Les 14 et 15/06/2024 au Terrain Laroche – Montauroux (83).
Le festival Roots du Lac fêtait cette année son 6ème anniversaire et comme la 5éme édition était très réussie, le concept qui a prouvé sa pertinence n’a pas été modifié pour moins bien et c’est heureux. Tinou, Pamela et leur joyeuse clique se sont activés toute l’année pour mettre sur pied cette nouvelle édition. Comme toujours une kyrielle d’autres associations ont participé pour créer du spectacle mais aussi des activités et pas mal de possibilités d’être installés dans un lieu agréable et bien décoré. C’est une organisation qui roule bien et chacun tient sa place, on ne sent aucune précipitation ou improvisation et c’est tant mieux car ce sont des conditions moins stressantes pour les organisateurs.
Le vendredi a commencé par un Sound System disposé sur une partie de site ouverte le premier soir, l’ambiance est conviviale, le public danse et tout le monde socialisé, l’ambiance est cool à souhait, le collectif Dub Coast assure la sélection. Je ne m’attarde pas préférant retrouver du vrai live au Latitude avec Utopik (je ne l’ai vraiment pas regretté, vous pourrez le constater en lisant mon live report sur le site de Nouvelle Vague) et je préfère me préserver pour le lendemain.
La grande scène est toujours aussi impressionnante par sa taille, son équipement mais aussi son équipe technique, avec Erwan aux commandes. La qualité et l’ampleur sonore sont toujours au rendez-vous pour le public et aucun groupe ne se plaindra du son de scène, du très bon donc et cela a une importance première au Roots du Lac. En effet l’équipe est partie d’un constat aussi simple que pertinent qui est que le vivier de groupes en région PACA n’a pas accès ou très difficilement accès aux grandes scènes, à de bonnes conditions techniques. Cette ampleur scénique, visuelle et sonore est donc à la base de ce que propose le festival aux musiciens pour les motiver à quelque chose d’exceptionnel.
Les concerts se sont enchaînés, d’une scène à l’autre, sans aucun temps mort même si je n’ai pu voir que 3 groupes, je ne peux donc pas évoquer l’ensemble de la programmation mais ce que j’ai vu et entendu m’a vraiment comblé. Le premier groupe The Setters qui vient des environs de Toulon propose un roots reggae à l’ancienne qui tire son ampleur du nombre de musiciens plutôt que de l’énergie de ses mélodies un peu trop posées et de compos un peu trop linéaires à mon goût. Il n’empêche que les entendre fût relativement agréable et revivifiant et ils sont même parvenus, par je ne sais quelle magie, à déclencher une averse qui juste été suffisante pour nous rafraîchir et pour ne pas voir la fête virer en bal poussière à l’africaine.
Chaque année au Roots du Lac on tombe sur une pépite, un concert qui sort du lot et qui électrise la foule et provoque la liesse et la surprise en même temps. Cette année c’était The Chillers. Le groupe Cannois drivé par le couple Vini et Lucille au chant a déroulé son reggae soul ragga avec talent et encore plus d’intensité émotionnelle qu’avec l’ancienne formation des Chillers à deux chanteurs déjà hyper énergiques. Au bout de deux minutes, la première chose que je me suis dite c’est que si je les avais vu jouer un dimanche après-midi dans un square à Brooklyn lors d’une commémoration de l’héritage caribéen aux USA, je ne me serai jamais dit qu’il s’agissait d’un groupe de français en vacances. La voix et le flow de Vini tout comme ceux de Lucille sonnent vraiment soul, soutenus qu’ils sont par Marion aux chœurs, la Soul Sister qui partage le lead vocal avec Lucille dans le groupe The Infraroots. Leur diction en anglais est parfaite, leur groove vocal ne s’affaisse jamais et les deux forment une paire gagnante dans ce registre soul syncopé qui évoque un groupe haïtien new yorkais, le groupe d’un Wyclef Jean à peine sortie de l’adolescence et ce qui est sûr c’est que ce n’est pas donné à tout le monde en France, c’est même particulièrement rare. Les compos solides et un groupe qui suit avec brio et c’est un set hyper dansant auquel le public a répondu par des cris et des applaudissements impressionnants. Ce show intense de bout en bout entraîne votre corps et votre esprit sans interruption et le public a dansé tout ce qu’il pouvait !!! Une belle réussite pour cette nouvelle formule du groupe que je n’avais jamais encore entendue.
C’était ensuite au tour de Natty Crew d’occuper la grande scène, un collectif hyper énergique dirigé par un chanteur étrangement looké qui semble échappé d’un clip de Van Halen avec sa guitare « hard rock style », ses cheveux longs gaufrés même s’il a sauté l’étape, il est vrai, contraignante du pantalon moulant à rayures blanches et noires. Cependant il a vraiment tenu sa place et c’est un bon chanteur reggae. Le groupe très nombreux est parfois débordé par son énergie mais j’ai remarqué que Stéphane, clavier expérimenté jouant pour plusieurs groupe reggae encadrait bien cet ensemble terriblement agité. Leur set a vraiment plu et on a tous été emportés par leur volonté si palpable de nous faire décoller.
Encore une fois c’est une édition réussie, festive et bienfaisante, les sourires universellement affichés ne mentent jamais cependant, à titre personnel j’ai quand même un regret. Alors que des politiciens qui affichent leur croyance en une hiérarchisation des races dans quasiment chacun de leurs actes ou leurs projets sont aux portes du pouvoir, déroulent leur discours périmé avec la complicité des médias, je n’ai pas entendu un mot à ce sujet de la journée, comme si cet avenir trouble nous était indifférents.
Le reggae n’est pas une musique comme les autres, c’est celle qui a été créée par des africains déracinés de force qu’on a longtemps considérés comme des sous hommes, des animaux ou des enfants. L’égalité raciale et sociale est au fond même de son existence. Oublier ou faire semblant d’oublier ses racines pour ne froisser personne reste quand même pour moi une faute morale.
Je ne souhaite personnellement pas que le reggae devienne une occasion de consommation festive de plus. Je sais que les artistes revendiquent par le biais de leurs chansons et leurs textes, que le fait de présenter de nombreuses associations fait sens mais pour moi ce n’est pas suffisant. Le parti que j’évoque veut supprimer le régime des intermittents du spectacle et le soutien aux associations culturelles, et nous on reste là à faire la fête comme si de rien était ?
Bob Marley a chanté « Get Up Stand Up For Your Rights » et non get up stand up, drink beer, have fun with your friends and spend money ! Je l’aime et je l’aimerai toujours pour ça !
Emmanuel Truchet