a été un peu moins captivante que celle du vendredi mais visiblement l’ensemble du public a apprécié le son roots 70’s interprété à la française des groupes et le rub a dub style british du Sound car l’ambiance a été hyper chaude avec un public vraiment présent qui galvanisait les musiciens sur scène.

Les Banyans ont déroulé un roots reggae typiquement français, pas si mal interprété mais manquant vraiment d’inspiration et de prestance à mon goût même si à leur âge tous les espoirs sont permis. Si la route est encore un peu longue ils ont au moins débuté leur voyage. Cependant quelques morceaux dansaient bien et je me suis mis dans l’ambiance sans peine porté par un public hyper réactif au son du groupe.

I Kong, un artiste atypique, il a monté son propre groupe « The Jamaïcans » et ses liens de famille lui ont permis d’assurer de nombreuses premières parties de groupes célèbres jusque dans les années 90. Backé par un groupe suisse, il a déroulé un roots reggae sans surprise et très proche de l’inspiration musicale des Banyans (un roots reggae joué à la française) et sa prestation dû beaucoup à un public survolté ainsi qu’à son style vestimentaire de rasta-mandarin vraiment unique.

La seule déception viendra du Sound System DJ Akademy, à mon goût bien trop resté bloqué sur un reggae inspiré du rub a dub anglais des années 80, un des rares styles reggae qui à mon sens s’est démodé et n’a pas bien résisté aux affres du temps contrairement au roots des 70’s ou du new roots des 90’s. C’est dommage car le DJ possédait de bonnes dispositions vocales et j’attendais davantage de lui.

La prestation de Johnny Osbourne m’a vraiment surpris, car au départ déçu de le voir apparaître en sound system, j’ai vite revu mon jugement et ce avant même qu’il entre sur scène. J’ai apprécié l’inspiration du selecta du Soul Stéréo Sound qui a commencé son show par un hommage à l’histoire du reggae, reprenant un grand nombre de classiques pour remettre Mr Ousbourne dans son contexte. Finalement seul devant le stand du selecta, Johnny Osbourne s’en est vraiment bien tiré avec un flow dansant et chaloupé qui possède un charme suranné tout droit sorti des Sound Systems des années 60 en Jamaïque. La sauce a réellement prise et le public a fini la soirée en danse et en cadence.

En ce qui concerne la programmation, il faut préciser, et c’est ce que j’ai fait quand j’ai pris part à plusieurs discussions à ce propos tout au long du week-end, que le Festijam doit composer avec un budget qui n’a rien de commun avec eux des festivals auxquels on aurait facilité à le comparer (Sun Ska, Rototom, Feu Garance …). En effet pour à peine davantage que le tarif d’un Morgan Heritage, d’un Burning Spear ou d’un Beres Hammond, l’équipe du Festijam doit programmer un week-end entier … Je pense que c’est un point qu’on doit préciser aux personnes qui entrent dans des débats sans toutefois posséder l’ensemble des bases pour forger objectivement leur opinion ou leur discours, pensant parfois que la seule limite d’un programmateur est son inspiration ou sa culture musicale. Si certaines prestations ne m’ont personnellement pas ébloui car elles ne correspondent pas à ce que j’aime personnellement écouter (je préfère de loin un reggae moderne dans la veine new-roots ou des couleurs musicales plus exotiques, mais aussi parce que je vois énormément de concerts reggae et que j’en deviens souvent trop difficile). L’ambiance des concerts du Festijam m’a emporté tant la collusion entre artistes et public, mais aussi entre les spectateurs a été forte, ce bien au-delà d’une émotion éphémère et c’est bien là ce que je retiendrais de cette 8ème édition. J’ai aussi vraiment aimé que les artistes viennent presque tous la veille partager leur amour de la musique et de la danse avec les festivaliers (Voir I Kong danser aux vibes du sound le vendredi c’était hyper classe). Un environnent technique son, lumière et chapiteau parfait pour distiller les vibes de reggae music ont aussi participé à cette réussite.

Le samedi quand le son s’arrête nous ressentons dans le public une tension particulière, un sentiment étrange, mélange du bonheur collectif que tout le monde a ressenti pendant ces quelques jours et d’un certain stress de savoir ce paradis éphémère voué au démontage …

Dimanche …

Le dimanche matin impossible pour moi et quelques autres de partir comme si le Festijam n’avait été qu’une parenthèse. Nous traînons, nous lions des conversations avec des gens que l’on a aperçu mais que nous n’avons pas eu le temps de découvrir. On file un petit coup de main au démontage du chapiteau et nous prenons part des mille petits gestes que l’équipe doit encore accomplir pour remettre le site dans son triste et impersonnel état de départ. J’adore ces discussions d’après festival pour trouver des solutions aux mille et un problèmes rencontrés et pour trouver chaque année un nouveau souffle. J’ai vraiment apprécié de me retrouver la nuit tombée avec Fijah, Ruben et Pounet à discuter de l’avenir du Festijam sur le terrain de foot quasiment vide et dans un calme lourd de sous-entendus et de plénitude. C’est aussi une façon pour moi de les remercier de la fraternité sincère dont ils ont fait preuve à mon encontre.

Comme je l’ai dit plus haut, pour moi la musique n’est pas l’essentiel et surtout pas le tout de ce festival à l’âme si palpable. Nous avons parlé de cette œuvre collective et de cette cohabitation éphémère comme manifestation d’une spiritualité païenne et cela devient vraiment évident une fois les lumières éteintes et le stade vide. Pour moi, le plus important est de s’être rencontré et d’avoir cohabité. Comme l’a dit Pounet qui, avec son chapiteau vit ce type d’expérience tout au long de l’année, je verrai bien un Festijam s’orienter vers une rencontre moins éphémère, sur une semaine même si l’équipe n’a pas les moyens de proposer des concerts live tous les soirs. Chacun pourrait organiser ses journées en profitant de l’environnement naturel du Val d’Azun, peut être un petit sound system, une scène ouverte aux nombreux festivaliers artistes à leurs heures (Ok Massimo & consorts?), un lieu de dialogue et d’échange sur les initiatives de chacun, de petits concerts à l’Apistomaque, des randos, du cinéma, du documentaire, des conférences. Enfin tout ce qui permet de souder la communauté et d’élever la réflexion de chacun et qui ne coûte que de l’intelligence et non de l’argent … Tout ce talent et ces tonnes de matériel mobilisés pour 3 jours c’en est presque dommage … on pourrait tenir une semaine pour peu de plus … en tout cas on serait nombreux à être partants.

Et le reggae dans tout cela ?

Bien d’autres festivals de musique associatifs existent et nous pouvons légitimement nous demander quelle est la part de mérite qui revient au reggae dans cet oasis d’humanité. Si l’attention se focalise souvent sur les idées et les concepts véhiculés par les artistes reggae, toutes les controverses qu’ils soulèvent, les difficultés de lecture dues à la distance culturelle qui nous éloigne de l’île de Jamaïque, je pense que ce qui est le plus important c’est ce que les gens font de tout cela. Ce qui me fascine c’est tout que cette musique produit comme effet sur ce public qui dans le monde entier se regroupe autour de la culture reggae et rasta. Ce mouvement culturel fondé par des descendants d’esclaves qui ont cherché à s’émanciper d’une pensée dominante matérialiste, coloniale et raciale, a une capacité incroyable à rassembler un grand nombre de personnes très diverses mais qui ont toutes, et dans la mesure de leur marge de liberté, une implication originale et décalée dans la vie de la cité. En fait cette société parallèle qui se rassemble autour du reggae est aussi mystérieuse que diverse dans sa volonté d’amener la société vers plus de partage, d’acceptation des différences et un mode de vie moins matérialiste. La place que prend cette musique dans notre vie est une énigme que nous ne pouvons que constater sans vraiment la comprendre … comment ce cri de liberté tiers-mondiste contre la marchandisation de l’être humain a pu amener les milliers d’enfants comblés de la société occidentale que nous sommes à mordre la main qui nous nourrit et à attaquer les fondements mêmes de la société de consommation actuelle ? L’exigence morale et l’implication sociale qu’elle fait naître en nous, tout comme tous les petits actes solidaires de la vie quotidienne qu’elle nourrit et soutien, sont un miracle du réel… Les manifestations comme le Festijam, loin des festivités industrialisées, sont essentielles à l’existence de ce mouvement car elles permettent les rencontres qui contribuent à faire perdurer ces valeurs dans notre communauté et nous amène à les partager avec d’autres. Alors travaillons encore et toujours notre sensibilité, notre acuité à percevoir ces signes d’une spiritualité du concret, cela nous donnera envie à tous d’y contribuer au-delà des rêves d’un monde différent … restons vivants … « That day will come » comme dit le prophète ! Force et courage à tous et toutes brothers & sisters for ever … we live, Jah Lives !

 

Mille mercis à Jean-Philippe, dit Pipiou dit Fijah et sa chérie, Ruben, Jazz, Alex et son frérot, P’tit Tom (Natural Mysticman), Max, Bastien et leur parents, Alexandrine, Pauline, Leuleu, Fix, Pounet, Pepette, Massimo, Alexia, Lionel, la joyeuse équipe de l’épicerie bio et de la boucherie d’Arrens mais aussi Audrey & David et leur bande de potes ariégeois.

Emmanuel Truchet

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