Le monde de la musique découvre Selah Sue en 2011 avec son tube planétaire « Raggamuffin ». Après un premier album double disque de platine, elle enchaîne une tournée des festivals jusqu’à faire la première partie de Prince. La flamande au timbre chaud est ainsi vite propulsée au sommet de la scène soul. Après la sortie d’un autre album, en 2015, plus axé électro, la naissance de deux enfants et une pause de sept ans, elle est de retour avec un troisième album intitulé « Persona ».
Comment avez-vous conçu cet album ?
Je l’ai enregistré en grande partie durant le premier confinement de mars 2020, dans des conditions idéales pour moi. J’étais chez moi en Belgique avec ma famille. J’ai ainsi pu me focaliser sur cet album, sans aucune pression. C’est la première fois que j’enregistre un disque à la maison. Auparavant, je me rendais à Los Angeles pour travailler, mais je n’avais plus envie de retrouver des producteurs à l’égo surdimensionné. Je me suis ainsi créé un studio à la maison, où je pouvais répartir mon temps entre mon métier et mon rôle de maman. C’était une très bonne expérience.
Au niveau du confinement justement, quel impact a-t-il eu sur ce nouvel album ?
Il a été très bon, car je me suis sentie libre. J’ai ainsi pu me retrouver avec moi-même. J’ai suivi durant de nombreuses années une thérapie pour explorer toutes les facettes de la personnalité. Chaque son de cet album est issu d’une face différente de la personnalité pour me les faire accepter.
Vous abordez des sujets sensibles notamment, le passage par la case des antidépresseurs, c’était important pour vous ?
Oui, car la dépression est un sujet qui parle à tout le monde. Le morceau « Pills » y est donc consacré. Il raconte l’histoire d’une personne qui pèse le pour et le contre, de prendre ces médicaments. À travers ce son, j’explique mon histoire. Après avoir terminé d’écrire cette chanson j’ai décidé d’arrêter de prendre des antidépresseurs. De ce fait, depuis sept mois je n’ai plus aucun traitement. La musique m’a permis de me libérer.
Vous commencez votre disque par un morceau hip-hop, une première pour vous dans ce style. Il était nécessaire de se renouveler ?
J’ai toujours eu un penchant pour le hip-hop, avec Kendrick Lamar notamment. Ce premier titre traite de la confiance en soi. Les personnes ont toujours pensé que j’étais arrogante, alors que j’étais juste sûre de moi. Ainsi, avec cette assurance, je peux me permettre de faire tout style de musique, même le rap. Celle-ci me permet également de faire front face aux personnes qui pensaient que je ne pouvais pas. Je suis très fier de ce morceau, qui est synonyme de liberté.
Nous pouvons retrouver une collaboration avec le rappeur belge Damso. Comment la connexion s’est-elle faite ?
Au début du projet, chaque membre de l’équipe, producteurs et moi avions fait une liste de personnes avec qui nous souhaitions collaborer. Pour la petite anecdote, je n’en avais pas trop entendu parler. En effet, la Belgique est grande et divisée en plusieurs parties entre les Flandres et la zone française. J’ai vu son nom sur la liste d’un des producteurs et j’ai regardé ce qu’il faisait. J’ai directement accroché. Il a un style relax et intelligent. C’est un rap très profond. Je lui ai envoyé un message et quelques heures après nous avions réalisé le son à Bruxelles. Il était important de le faire en présentiel pour ressentir la connexion.
Sept ans après votre nouvel album, aviez-vous une certaine appréhension au moment de la sortie du projet ?
C’est certain, j’étais un peu effrayée car le monde de la musique change. Il y a de fabuleux artistes qui émergent. Ils ne vous attendent pas et sont susceptibles de prendre votre place. Je suis tellement heureuse de retrouver la promo et le public que je me sens reconnaissante et ainsi moins craintive. J’ai juste hâte de partager ma musique.
En parallèle de la musique, vous aviez étudié durant votre adolescence la psychologie, est-ce que cela joue un rôle dans la conception des titres ?
Bien évidemment ! Au-delà de mes études, c’est ma passion pour la psychologie qui joue un rôle important dans ma musique, au niveau des émotions. C’est pour cela que cet album tourne autour de ma thérapie. J’ai toujours voulu être psychologue, car j’aime aider les personnes et être à leur écoute. Ainsi avec la musique, je peux être une thérapie pour mes auditeurs à travers des morceaux où je me confie. C’est important pour moi de montrer ce côté-là, car les personnes croient qu’en étant une personne connue je n’ai pas de problèmes, alors que je suis comme tout le monde.
Votre EP précédent intitulé « Bedroom », sorti pendant le confinement en 2020 est très intime, car il y a de nombreuses références à vos enfants. Est-ce que le fait de devenir mère a changé votre perception de la musique ?
Ça a plus changé ma personne que ma musique. En effet, ça m’a permis d’avoir plus d’assurance avec mon corps et moi-même. Ils m’ont permis de savoir qui j’étais et ce que je voulais dans ma vie. Désormais, je n’ai plus de temps à perdre. Passer du temps avec mes enfants m’a fait prendre conscience de l’importance de faire de la musique que l’on aime. En ayant des enfants, ma perception de la vie a changé.
N’est-ce pas trop compliqué de mélanger enfants et musique ?
Pour le moment non, car j’ai pu être là durant leurs premières années. Ils ont grandi avec la musique à côté. Dès que je pars au studio ou en tournée, mes enfants le comprennent et me disent : « Bye-bye ! » (rires). De plus, j’ai la chance d’avoir ma mère qui peut les garder tout comme une nounou, donc cela ne pose aucun problème.
Après un premier album double platine et plusieurs festivals à seulement vingt et un ans, il était nécessaire de prendre cette pause ?
C’était impératif. J’étais énormément fatiguée de tout, même lorsque les fans venaient me demander une photo. C’est à ce moment-là que j’ai ressenti qu’il fallait que je me mette en retrait pour ne pas devenir arrogante avec les personnes qui me suivaient. J’ai aussi été maman entre-temps, il fallait que je sois là pour mes enfants. C’était sept longues années et il est certain que je ne m’absenterai plus jamais autant.
Avec ce nouveau disque, est-ce que vous pouvez enfin dire adieu à vos démons ?
Je ne peux pas dire que mes démons sont partis à jamais. J’essaye davantage d’accepter de vivre avec eux, car ils ne me quitteront pas. Qu’ils s’en aillent, ce n’est pas l’objectif. Le but est d’accepter ces démons avec leurs bons et mauvais côtés, comme les jours où on broie du noir. Je ne suis pas encore soignée à 100%, mais je suis sur la bonne voie.
Après ce nouvel album, est-ce que vous avez déjà des projets pour l’avenir ?
Je suis impatiente de retourner en studio ! En ce moment, je suis focus sur la promo. J’adore ça, mais ma passion première c’est la création de musique. Nous avons fait notre premier concert de la tournée aux Pays-Bas avec une nouvelle scénographie et un nouveau groupe qui déchire. Je m’apprête ensuite à faire une tournée des festivals, cet été, aux quatre coins de l’Europe. Enfin, je pense également à produire des artistes mais seulement une fois leurs morceaux finis, afin de peaufiner les détails.
Guillaume Operto
Le 17, dans le cadre des Nuits de la Guitare de Patrimonio, au Théâtre de Verdure – Patrimonio, le 20, dans le cadre des Nuits Guitares, au Jardin de l’Olivaie – Beaulieu-sur-Mer (06), le 22, dans les cadre des Escales du Cargo, au Théâtre Antique – Arles (13) et le 30/07/2022, dans le cadre des Nuits Blanches, sur la Place du village – Thoronet (83).