Le 20/09/2024 au Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille (13).
C’est avec le duo “Twofold Head” de Sophia Domancich et Simon Goubert que s’ouvre cette deuxième soirée des Émouvantes. Et émouvantes, elle va l’être! Un petit Steinway fait face à la batterie aux cymbales étincelantes. Les deux musiciens se regardent quand ils jouent. Ils construisent une narration à deux voix sur des thèmes inspirés par des courts métrages de David Lynch. Une intro, les balais sur la cymbale ride, puis sur la caisse claire avant une courte mélodie au piano, on rentre dans leur univers sur la pointe des pieds, on laisse leur musique vagabonder. Mais dès le deuxième thème, la frappe de Simon Goubert se fait vigoureuse sur ses cymbales, il sculpte des sons plus qu’il n’instille un rythme. Un batteur, c’est aussi un vrai musicien, nous rappelait avec humour Fabrice Martinez en prélude au concert. Ils interprètent ainsi quelques compositions de leur dernier album “Towfold Head” (PeeWee 2021), “Surface de réparation” qui n’a rien à voir avec le foot nous précise le batteur, “David et Nino” qui relie les deux univers (à priori éloignés) de David Lynch (déjà cité) et de Nino Rota mais aussi une pièce intitulée “Oraganum” tout comme celle qui débute le concert mais numéroté III (ou V). Le suivant, on ne connaîtra pas le titre, ils ne font pas de setlist, ils aiment à se surprendre et c’est donc Sophia Domancich qui égrène une courte introduction, accords plaqués, la mélodie fait surface et les baguettes rentrent dans la danse… Il est l’heure, c’est le dernier morceau du set, croit-on mais ils reviennent pour deux rappels dont le dernier tout en swing comme pour mieux nous entraîner vers la sortie.
21h passées de quelques minutes, un gros changement de plateau est nécessaire pour installer les dix musiciens du tentet de Riccardo Del Fra. C’est toujours une chance, un privilège et un grand plaisir d’assister à la création d’une œuvre. Une composition du contrebassiste italien, une commande du festival pour un ensemble de sept musiciens classiques (trois violons, deux altos, un violoncelle et une contrebasse) et un trio jazz, les saxophones de Jan Prax, le piano de Carl-Henri Morisset et la contrebasse du maestro Riccardo.
On découvre les interprètes installés en cercle derrière des pupitres sur lesquels reposent des partitions largement déployées. “Une folle allure”, dédiée à la femme qui pendant quinze ans a partagé la vie du compositeur; Marie qui fut, et qui est toujours, sa muse. La musique que l’on entend le prouve dès les premières mesures. Les cordes à l’archet, le sax alto qui s’introduit dans le flux puis les premières notes de piano. On est entre musique de chambre et jazz. Carl-Henri Morisset, auquel Riccardo Del Fra a donné beaucoup de liberté, nous régale de ces improvisations qu’il partage de temps à autre avec le saxophoniste et le compositeur dans un étonnant trio d’où sourd un jazz mélancolique. Quelques passages surprenants: un violon, un alto et le violoncelle jouent en pizzicati un court passage très musique contemporaine sur des volutes du piano (décidément très actif). Plus tard ce sont les deux contrebasses (Emilie Legrand et Riccardo Del Fra) qui soloisent à l’unisson, précision et groove avant que l’ensemble entier revienne en jeu pour un final où l’amertume se conjugue à la joie de vivre la musique. 50 minutes intenses, exigeantes, raffinées et, osons, émouvantes. Ceux qui ne connaissaient que le contrebassiste Riccardo Del Fra ont découvert le compositeur; l’arrangeur. On peut aussi le remercier d’avoir mis en avant (bien qu’il fût au fond de la scène) le pianiste Carl-Henri Morisset au talent déjà bien affirmé.
Jacques Lerognon