Jamais depuis le milieu du siècle dernier et l’avènement de la musique rock, un artiste n’aura autant fasciné le public et les médias. Tout à la fois acteur, producteur, chanteur et compositeur, cet être venu d’ailleurs qu’est David Bowie va passer plus de quatre décennies à brouiller les pistes, changer de style et de direction, faire et défaire les modes musicales et influencer durablement des dizaines de musiciens. Parti d’une pop très sage au milieu des années soixante, il va se tourner vers le folk à la fin de la décennie, puis être au début des années 70 le messie d’un rock décadent (glam rock) avec son groupe les Spiders From Mars.
La naissance d’un mythe
Dès 1974, il se tourne vers les musiques noires (soul, disco et funk) pour terminer la décade avec une trilogie appelée berlinoise qui fera date en intégrant une musique électronique de grande qualité. Les années 80 le verront toucher un public de plus en plus large avec des compositions pop à l’efficacité redoutable et des tubes planétaires comme « Let’s Dance » ou « China Girl ». À la fin des années 80, il fut même le chanteur du groupe Tin Machine qui sortit deux opus. Puis, il reviendra, avec plus ou moins de bonheur, vers des musiques plus expérimentales et de nouveaux climats, flirtant avec la techno ou la drum’n bass. En 2004, il disparaît totalement de la scène musicale.
L’homme caméléon
Tout au long de son parcours musical, il va mettre en scène durant ses shows des personnages haut en couleurs : Ziggy Stardust, messager humain d’une intelligence extraterrestre cherchant à transmettre à l’humanité un message d’amour et de paix, Halloween Jack, héros borgne et félin glacial vivant dans la putrescente Hunger City, ville du futur dans un pays dominé par une dictature, The Thin White Duke (le mince duc blanc), dandy portant chemise blanche, pantalon noir et gilet, sorte de mélange d’aristocrate fou et de zombie amoral et enfin Nathan Adler, détective chargé d’enquêter sur l’Art-Crime, un nouveau courant artistique utilisant le meurtre comme une forme d’art. À de multiples reprises, Bowie va également être un phare pour la mode de son époque. Un seul exemple parmi cent : il a vingt ans d’avance quand en 1978, il apparaît en scène avec un haut à capuche en microfibres et pantalon de combat en coton glacé. Les tenues de scène des années 70, créées par le japonais Kansai Yamamoto, font maintenant partie de la légende, tant la créativité était au rendez vous. David Bowie aurait écoulé près de 140 millions d’albums à travers le monde. Les chefs d’oeuvre sont nombreux : « The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars », « Aladdin Sane », « Diamond Dogs », « Station to Station », « Heroes », « Scary Monsters » ou « Heathen ». Mais cette liste n’engage que son auteur. Le parcours est si diversifié que chacun a ses préférences. Certains ne jurent que par la trilogie berlinoise, d’autres par la période glam-rock, d’autres encore par la décennie 80, d’autres enfin par les opus des années 90. Le génie de ce créateur est multi-dimensionnel et donne littéralement le tournis.
Un artiste complet
David Bowie est aussi un acteur de très grand talent et l’on ne parle, hélas, que rarement de cette facette de son art. Ses prestations dans « Furyo », « L’homme qui venait d’ailleurs » ou « les Prédateurs » et au théâtre dans « Elephant Man » sont mémorables. Sa classe innée est toujours présente, même dans une apparition, comme dans l’excellent film « Le Prestige ». Il n’a peut-être pas eu le parcours cinématographique que son talent d’acteur méritait, mais désirait-il mener de front deux carrières ?
« The Next Day » : un album-kaleidoscopique à multiples facettes
Alors qu’on le disait retiré de la vie publique, David Bowie a redonné signe de vie le 08 janvier dernier, jour de l’anniversaire de ses 66 ans, avec la mise en ligne du clip du titre « Where Are We Now ? ». Puis, le 11 mars, nous est arrivé son vingt-quatrième opus « The Next Day » avec aux manettes Tony Visconti, producteur historique de la moitié des albums du maître et le retour de musiciens déjà présents autour de Bowie il y a dix ans (les guitaristes Gerry Leonard et Earl Slick, le batteur Sterling Campbell). La pochette de «The Next Day» n’est autre que celle de «Heroes», dont le titre a été barré et sur laquelle le visage du chanteur est masqué par un carré blanc. Ceci posé, que dire de cet album ? Bowie ne laisse jamais indifférent. La très grande majorité des fans sont unanimes dans les louanges et l’album s’arrache un peu partout. Pourtant, certains ne sont pas rentrés dans l’univers proposé et se plaignent que cet album ne comporte pas de titres totalement novateurs. En fait, « The Next Day » revisite la longue histoire du chanteur. Nous retrouvons des climats, des influences du passé, comme « Heat » avec sa mélodie oppressante et « Where Are We Now ? », toute de mélancolie sombre, qui nous ramènent vers la trilogie berlinoise. Le titre « The Next Day » semble tout droit sorti de la période glam. Un grand nombre de styles sont représentés : jazz, blues, glam, psychédélisme, rock, expérimentation et même hard-rock. « The Next Day » est un album rock, très rock, avec beaucoup de rythmes et de titres enlevés, ainsi qu’un exercice de style brillantissime et foisonnant. David Bowie vient tout simplement d’effectuer un des come-back les plus fracassants de l’histoire du rock.
Phenix
Quoi qu’il en soit, cet homme caméléon est magnétique et son charisme sur les foules est unique. Nous, les quinquas , avons vécu cette bowiemania des années 70, début d’un phénomène culturel qui n’a jamais cessé depuis. Renaissant toujours de ses cendres tel un phénix, David Bowie n’a eu qu’un seul credo dans sa carrière : proposer une transformation permanente et se renouveler constamment. Cela explique pourquoi il est resté une icône incontournable. Ne disait-il pas il y a quinze ans « Je n’ai aucun regret. Si je me laisse aller à regarder le passé, ce qui m arrive rarement, j’ai tendance à y voir moins un fardeau que des ailes ». Depuis plus de quatre décennies, nous avons eu le privilège d’assister à l’envol majestueux d’un artiste de génie et de suivre avec passion un voyage au long cours qui se poursuit encore en l’an de grâce 2013.