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Ólafur Arnalds fait office de jeune surdoué hyper-productif dans le domaine de la musique néo-classique. Que ce soit en matière d’écriture d’albums, de collaborations, de projets divers ou encore de par la densité de ses tournées internationales, Ólafur impressionne par son rythme de travail et les cadences infernales auxquelles les paysages mélodiques sortent de derrière son visage d’ange. Sa musique contient tout ce que son Islande d’origine possède de chaleureux, mélancolique et vectoriellement simplifiée à la fois. Le calme et la maîtrise de soi avec lesquels ce jeune compositeur répond aux questions avant de monter sur les planches de l’Espace Culturel André Malraux à Six-Fours sont déconcertants. Un moment méditatif à l’image de son œuvre.
Quatorze Albums et Eps, le moins que l’on puisse dire est que vous êtes un artiste extrêmement prolifique. D’où vous provient toute cette inspiration ?
Quatorze ? Vous êtes sûre ? (Rires) Ça ne peut pas être quatorze, si ? C’est incroyable… Je dirais que ma source première d’inspiration réside dans ma volonté créatrice. Le fait de vouloir, absolument, faire quelque chose de mon temps. Être actif me paraît plus important que la nature de l’inspiration elle-même. Si je ressens un besoin soudain de créer, alors il me faut l’assouvir immédiatement. Pour ma part, avoir une idée n’est pas une fin en soi, c’est l’action en résultant qui se révèle être déterminante. En résumé, je ne me considère pas comme l’artiste le plus inspiré en ce monde, simplement j’agis.
J’avais eu le privilège de chroniquer votre album “Re : Member” lors de sa sortie l’année dernière. Pouvez-vous nous donner votre sentiment concernant l’accueil de ce disque auprès de votre public ?
J’essaie de traverser la sortie de mes œuvres sans me soucier des retours de l’audience. Mes créations sont autant d’autoportraits, de photos de moi-même. Et, à l’instar de ces moments où, souhaitant capturer l’émotion et l’essence intrinsèque du modèle ciblé, tu appuies sur le déclencheur, les avis extérieurs n’ont alors, objectivement, que peu d’impact sur l’aspect créatif du geste. Ceci étant dit, je dois dire que, jusqu’à présent, les commentaires captés ici et là à propos de “Re : Member” sont plutôt bons. Si on ajoute à cela le bon déroulé de la tournée, je serais tenté d’affirmer que tout va bien. Rencontrer toutes ces personnes est une aventure réellement excitante.
Avez-vous toujours été élevé dans un environnement musical ? Jouiez-vous de la musique au sein de votre famille ?
Oui tout à fait. Je me souviens que, dans la maison de mes parents, il y avait toujours de la musique. Dans mes souvenirs les plus lointains, je me vois en train de jouer de la guitare avec mon frère, du piano avec ma sœur, l’environnement était définitivement très musical. Il n’y avait rien de carriériste dans ce loisir, aucun membre de ma fratrie n’est devenu professionnel par la suite. Nous n’avions, à l’époque, pas vocation de faire de la musique un métier. Le but était clairement de s’amuser.
Quel fut votre premier instrument ?
Je ne me rappelle plus précisément lequel des deux mais cela dut être le piano ou la guitare.
Sigur Rós, Björk, Sólstafir, Ólafur Arnalds, etc… L’Islande semble, plus que jamais, être le berceau d’artistes prodigieux. Quelle est, d’après vous, la raison à cela ?
C’est une bonne question (Rires), je n’en ai aucune idée. J’ai cessé d’essayer de répondre à cette question il y a longtemps (Rires).
Parallèlement à votre intense rythme de travail, trouvez-vous encore le temps d’écouter de la musique ? De quel type de musique s’agit-il ?
J’écoute beaucoup de choses différentes. Cela dépend si je suis en déplacement ou bien, chez moi, à la maison. En ce moment je prête régulièrement l’oreille à des sonorités de type musique électro en provenance de l’Inde. Oui je dirais que quatre-vingt pour cent de ce que j’écoute aujourd’hui est partagé entre électro, pop et indie. Lorsque je séjourne en Islande, je me repasse tous mes vieux vinyles de jazz. La musique que je diffuse dépend directement de l’espace dans lequel je me trouve. En tournée, la dynamique se veut plus propice à la découverte de nouveautés.
Vous avez composé la musique d’”Electric Dreams”, de Philip K. Dick, vous définissez-vous comme un lecteur de science-fiction ?
En fait pas vraiment. J’aime certains films de science-fiction mais je n’ai jamais été un lecteur de cette catégorie littéraire. Ecrire cette bande son fut une expérience très intéressante et ludique à la fois. Cependant, sur l’ensemble de la série, je n’ai composé la musique que d’un seul épisode, je ne me souviens d’ailleurs plus lequel. Les mélodies de chaque volet ont été créées par des équipes différentes. Un peu comme pour le concept de la série “Black Mirror”.
Avec quel ou quelle artiste, disparu(e) ou bien encore parmi nous, auriez-vous aimé collaborer ?
Pour être honnête, je n’envisage pas la notion de collaboration artistique de cette façon. Je n’ai pas besoin d’un ou d’une artiste en particulier à ce jour. Mais si je me connecte à quelqu’un, si je ressens une alchimie créatrice avec une personne, alors nous pouvons “faire de l’art” ensemble. Peu importe que tu sois talentueux ou pas, peu importe ton niveau technique, j’irai même plus loin, peu importe que tu sois mauvais en tant qu’être humain (Rires), si musicalement j’aime ce que tu fais, alors une association est tout à fait possible.
Est-ce ainsi que les choses se sont déroulées avec Nils Frahm ? A quelle occasion vous êtes-vous rencontrés ?
C’est un peu différent avec Nils. Nous étions déjà amis avant. Nous voulions faire de la musique ensemble depuis longtemps. Nous avons fait connaissance au cours d’une tournée durant laquelle Nils assurait ma première partie. Mon label venait de signer un contrat avec lui et ils m’avaient demandé si je voulais partir en tournée avec Nils sur quelques dates. Nous avons passé quatre semaines ensemble. Des liens se sont créés. Et voilà.
Vous avez travaillé avec le groupe Heaven Shall Burn et vous avez joué, en tant que batteur, pour des groupes de heavy metal tels que Fighting Shit et Celestine. Y a-t-il un point commun entre la composition dans le domaine de la musique classique et la composition en termes de heavy metal ?
Oui… Les deux sont de la musique (Rires) ! C’est assez simple pour moi en fait, ce n’est que de la musique. Les instrumentations changent, les tempos varient, mais à la fin cela reste de la musique. En ce qui me concerne, ces deux courants musicaux valent le coup que l’on y prête une oreille attentive. J’ai le sentiment que musique classique et heavy metal rassemblent le même public.
Diriez-vous alors que la musique a quelque chose de très pragmatique ?
Tout à fait. Nous avons divisé la musique en une multitude de genres. Mais la musique ne s’est pas auto-proclamée classique, métal ou jazz. La musique n’est pas classique. C’est juste un mot que nous utilisons, une appellation basée sur nos idées. L’approche de la musique est bien plus importante que le résultat. Si on regarde bien, le résultat n’est qu’une fréquence à la sortie d’une enceinte. La construction de la musique, quel que soit le qualificatif que vous lui donnerez, voilà ce qui compte pour le musicien. L’idéologie qui en découle est ce qui me motive aujourd’hui. Concevoir l’Art en prenant le contrepied des règles établies.
Sur votre site web, on retrouve les partitions de vos morceaux. Celles-ci sont mises à la disponibilité du grand public. Vous est-il déjà arrivé d’entendre votre musique jouée par un autre musicien que vous ?
Oui, tous les jours (Rires). Partout dans ce monde, tous les jours, des gens jouent ma musique. La plupart du temps cela se traduit par la diffusion d’une vidéo sur Youtube ou Instagram. Tous les jours je reçois des mails d’étudiants m’expliquant que mes morceaux ont été repris par leur orchestre. Parfois, également, ce sont des groupes de reprises, des formations de violons ou des orchestres de chambre. Beaucoup de belles choses naissent du fait d’avoir offert votre musique à autrui. Cela en vaut vraiment la peine. Je pourrais ne faire que vendre ma musique par le biais de livres de partitions, mais pour moi, le plus important est de savoir que mes compositions inspirent les gens. Quel est la finalité pour un compositeur ? Nous voulons donner naissance à une œuvre qui évoluera d’elle-même, traversera sa propre vie et, en fin de compte, nous survivra. Nous vivons à travers notre musique. A travers son œuvre, Chopin, par exemple, est encore en vie. La musique immortalise son compositeur. Elle est une énergie qui, se répandant à travers le monde, influe sur celui-ci sous différents et multiples petits effets.
Habituellement les groupes passent un an sur deux en concerts, puis l’autre en studio afin d’enregistrer les chansons qu’ils auront imaginées durant la tournée. Vous venez de passer les treize dernières années sur la route et vous continuez de vous produire à travers tous les pays de la planète en 2019. Quand trouvez-vous le temps de continuer à écrire et à produire de nouveaux albums ?
(Rires). Oui c’est vrai que je donne l’impression d’être constamment sur la route mais en réalité je prends le temps nécessaire pour me poser. Avant cette tournée 2019 je n’avais pas réalisé de concert pendant trois ans. Enfin si, mais avec mes autres projets (Rires). Je prends le temps de la réflexion nécessaire à l’écriture entre deux séries de shows.
L’élaboration d’un album vous prend-elle beaucoup de temps ?
Oui. Il est facile de produire un single ou un EP. Mais ma conception de la musique a plutôt tendance à suivre le format de ce que l’on appelle un album concept. Le processus d’écriture est lourd et long. Ce type de disque aura pour mission de tenir durant les cinq années suivant sa création. Jusqu’à ce que j’en produise un nouveau. C’est exactement le même procédé que pour un peintre qui réaliserait un portrait. Je dois comprendre comment ce portrait doit être réalisé pour que sa tenue soit parfaite. Je ne suis aucune autre règle, je ne me donne aucun impératif. La seule condition est que ma musique soit une part entière de moi-même. Et, en cela, elle devient très facile à détester. Pour “Re : Member”, j’ai passé une année en studio mais il m’a fallu deux ans de réflexions auparavant.
Votre approche de la conception artistique semble se rapprocher plus de la méditation que de la production.
Oui c’est vrai. Même si je fais un peu des deux. Parfois je me concentre afin de façonner le bon morceau dès le premier essai. Parfois j’écris énormément de titres afin d’en prélever le meilleur. C’est toujours galvanisant de maîtriser plusieurs manières de travailler. Pour mon dernier disque, je n’avais pas écrit une seule ligne depuis longtemps. Je m’étais pratiquement astreint à une forme de silence afin de laisser mon cerveau progresser tranquillement. Et puis, un jour, l’idée était tellement ancrée dans mon esprit que la musique est apparue d’un seul coup. En trois mois j’avais cinq chansons. Puis je me suis replongé dans le silence à nouveau, etc… C’est un processus très intéressant.
Votre champ lexical est extrêmement tourné vers l’univers du visuel. Vous allez même jusqu’à comparer l’écriture de votre musique à la création d’un portrait. Sont-ce là deux activités similaires pour vous ?
En fait ce sont des métaphores qui me viennent naturellement lorsqu’il s’agit de traduire mes pensées. Mais en réalité, j’écris ma musique en ne pensant qu’à la musique. Je ne visualise rien d’autre. La seule image concrète qui me vient parfois à l’esprit lorsque je compose, est celle d’un clavier (Rires). Je vois les touches s’enfoncer au fur et à mesure du morceau. Je ne m’imagine jamais de fond vidéo, pas de nuage, pas de pluie, rien de tout cela (Rires).
Quelle a été la principale source d’inspiration de votre album “Re : Member” ?
En trois ans, les influences ont été nombreuses. Sans compter ma collaboration avec Nils, mon projet électro, etc… Je voulais essayer de compiler tous ces éléments afin de les poser sur une toile et d’organiser leur positionnement.
Quel sera votre prochain projet après votre tournée actuelle ?
C’est dur de répondre à cette question. Il y a une idée d’accompagnement musical d’un film. Mais c’est très difficile d’être plus précis aujourd’hui. Il reste encore tellement de dates à assurer sur cette tournée.
Appréciez-vous cette tournée jusqu’à présent ?
Oui, énormément. Certaines dates sont meilleures que d’autres, la semaine dernière, la météo était merveilleuse. Comparé aux températures glaciales rencontrées aux Etats-Unis, les concerts en Espagne et dans le sud de la France sont idylliques (Rires).
Propos recueillis à l’Espace Malraux – Six-Fours-les-Plages (83)
Aurélie Kula