Le 10/08/2022 au Théâtre de Verdure – Le Lavandou (83).
L’association Culture + a pris dès 2009 le pari fou de faire revivre le festival citoyen Couleurs Urbaines organisé à La Seyne sur Mer, depuis la greffe a amplement pris et l’association organise de multiples évènements tournés vers la qualité et la diversité musicale mais assurant aussi la promotion de valeurs humaines d’ouverture et de tolérance.
Après m’être rendu à une magnifique et foisonnante édition 2022 de Couleurs Urbaines, l’idée de partager une affiche incroyable un mercredi soir avec des passionnés et connaisseurs de musique reggae m’a totalement conquise dès que j’ai vu cette affiche bleue : Queen Omega et Alborosie le même soir. C’est à partir de cet instant que distance, logistique, agenda personnel et contraintes familiales ont rétréci dans mon esprit jusqu’à l’infime.
Soyons clairs dès le départ : Queen Omega est pour moi la plus grande voix du reggae mondial, la meilleure maîtrise technique et une versatilité doublée d’une puissance qui m’a toujours laissé pantois. Elle est originaire de Trinidad & Tobaggo, une petite île des caraïbes qui est connue comme un des lieux au monde les plus multiculturels où chaque groupe prend sa place dans une mosaïque sans pareille mais aussi sans réelle mixité sociale à l’opposé d’un Brésil assez proche, c’est dans ce contexte que Queen Omega a dû apprendre à resserrer les liens sociaux à partir de ce qu’elle sait faire : composer et chanter. C’est une femme courageuse qui voyage avec son seul manager dans tous les pays du monde trouvant au gré des invitations de musiciens pour l’accompagner. Je l’ai même personnellement envoyée au Brésil pour le festival « A Regaddo a Reggae » organisé à Itanhaèm dans l’État de Sao Paulo où elle est finalement restée pour 3 semaines de vacances. Il en est sorti une prestation sur scène magique, un magnifique titre enregistré avec le groupe Brésilien Afrodizia (visionnez Alforria sur youtube) et même une petite tournée avec eux.
Pour en revenir à notre mercredi 10 août, notre reine a encore explosé sur scène accompagnée par un combo Paris-Marseille composé de David de Dub Akom à la batterie, de Mouloud aux claviers et le bassiste et le guitariste qu’on voit souvent accompagné Taïro ou Soom T. mais dont j’ignore le nom. Entre textes pertinents et mobilisateurs, créativité new roots, explosivité dancehall, un groupe qui joue avec énergie et des interventions captivantes entre les chansons (j’espère que le public a compris son anglais), la femme et l’artiste engagée qu’elle est, a su encore une fois créer un lien fort avec le public. Un lien bien différent avec celui que savent créer les hommes, soient-ils de presque aussi grands chanteurs qu’elle et artistes aussi inspirés. Je ne sais pas dire si c’est le résultat de son engagement absolu, physique et spirituel dans sa musique ou encore la spécificité des thèmes abordés comme celui des liens familiaux (sa chanson Big Up Papa qui est une ode au rôle irremplaçable des pères dans la famille, m’a ému aux larmes), d’une saine alimentation ou encore de l’intégration de l’homme à la nature qui l’environne, mais l’émotion était palpable, si solide qu’on s’en serait coupé des tranches pour ramener à la maison et les déguster chaque fois que la tentation d’être égoïste ou arrogant se présente à nous. Les grandes chanteuses reggae comme elle, Queen Ifrica ou encore Tanya Stephens, ont toutes quelque chose de spécial et une présence tout aussi festive que les hommes mais plus profonde dans le lien qu’elles savent tisser, aussi bien auprès des femmes que des hommes qui font leur public.
Suite à ce shoot de musique mais aussi de partage, de conscientisation et de spiritualité païenne, Alborosie s’est présenté sur scène. Si Queen Omega est la plus grande chanteuse du reggae contemporain, Alborosie est l’artiste qui sait présenter le show le plus abouti, le plus travaillé et le plus éclectique de l’univers reggae actuel, seul Morgan Heritage où Alpha Blondy et son Solar System pouvant éventuellement rivaliser. J’ai connu ce jeune sicilien (tiens encore une île !) au début des années 2000 et si l’originalité de son registre ne crevait pas le plafond, sa motivation et son envie d’apprendre étaient par contre évidentes. Aujourd’hui c’est l’artiste reggae européen qui est le plus intégré à l’écosystème reggae en Jamaïque. Vivant sur place depuis environ 15 ans maintenant, je pense, qu’aujourd’hui, plus personne ne se réfère à sa couleur de peau où à ses origines géographiques pour parler de lui, sa légitimité artistique, acquise par le travail et l’implication ne se discute absolument plus. Ce soir-là, il a encore laissé libre cours à son reggae moderne, multiculturel qui sait balayer toutes les tendances qu’a produit ce style musical depuis 50 ans avec une interprétation d’une qualité musicale qu’il n’est plus possible de critiquer. Intros puissantes, breaks millimétrés arrangés à la perfection, mélodies entrainantes sonnant toutes justes, interprétation vocale parfaite, le staff d’Alborosie regorge de talents, guitare lead et rythmique, basse, chœurs, batterie et claviers, le groupe gère et excelle à soulever le public qu’il soit porté sur la fête ou plus mélomane.
Il est aussi important d’évoquer la perfection de l’organisation qui a su valoriser cette affiche incroyable car tout ce qui se passait en dehors de la scène était aussi parfait, avec une mention pour la qualité du son, que ce soit sur scène ou en façade : de l’équilibre, de la clarté et de la puissance, sans parler de lumières esthétiques mais aussi d’un personnel au bar très affable et heureux d’être là. L’amphithéâtre permettait à chacun de trouver la place, la perspective et l’espace qu’il souhaitait et le nombre de personnes présentes était, du point de vue du spectateur, parfait. Même mon fils de 5 ans a passé une excellente soirée en jouant au football avec une bouteille plastique dénichée par un nouvel ami de circonstance, entre quelques pas de danse et quelques gorgées d’Ice Tea frais à souhait.
Je ne pourrais finir sans un énorme « Merci » de la part de chaque personne présente à Beligh et à sa fidèle équipe, ils peuvent être fiers de ce qu’ils ont inventé, un simple mercredi soir dans un gros village du Var, un miracle et un feu d’artifice de positivité. Cette positivité qui enchante l’instant mais contribue aussi, et c’est le plus important, à rendre notre monde meilleur en rechargeant les batteries mentales des personnes présentes qui rendront, c’est sûr, ce qu’ils ont reçu et mais produiront ensuite bien plus encore. Bravo à toutes et à tous.
Emmanuel Truchet