(Warner)
Il fallait oser. Oser rééditer Karen Cheryl dans un coffret trois CD, « Étonnamment Romantique », en pleine époque de playlists aseptisées, d’hommages cyniques et de mémoire sélective. Oser réécouter sans distance ironique celle que tant de critiques ont regardée de haut. Née Isabelle Morizet, elle est repérée par Jean-François Michael (chanteur de Adieu jolie Candy) et propulsée par Jean Schmitt, producteur historique du label Carrère, dans les années 70. Elle adopte le pseudo anglo-saxon Karen Cheryl, typique d’une époque où le glamour venait d’outre-Atlantique, mais reste résolument française dans le ton et l’intention. Ses principaux collaborateurs auront été des artisans de l’ombre qui ont façonné la pop hexagonale sans jamais grimper sur scène : Gérard Salesses, arrangeur attitré d’AB Productions, Guy Mattéoni, compositeur prolifique, Yves Dessca, parolier pour Claude François, et l’inévitable Didier Barbelivien, plume omniprésente des années variét’. Dans le système rôdé d’une industrie musicale alors au top, la force de Karen Cheryl fût cette capacité rare à rendre crédibles des chansons très écrites comme des bluettes adolescentes. En ce sens, la chanteuse aura occupé un territoire singulier, entre Sheila, France Gall, Joëlle de Il était une fois et plus tard Lio, tout en gardant une identité propre. Dans les années 80, alors que la musique s’éloigne de ses premiers amours, elle entame une brillante reconversion télévisée : animatrice de jeux et d’émissions jeunesse, elle devient une figure familière des foyers français, avant d’opter pour son nom civil dans les années 2000, lorsqu’elle se tourne vers la radio et les débats sociétaux. Sur le premier CD, derrière « Ne raccroche pas, je t’aime (1976), l’un de ses plus célèbres tubes, on retrouve l’innocence sentimentale des débuts. « Garde-moi avec toi » et « Épouse-moi » déroulent des romances typiques des années 70 où la candeur des paroles s’oppose à une orchestration plus dense. Avec son orchestration grand orchestre « Ne regrettons pas Syracuse », clin d’œil assumé à Henri Salvador illustre une volonté d’aller puiser dans le patrimoine de la chanson française avec douceur et légèreté. « Aimée ou amoureuse » incarne ce dilemme adolescent entre attachement et passion.
Le CD2 nous renvoie à l’heure des 80’s, de ses synthés et de ses blousons fluos. Avec « La Marche des machos », Karen Cheryl s’essaie à la satire pop. Elle déjoue les clichés virils avec humour et élégance, sur fond de synthétiseurs clinquants. « Mes années de lycée » (1984) est une carte postale générationnelle, tandis que « Les Nouveaux Romantiques » affiche un clin d’œil appuyé à la vague new wave anglo-saxonne (Spandau Ballet, Duran Duran) avec ces claviers brillants et cette esthétique futuriste. Une tentative d’intégration de codes internationaux à la chanson française. « Mon rêve en vidéo » évoque la fascination naissante pour l’image, le clip, la starification médiatique : en avance sur son temps, la chanteuse originaire de Vaucresson (92) anticipe le culte de la télévision et du paraître. Dans le répertoire de Karen Cheryl, « Si… » tient une place à part. Ni tube dansant, ni bluette formatée, cette chanson révèle une autre facette de l’artiste : celle d’une interprète capable de fragilité, de nuance, et d’émotion pure. Ces chansons jouent avec les codes visuels et sonores des années 80, et nous rappellent que Karen Cheryl fut aussi une icône moderne, connectée à son époque. Dans le dernier volet du coffret, place à la tendresse et à l’humour. « Oh chéri chéri » et « Pense à moi, quand même » dégagent simplicité et sincérité dans le kitsch. « Twister ma peine » ose un mélange entre chagrin d’amour et rythmes dansants, comme si le twist vintage pouvait soigner les blessures. Ici deux titres retiennent notre attention : « Voulez-vous danser Grand-Mère » loufoque et attendrissant – et « Maman la plus belle du monde », reprise de Fernand Bonifay popularisée par Luis Mariano, que Karen Cheryl réinterprète avec un naturel émouvant. Deux morceaux qui réconcilient les générations. Ce coffret triple CD est une madeleine sonore aux refrains entêtants pour toute une génération tant la sélection proposée ici réveille la mémoire collective et éclaire les différentes facettes de Karen Cheryl : romantique, effrontée, moderne… et souvent touchante.
Jean-Christophe Mary
#NVmagAlbum #KarenCheryl










