TIKEN JAH FAKOLY

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Le 22/02/2025 au Carré – Sainte-Maxime (83).

Tout d’abord un mot du lieu, un complexe cinéma / salle de concert, dont le hall vaste vous accueille avec un espace bar pas si impersonnel que ça. Nous sommes très bien accueillis et rien ne cloche dans l’organisation. Si je suis naturellement porté sur le côté associatif du monde de la musique, je dois avouer que le Carré Sainte Maxime nous dévoile le meilleur de ce qu’on peut appeler le professionnalisme. Personnel sympa, belle salle qui permet une vue plongeante et de la place devant la scène pour les danseurs compulsifs (dont je fais partie). Je dois dire qu’ils proposent une belle programmation africaine, j’y ai vu de magnifique concerts comme Angélique Kidjo ou Youssoupha avec le gospel symphonic expérience.

Pour cette tournée Tiken Jah, dans la droite ligne de son album acoustique, se présente avec une nouvelle formation acoustique plus africaine que jamais avec basse et guitare acoustique, balafon et percussions africaines. Une révolution !
Tiken Jah Fakoly me force sans cesse à naviguer entre les paradoxes du monde d’aujourd’hui et mes propres contradictions sur lesquelles je flotte chaque jour tant bien que mal, les siennes me chahutent entre mer d’huile et vagues scélérates. Je lui reproche très souvent de regarder l’Afrique avec des lunettes d’occidental et un discours qui la rabaisse à son passé et ses drames. Répondant toujours aux appels du confort artistique français, il fait de rares apparitions africaines et organise des concerts hors de prix dans son pays natal (20000 CFA l’entrée soit 32€ à Abidjan, une fortune ramenée au niveau de revenu local). Il semble quand même touché par le vertige du succès, s’éloignant sans cesse des racines populaires du reggae.

Je dois dire que si je préfère personnellement le son reggae habituel, je dois reconnaître que cette couleur plus africaine est bien meilleure artistiquement, plus originale et authentique, comme s’il avait enfin trouvé son authenticité. Pendant les 3/4 du concert je n’ai pas entendu ses habituelles rengaines sur la misère et la dictature en Afrique. Et quand il l’a ensuite fait, il s’en est excusé à chaque fois en disant qu’il fallait bien parler du passé pour l’expliquer à la jeunesse africaine.

Aujourd’hui Tiken Jah Fakoly me donne l’impression d’avoir flotté sur une pirogue qui s’est laissée emporter par le sens du vent vers une certaine facilité de pensée, manichéenne et caricaturale au début de sa carrière française. La pirogue s’est ensuite transformée en immense paquebot de croisière de luxe qui porté par l’inertie de son succès peine à faire demi-tour. Je suis presque sûr que Tiken Jah Fakoly a compris ce que d’autres et moi peuvent lui reprocher et qu’il tente de corriger le tir. Cette nouvelle formule en est la preuve.

Cependant pour qui connaît la géopolitique et l’économie africaine, chacune de ses interventions pourra être critiquable tant elles manquent de précision et d’à-propos. Au Carré le public ressemblait davantage à celui d’une chaîne d’info continue qu’à celui d’un festival reggae ou de musique africaine. Loin de le regretter, j’ai trouvé salutaire que ces personnes soient confrontées à un discours qu’ils n’ont pas l’occasion d’entendre ailleurs. Se rendre compte qu’un africain ne peut pas voyager librement, que son pays est parfois pillé ou que l’occident déstabilise constamment les forces politiques locales mais surtout que les africains sont de grands travailleurs ce que peu de gens savent ici. Je les ai sentis étonnés, bouleversés et vraiment réceptifs par moment. C’est tout à fait positif.

Je pense que c’est le plus pertinent concert de Tiken Jah Fakoly auquel j’ai pu assister. Une formule musicale plus authentique et un public dont le niveau de culture et de compréhension était parfaitement en phase avec le niveau de son discours engagé parfois superficiel et inutilement négatif.

D’accord, il a bien fait sa nouvelle chanson « a capela » pour dénoncer l’excision qui est un rite de passage pour les artistes africains qui veulent montrer patte blanche à un public européen qui adore ce thème présentant un continent africain rétrograde et sauvage comme si tous les africains avaient besoin de lui pour comprendre qu’on ne mutile pas les femmes. Fatoumata Diawara ou Rokia Traoré en ont fait de même, même si j’y vois un signe de soumission, il est difficile de la regretter.

Il n’empêche que j’ai passé une bonne soirée, heureux de constater que Tiken Jah était pour une fois à sa juste place et c’est une première pour moi, peu importe que je ne fasse pas partie de son cœur de public. Sa nouvelle formule plus pertinente charme et j’ai l’impression qu’il a quand même ouvert la conscience des personnes présentes, c’est salutaire, cela suffit à mon bonheur et à faire taire mes éternelles réserves.

Emmanuel Truchet

tikenjahfakoly.shop

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