Zoom aujourd’hui sur un artiste originaire de Martigues, Ekzo. Compositeur, musicien, producteur, et ingénieur son studio, Ekzo revient en 2025 avec un projet tout à fait atypique, original et toujours autant bourré de génie. Rencontre.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis Guillaume Surget, 29 ans, propriétaire du Global Drip Studio à Martigues (13500). J’opère sous différentes casquettes dans de nombreux projets, aussi bien en qualité de musicien que technicien. Je suis passionné de son au sens large depuis que j’ai mis le pied dedans aux alentours de mes treize ans.
Comment t’es venu l’idée d’utiliser l’IA ? Pourquoi et comment ?
Comme tout le monde j’ai voulu essayer les différentes IA qui avaient la côte, par curiosité. J’ai fini par atterrir sur celles qui produisaient des musiques, et la première chose qui m’a frappée, c’est l’instantanéité du résultat. Une demande plus ou moins précise, un clic, 20 secondes d’attente, et voilà que des morceaux ont été générés. Automatiquement, ça m’a aidé à identifier mes forces et mes lacunes en me comparant à ce que l’IA pouvait produire. Selon moi, en 2025, l’IA n’est pas encore super inquiétante pour notre avenir de musicien/technicien, et à priori, personne ne veut écouter de musique 100% générée par IA. Paradoxalement, j’ai vu émerger un tas de compilations de musique lofi sur Youtube et les plateformes de streaming, 100% générées par IA (alors que cette particularité n’est mentionnée nulle part), et qui engendrent des centaines de milliers de vues. Ça m’enrage quelque peu, car le public est dupé, et des prétendus « artistes » génèrent des revenus conséquents avec un rythme de publication effréné, pour ne pas dire indécent. J’ai donc eu l’idée d’intégrer l’IA de manière modérée et éthique, m’en servir comme d’un outil parmi d’autres, et contraster avec le discours alarmiste à propos des IA qu’on entend à tue-tête. J’avais pour projet de monter un projet lofi sérieux depuis quelques années, avec quelques morceaux par-ci par-là, cette idée d’y intégrer de l’IA m’a motivé à donner naissance à ce beau projet.
N’est ce pas dangereux ? (Car facile ?)
A l’ère des algorithmes qui récompensent les utilisateurs très actifs, en effet, ça l’est ! Faire de l’art prend du temps, or l’IA qui a englouti tout ce que l’Humanité a pu produire de meilleur n’a pas besoin de temps, ni de sensibilité. Quiconque sait maîtriser ces outils peut se revendiquer compositeur aujourd’hui, mais ces personnes ne pourront jamais incarner leurs œuvres, quand bien même elles en revendiquent la paternité. Pour être plus synthétique, je dirais que cela dépend de la manière de s’en servir.
Comment se passe l’étape de création avec l’IA ? Est ce que tu composes une musique et l’IA la produit ?
Le processus est plutôt simple : je crée des samples à partir des morceaux que j’ai générés puis sélectionnés par IA. J’isole quelques mesures du morceau, je les découpe et les arrange à ma guise, puis je compose tout le reste. A la manière d’un beatmaker, je pars d’un sample, à la seule différence qu’il ne provient ni d’une œuvre connue, ni d’une banque de sample. C’est assez amusant de sampler des œuvres que personne n’entendra jamais. Je viens y ajouter des guitares, des basses, et des synthés au studio, pour composer un morceau à la manière d’un « backing track », puis je démarche des musiciens pour prendre le lead. Sur certains morceaux, c’est moi-même qui incarne ce lead à travers la guitare, ou même la basse. L’idée, c’était vraiment de proposer un projet récréatif pour tout le monde : je compose un morceau, je le propose aux musiciens, et ils se l’approprient comme bon leur semble. Tous les morceaux sont ensuite produits au Global Drip Studio, dont je suis l’ingénieur.
Comment as tu convaincu les artistes ?
Étant compositeur depuis plus de quinze ans, j’ai la chance d’avoir des collègues très talentueux dans mon entourage, mais ce projet m’a aussi permis de faire de belles rencontres, et même renouer des liens ! De plus, la musique lofi a recours à des accords complexes, à quatre notes, que l’on retrouve plutôt dans le jazz, le lounge ou la bossa nova. Je pense que le challenge est intéressant pour les musiciens et beatmakers qui m’accompagnent, puisque je leur propose un support dont ils sont l’élément principal pour s’exprimer en toute liberté. C’était même une aventure très enrichissante à titre personnel, j’ai dû me (re)plonger dans les gammes et les modes pour ne pas perdre la face devant mes confrères [rires]. L’éthique et l’humain étant au cœur du projet, je pense que cette notion a beaucoup contribué au fait de convaincre. Finalement, l’IA n’est que le point de départ de notre processus créatif, mais dès lors, tout le reste relève d’un travail concerté entre musiciens et techniciens.
Comment les artistes ont vécu l’expérience ?
Il faudra leur demander directement [rires]. J’ai fait en sorte qu’elle soit la plus récréative et agréable possible, de façon à ce que tout ce qu’ils aient à faire, c’est d’exprimer leur art.
Est-ce qu’il a été difficile pour que tout le monde se calibre sur la même vibe ?
Non, ça s’est passé assez naturellement. J’ai donné quelques consignes simples pour m’assurer que l’on soit tous sur la même longueur d’onde, mais entre musiciens, on s’est entendus assez rapidement sur la couleur qu’on voulait donner au projet. Il y a forcément eu quelques ratés, mais c’est le fardeau de tout artiste : on ne propose au public qu’une portion de tout ce que l’on compose/produit.
A travers ce projet quel est ton message ? Que veux- tu dire ?
» Chopsticks & Chill » est humblement une ode à la sérénité et à la liberté : entre rythmes simples et accords riches, analogiques et numériques, IA et humain. Nous avons été une dizaine de musiciens à collaborer sur ce premier volet (d’une longue série, nous l’espérons), et avons tous travaillé de concert pour proposer des œuvres riches et agréables, qui pourront vous accompagner partout et tout le temps. A travers ses ouvrages, LofAI a pour mission de proposer une utilisation fair de l’IA, au service de ses musiciens. L’incarnation de cet art, c’est central pour moi. J’espère qu’à l’avenir, de nombreux musiciens de talents voudront se joindre au projet LofAI.
On sent une sorte de cohésion dans les morceaux, comme s’ils se répondaient, est-ce voulu ? Quelle histoire voulais-tu raconter ?
Oui, c’est voulu. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, LofAI est un projet récréatif avant tout, pour les musiciens mais aussi pour le technicien que je suis. J’ai volontairement compilé des samples qui se ressemblaient pour donner une cohérence à ce projet, et j’ai dû presque à contrecœur boucler la tracklist, voyant le temps passer et les morceaux exploitables s’amonceler. Je voulais proposer un voyage aux auditeurs, une véritable immersion dans un univers dont on peut dessiner les contours. Étant le compositeur principal et l’ingénieur du projet, il est porteur de mon coup de pinceau, même si je suis accompagné par plusieurs musiciens d’horizons différents. J’ai aussi pu prendre quelques libertés en qualité d’ingénieur, ce qui renforce cette impression. J’ai pour idée de livrer d’autres projets aux univers bien marqués, avec des morceaux qui se répondent, mais qui obéissent à d’autres codes que ceux présents dans » Chopsticks & Chill . Ça me permet d’aller à fond dans une direction, sans avoir peur de m’enfermer.
Aurore Viberti