Entre Deux Eaux
Age d’or révolu, génération internet, étoiles de l’underground et développement sur la planète MARS
19 septembre 2015 : la Fonky Family se reforme pour une date unique à l’Espace Julien en soutien à Pone, gravement malade. Toutes les places sont vendues en moins d’une semaine, et 80% d’entre elles le sont hors PACA. Concert immense et chargé d’émotion. Données Spotify 2015 : Jul second en terme d’écoutes pour la France. Devant Rihanna et Booba. Entre l’un des groupes phares des 90’s et le rappeur marseillais plus écouté l’an passé, l’industrie musicale a connu une révolution. Le succès du rap marseillais de la seconde partie des 90’s est lié à l’investissement lourd de la grosse industrie musicale. Jul – on ne jugera pas ici de ses qualités artistiques – est de la génération Youtube. Des dizaines de vidéos lui ont assuré une relation directe avec une fan base solide.
A Marseille l’âge d’or n’est plus. Si l’on fait abstraction de Soprano, d’Alonzo, de SCH, des légendaires IAM, tous chez Def Jam, ou du phénomène Jul, la scène marseillaise est retournée à l’underground. Sorti en février 2016, l’excellent premier album solo de Djel de la FF est produit par une valeureuse asso locale, Orizon Sud. On est loin des sommes englouties par Sony dans les albums solo des rappeurs des 90’s.
Aussi, le temps où la tendance se faisait ici, appartient au passé. Il faut le reconnaître. La nouvelle scène, innovante, pro, celle qui cartonne sur scène, est à Lyon (L’Animalerie), à Paris (L’Entourage, Hippocampe Fou, les mi-parisiens, mi-marseillais exilés de La Fine Equipe…), à Montpellier (Demi P, Set&Match…), etc.
Pourtant, presque paradoxalement, la ville est pleine de talents. Qui veut de la trap, du conscient à l’ancienne, du rap de bar à chicha, des sons en mode west coast… Trouvera de quoi se satisfaire. Certains élèvent le niveau, on ne pourra pas tous les citer ici, mais on retiendra les noms de NAPO, Allen Akino, Perso, Odysée, L’Amir’Al… Dans une tendance plus « Quartiers Nord », outre les toujours frais Puissance Nord, on a le prince de la Soli, MOH, mais aussi Elams, Graya, Zicler… Chez les petits jeunes à suivre citons en vrac Emtooci, Les Sales Gosses, La Pagaille, Les Crevards, La Connaixion, avec des niveaux de professionnalisme divers. La génération des trentenaires est présente : La Méthode, Ksir Makoza, PopoChanel, Outlaw, R.E.D.K, Wapi Wap, Boucher.… Les anciens, IAM, Imhotep en solo, Faf Larage, Dj Rebel… sont toujours actifs. Chez les filles, loin d’être à la traîne, Sista Micky, Keny ont montré la voie. Aujourd’hui, on compte, notamment, la belle Tina Mweni au flow smooth & jazzy, Natess la rebelle, L’Insoumise qui porte bien son nom, Ladea en mode live-band, ou Jojo Veuve Noire, qui nous prépare son album solo. Chez les beatboxeuses, on retiendra Tressym, vice-championne de France, et Flashbox non moins douée.
C’est au sein des disciplines du beatbox et du beatmaking que l’on dénichera les artistes les plus ouverts et les plus inventifs. Under Kontrol, champions du monde 2009 et vice-champions 2015 ont un live puissant. D’autres, tels Joos, prennent des chemins de traverse. Nash prend la relève de PHM (MicFlow, Mr Lips) et anime le petit milieu local, avec Edouard et les soirées ouvertes de Tchatcheur Prod.
Pakdj’een, Mofak, Creestal, quelques autres, chacun dans un style qui lui est propre, portent le beatmaking dans de nouvelles dimensions. Porte d’entrée sur cet univers, la chaine Alpha Beats sur Youtube, qui propose à certains de faire une composition en 4 heures à partir de vinyles tirés au hasard.
Il ne manque pas de talents, mais sans doutes de gens qui mettent les mains dans les papiers. Ainsi qu’une vraie reconnaissance institutionnelle comme pratique artistique majeure à part entière. L’Affranchi, B-Vice Sound Musical School, l’AMI à la Friche, tentent un patient travail de repérage et de développement, entre terrain et institution. Quelques organisateurs plus alternatifs creusent sans cesse le sillon : Kintflush, les Maitres Sauciers, New Castle… A Venelles, Comparses et Sons. Mais malgré ces initiatives louables, la scène hip-hop manque d’espace d’expression, de scènes, de labels, de promoteurs, de médias…
Le cas Chinese Man Records est porteur d’espoir. Chinese Man, et Deluxe désormais, sont des bulldozers en terme d’audience. Le label a développé ici, et tout se contrôle depuis Marseille. Preuve qu’un développement professionnel indépendant, local et humain, est possible.
Il y a de l’espoir, des talents, l’avenir est devant nous, mais à Marseille, pour toute chose, et le hip-hop n’échappe pas à cette fatalité, « même pour perdre il faut se battre ».
Julien Valnet
http://www.konbini.com/fr/entertainment-2/cinq-artistes-ecoutes-spotify-france-2015/
Jean-Claude Izzo
Crédit photo : Aucepika