Le 07/12/2021 au Théâtre National de Nice (06).
Quel bel écrin que ce théâtre, hélas, trois fois hélas, promis à la démolition, pour accueillir l’une des plus grandes dames du jazz. Madame Rhoda Scott. Un duo avec le batteur Thomas Derouineau qui se trouve être aussi son gendre et le papa de son nouveau petit-fils, né il y a peu comme elle nous l’apprendra pendant le concert. Elle lui dédira le très beau “A Child Is Born” de Thad Jones. Leur répertoire s’inspirere du récent album “Movin’ Blues”. Du blues donc mais aussi du gospel, “Let My People Go”, très swing. (Rhoda a débuté sa carrière sur l’orgue de l’église où officiait son père). Et quelques thèmes de jazz. Une reprise de Michel Legrand puis deux de Duke Ellington “Come Sunday” avec un festival de cymbales frappées tour à tour par les mailloches puis par les balais. Mais c’est un “Caravan” d’anthologie qui a embrasé le public. Là encore, le batteur a prouvé qu’il n’était pas là pour faire de la figuration. Il imprime tout d’abord un rythme chaloupé, façon dromadaire dans le sable puis accélère le tempo, la frappe se fait plus énergique. Peu probable que le tranquille animal du désert puisse continuer longtemps sa marche dans les dunes à un tel entrain. Rhoda Scott, de son côté, caresse, bouscule son Hammond vintage, tout en restant d’une élégance rare. Les deux claviers et le pédalier n’ont guère de moments de repos. Après, un, deux rappels, elle finira par quitter la salle, un bouquet en main, pour rejoindre l’atrium du théâtre où l’attendent ses fans.
On change de style. Une seconde partie plus glamour si on en juge par la robe lamée argent plutôt courte qu’arbore la chanteuse américaine. Mais on reste dans le blues avec Robin McKelle et son quartet qui présente le programme de son album “Alterations”. Un pianiste Matthias Bublath, A la basse électrique et contrebasse l’immense Reggie Washington (il a joué avec Archie Shepp, Branford Marsalis, …). A la batterie, très content de jouer “at home”, le niçois Nicolas Vicarro. Ils attaquent fort avec une reprise tout en délicatesse du “Back To Black” de la regrettée Amy Winehouse. Suivie de “High Head” signée McKelle avant le premier moment fort, “The River” de Joni Mitchell que la chanteuse s’approprie de fort belle façon. Sa setlist est consacrée aux chanteuses qui l’ont inspiré, ému. Le “No Ordinary Love” de Sade est presque meilleur que l’original, un duo basse voix et un superbe solo de piano. Elle ne pourra rien hélas pour “Rolling in The Deep” d’Adele qu’elle a mis à son répertoire. Après un petit blues où elle pianotera quelques notes sur le B3 avant de scatter en duo avec un Reggie Washington imperturbable à la contrebasse. Le second moment fort est double. D’abord Robin s’installe au piano (“pas facile avec ma robe la plus courte et mes chaussures les plus hautes”, sourit-elle!) pour nous interpréter le tube de Carole King “You’ve Got A Friend” suivi du très dynamique “Jolene” créé en 1974 par la country girl Dolly Parton. En rappel, en voiture, “Mercedes Benz” de la géniale Janis Joplin.
Quelle soirée où Robin McKelle a su mettre sa voix dans les chansons d’artistes qui lui ont ouvert la voie.
Puis les portes du théâtre, quel gâchis, se fermeront définitivement sur la musique.
Jacques Lerognon