“Toc toc toc”, qui est-là ? Le troisième album de David Lafore, chanteur décalé que d’aucuns comparent aux grands paroliers. La décontraction amusée, le sérieux déguisé, la gravité déjantée… Personnage singulier dans le décor musical français, l’artiste est aussi agréable à écouter qu’à voir. À interroger, tout autant.
La chanson éponyme de ton dernier album – “Toc toc toc”, se joue un peu des codes du rap : on y retrouve des beats électroniques, de l’autotune…
En dehors de la musique classique jazz, j’écoute pas mal de rappeurs américains. J’avais déjà initié quelque morceaux parés d’autotune sur mon précédent projet, “La tête contre le mur”. C’était d’ailleurs un peu un drame à la maison, car la personne avec qui je vis ne le supportait pas ! Ça a un peu changé. Certains pensent que j’utilise l’autotune au second degré, mais en fait : pas du tout ! Ça me plaît. Pas mal de mes textes parlent de problèmes d’identité, ou de dépersonnalisation, et finalement cette voix métallique hyper traitée ne semble presque plus venir d’une personne réelle. Peut-être qu’il faut que je fasse attention car c’est devenu une manie. Je vais d’ailleurs me concentrer sur le fait de changer de manière de composer, d’essayer de moins me servir des machines.
D’ailleurs, cet EP fait la part belle aux machines : est-ce que ce choix est plus compliqué à transposer au live ?
Oui, je me retrouve à faire des reprises de moi-même, à me dire : “comment est-ce que je vais pouvoir faire ça ?” (rires). Surtout quand je suis tout seul, en acoustique, ça me prend parfois beaucoup de temps de trouver la manière de restituer les prods un peu sans limites de l’EP.
Tes compos et ta manière de te produire paraissent souvent assez théâtrales, tirant parfois vers le one man show. D’où vient cet attrait apparent pour le spectacle, le rire ?
Il est vrai que, sur scène, j’ai souvent une envie irrépressible de faire rigoler. Ça confine quelquefois au cabotinage, mais bon ! (rires). C’est une sorte de réflexe que j’ai lorsque je suis devant les gens. Mes concerts prennent parfois des proportions de stand-ups un peu bâtards. J’aime d’autres formes : je fais souvent des concerts-lecture, où je suis moins sur le rire – même si je n’arrive pas forcément à m’en empêcher entre les textes…- mais j’alterne chansons, poèmes un peu hard, mes feuilles sont par terre, le sacré de la lecture ou du concert sont un peu mis à mal et c’est tant mieux !
On t’a pas mal comparé à certains paroliers, chanteurs tels que Boris Vian ou Serge Gainsbourg. Qu’est-ce que tu penses de ces comparaisons ?
Je les écoutais ! Gainsbourg, j’en ai mangé beaucoup. On me parle parfois de Desproges, c’est pareil, j’en ai mangé beaucoup. On est toujours un petit peu ce que l’on mange… Philippe Katerine, Brigitte Fontaine, Didier Super… On me le dit beaucoup aussi.
Dans ton parcours théâtral, tu as travaillé avec le Badaboum Théâtre, à Marseille, pendant très longtemps. Qu’en gardes-tu comme souvenir ?
J’ai fait un nombre très important de spectacles devant ce public si particulier… C’est un public homogène en âge. Forcément, ça m’a beaucoup imprégné. J’ai joué jusqu’à trois fois par jour de mes 20 à mes 28 ans. J’ai vraiment aimé cette période et ce public intransigeant qui n’a pas encore intégré la sacralisation du moment de théâtre où il faut se taire ! C’est un public qui ne tait pas, et c’est bien ! Le badaboum, ça a été mon école.
Tu sembles très lié à la salle marseillaise la Mesón, où tu as joué nombre de fois, en concerts et cartes blanches. Qu’apprécies-tu dans ce lieu et chez Sarah et Gilles, qui le tiennent ?
Leur simplicité, leur facilité à dire “viens, on t’aime, on fait ça comme ça, d’accord, chouette”. J’aime bien quand les choses se font simplement avec les salles. J’ai l’impression de retrouver ça aussi au Théâtre de l’Œuvre. D’une manière générale, j’ai l’impression que les scènes nationales se sont également pas mal détendues, c’est peut-être le Covid qui leur a fait du bien, les a forcés à faire les choses de manière plus agile et spontanée. Dans un monde où, avant, les choses étaient un peu centrées sur un milieu, une surévaluation…
Quels pourraient être tes souhaits, de manières personnelle et plus générale ?
Ce que je me souhaite à moi, c’est de jouer le plus possible et de faire des chansons intéressantes. On pourrait souhaiter pour la société de changer de cap… ça fait un moment que la nature humaine montre ses dégueulasseries.
Est-ce que ce sont des choses qui t’inspirent quand tu composes ?
Mes chansons peuvent partir de ce que j’observe, d’une phrase que j’ai entendue, par exemple. Souvent de la part de personnes qui sont déjà un peu en dehors d’une socialisation normale. Souvent, quand je suis dans une gare, j’écoute les clochards, ce qu’ils disent. Je suis fasciné. Peut-être qu’à un moment, plus jeune, j’aurais pu déraper… Peut-être que j’essaye de voir qui j’ai failli être ? Je ne sais pas. En tous cas, je m’approche, j’écoute et je ressens. Dans l’EP, il y a une chanson qui s’appelle “J’aurai dû”. Je l’ai entendue à Avignon, cette phrase, j’étais en vélo et j’ai eu le temps de capter en passant cette phrase d’un clochard : “j’aurais dû lui dire…”. C’était peut-être quelque chose de trivial, mais j’y ai entendu un regret impossible à dépasser. Avec cette simple impression, je fais une chanson mélangée avec des sentiments personnels sans être trop directif dans le texte. J’aime bien qu’on ne comprenne pas précisément, la personne qui écoute peut compléter. Quand ça devient trop directif, je barre, j’enlève.
Lucie Ponthieux-Bertram
Le 03/05/2024 aux Arcades – Aix-en-Provence (13), les 04 et 05/05/2024 au Melting Potes – Barjols (13), le 18/05/2024 à Carpentras (84), le 21/05/2024 au Théâtre de Pierres – Fouzilhon (34), 24/05/2024 à la Médiathèque de Gignac (34), le 25/05/2024 à Saint-Saturnin-de-Lucian (34) et le 07/06/2024 au Jardin Singulier – Saint-Léger-du-Ventoux (84).
Photo : Ori Bahat.