MACKLEMORE

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Le 14/08/18 aux Terrasses du Palais des Festivals – Cannes (06).

#NVmagLiveReport

Présenter Macklemore a ceux qui ne le connaîtraient pas n’a rien d’aisé, en effet, encore plus que tout rappeur, ce dernier accumule les paradoxes dont il joue et se repaît même pour permettre à ses idées de pénétrer au plus profond de la conscience de ceux qui l’entendent, l’écoutent, le comprennent puis rendent concrets ses idéaux dont son pays et le monde d’aujourd’hui ont, plus que jamais besoin. Sorte de chevalier blanc totalement atypique, il a décidé de partir en guerre contre l’Amérique puritaine, communautariste, matérialiste et consumériste qui l’entoure, l’encercle sans l’étouffer, bien au contraire car c’est dans l’adversité qu’il semble puiser sa force et son inspiration. Au départ, nous pourrions penser que ce sacerdoce évoque Don Quichotte chargeant sans succès ses moulins à vent ou encore la traversée de l’atlantique à la rame d’est en ouest, à contre courant, mais voilà ses armes ce sont les rimes et elles ont conquis les USA puis le monde. Ses merveilleux films, qu’on ne peut décemment les qualifier de clips ou de vidéos virales, tant leur réalisation, leur image et le sens qu’ils prennent empoigne les internautes que nous sommes tous par le cœur pour ne plus jamais les lâcher. Il manipule comme personne les codes formels hollywoodiens mais emmène son propos dans une autre dimension sans se cantonner à une émotion intense mais passagère. Les visionner nous plonge progressivement en introspection et chacun d’entre eux par les questions qu’il soulève, vient questionner notre conscience comme nos actes. Pour illustrer ce propos je suis allé chercher dans ses textes et ses films musicaux les plus populaires, en effet il se trouve classe et grand quand il vient fêter les 100 ans de sa grand-mère et lui offrir une journée de rêve pour tendrement enlacé sa main pour une image de fin à vaciller d’émotion(121 millions de vues), encourage ses semblables qui veulent être lookés pour sortir enflammer les dance floors à aller faire leur shopping dans les boutiques de fringues d’occasion pour populations socialement déclassées (12 milliards de vues !), nous montre que le comportement habituel du rappeur moyen clippé sur YouTube est choquant en le faisant adopter par de jeunes enfants (203 millions de vues) ou part en guerre avec des vers tranchants contre le rêve qu’insuffle les marques dans la conscience des ados américains (138 millions de vues). Sans oublier, Same Love (207 millions de vues); un chef d’œuvre de 7 minutes qui ne laisse personne indifférent en mettant en scène la vie amoureuse d’un couple homo en toute simplicité, le résultat ? Une bombe d’amour, de réflexion et d’émotion sans mièvrerie aucune qui fait voler en éclat toutes les projections et tous les obscurantismes que le combat pour l’égalité des orientation sexuelles fait naître. Vous vouliez du décalage, de la grandeur d’âme, de l’émotion et de la tendresse profonde, Macklemore sait faire appel à ce qu’il y a de meilleur en nous. Le voir programmer au Palais des Festivals de Cannes pour 70 euros la place, enfants y compris, a tout d’abord évoqué pour moi un des nombreux paradoxes que le rap entretien avec plus ou moins de bonheur, mais je dois dire que cette soirée a plutôt bouleversé mes repères et mes certitudes. Même pour celui qui, comme moi, porte comme fierté de consacrer son quotidien aux problèmes des autres et des plus fragiles cela fait le plus grand bien. Quand on comprend l’œuvre de Macklemore ont pourrait penser que son apparition dans un tel décorum s’apparente à un voyage chevaleresque au cœur du ventre de la bête représentant 90 % de ce qu’il combat de chansons engagées en tubes mondiaux. Peut être que je nage en pleine illusion, mais sans connaître les arcanes de sa programmation en ces lieux emblématiques d’un certain tourisme de luxe, ce concert a évoqué pour moi la palme d’or attribuée par le gotha du cinéma mondial à Michael Moore en pleine confusion post 11 septembre ou encore une scène du film Billy Elliot qui relate l’ascension d’un fils de mineur acculé à la ruine par les grèves anti privatisation dans l’Angleterre de Thatcher vers l’Académie royale de danse. Le jury de l’académie qui évoque ce que la culture a de plus élitiste, glisse au père en fin d’entretien « bonne chance pour votre grève » pour témoigner que le monde de la culture a une conscience que les apparences masquent et que moralement, les artistes et ceux qui les servent ne sont pas des riches comme les autres. Je préfère voir ce concert comme une volonté du staff de porter des valeurs que le quotidien du business touristique cannois dilue plutôt que comme une prestation artistique bassement pécuniaire : la réalité se situe surement un peu entre les deux.

L’artiste est présenté, le décor est posé, le concert peut commencer à submerger mes sens allant de surprise en surprise. Tout d’abord Macklemore est un excellent rappeur qui de plus présente un groupe avec machines, batteries, cuivres et chœurs en live même si pas mal de musique pré-enregistrée et diffusée comme une colonne vertébrant l’ensemble. La présence en début de concert, d’Eric Nally, moustachu kitschissime et néanmoins super chanteur funk qui surprend par son talent et son groove vocal se situant quelque part entre Mickael Jackson et Freddy Mercury. Le rendu musical et visuel est de haut niveau professionnel tout en préservant l’émotion et le lien entre public et artiste. Macklemore n’a plus qu’à enchaîner les tubes, le public bien que visiblement peu habitué aux performances musicales live répond présent et je prends conscience de l’intensité du lien entre Macklemore et son public. Porté par les images qu’il sait, comme personne, utiliser (que ce soit sur You Tube comme en fond de scène en live). Son discours porte et voir et entendre l’ensemble du public chanter Same Love comme un hymne universel à la différence, m’a sincèrement ému. Je n’avais jamais vu un artiste qui utilise à ce point l’image virale pour donner plus d’efficacité à sa musique et porter ses valeurs au plus profond de l’âme de ceux qui l’écoutent. Ce touche à tout de talent, alternant sans limite ou inhibition, thèmes légers et graves sans jamais cesser de danser, avec des textes toujours lourds de sens et poignants qui viennent perturber nos repères m’a fait penser au Belge Stromaé et ses magnifiques images faites maison comme tout ce qu’il réalise. Le concert m’a profondément touché, perturbé juste ce qu’il faut pour susciter la réflexion que je vous livre ici et m’attirer vers l’ensemble de son œuvre, dévorant depuis ses films et tentant de percer les secrets de chacun de ses textes que je ne connaissais pas encore. Si on peut s’interroger sur la moralité de limiter par l’argent l’accès à un tel contenu artistique et philosophique, on peut aussi penser à la pertinence de la démarche en acceptant le fait que ce soit les plus nantis de notre monde qui soient le plus à même d’exercer la solidarité et la fraternité avec leurs prochains tout en ayant le pouvoir de changer les choses en profondeur grâce à la position sociale que leur travail ou leur héritage familial leur a offert. Une grande prestation artistique, un show éblouissant, des valeurs fortes qu’on prend plaisir à voir partager par ceux de qui on n’attendais pas cela : quelle soirée ! des jours après j’y suis encore et vous ?

Emmanuel Truchet

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