LORD ESPERANZA

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Après plusieurs projets et la formation d’une communauté solide, Lord Esperanza semble désormais avoir trouvé son véritable univers. L’artiste atypique qu’il est se plaît désormais à s’ouvrir à son public et aborder des thématiques plus personnelles. Sympathique, attachant, humble et très réfléchi, le “Roi Sans Couronne” n’en a “Jamais Assez”..

Même si tu es encore jeune, tu as quand même connu un succès rapide. Comment as tu vécu cela et est ce une raison de ton « absence » depuis 3 ans ?

Je pense que c’est un mélange d’un peu tout cela. J’ai commencé vers 15/16ans, c’est vrai. D’un point de vue extérieur, je comprends que l’on puisse se dire cela, mais j’ai quand même pas mal de souvenirs de galères, de scènes open mic et de concerts devant trois personnes. D’ailleurs, je suis très content d’avoir vécu ça, parce que c’est très nourrissant. Cela permet de se connecter à la gratitude, au public, donc je remercie « la vie » d’avoir permis ce parcours progressif. Chaque marche de l’escalier à son importance.

Quant à la pause, je pense que c’est dû au fait que j’ai quand même tourné pendant trois ans et enchaîné 200 dates. Il y a également eu une remise en question vis-à -vis de mon premier album, qui ne traduisait pas réellement la musique que je voulais faire. J’ai pris comme un retour de flammes, avec une envie de retourner en studio. Revenir à ma musique et à quelque chose de plus singulier. Ces quelques années m’ont ainsi permis de découvrir de nouvelles formes d’art, de sortir du carcan rap et d’écrire pour d’autres artistes. Tout ce mélange m’a permis de me reconnecter à ma musique, de revenir avec plus d’envie et de proposer cet album. Cela a pris du temps de trouver ma différence, arriver à quelque chose de plus organique et orchestral. Je me suis même forcé dans l’écriture, à travailler par thématique, et non plus partir dans tous les sens, dans ce côté rappeur.

D’où le nom de ton nouveau projet « Phoenix », comme une renaissance ?

Tout à fait. C’était réfléchi. Je savais que j’allais faire une pause et revenir ainsi en proposant une musique différente de celle que je faisais auparavant. Évidemment, il reste quelques réminiscences de celle-ci, mais ça prévient l’auditeur qu’il doit s’attendre à quelque chose de différent. En tant qu’artiste, je trouve ça un peu ennuyeux de toujours proposer la même chose.

Comment as tu travaillé pour créer ce nouveau projet ?

J’ai travaillé différemment, dans un premier temps, car ce fut beaucoup plus long, pendant presque trois ans. Ça m’a permis de chercher beaucoup plus en studio et de toucher plus aux instrus. J’ai aussi bossé avec des compositeurs différents, notamment Nino Vella. Ainsi, je me suis ouvert à de nouveaux horizons musicaux. 

Il y a 3 collaborations dessus, et de grande qualité, comment se sont fait ces choix ?

Ils se sont faits plus par passion, voire même avec un regard enfantin, dans le sens où ce sont des artistes que j’écoutais quand j’avais 10 ans. Lefa, je l’écoutais quand j’étais petit dans ma chambre, donc c’est comme un accompagnement. La Sexion D’Assaut, c’est vraiment eux qui m’ont donné envie de faire du rap. Médine c’est pareil. C’est un incontournable du rap français et c’est un honneur de l’avoir sur l’album. Encore plus sur un morceau politique comme ça.

Je t’écoute et apprécie ta musique depuis le début ou presque. J’ai encore des morceaux de « Lord Esperanza – Dans ta ville » dans ma playlist. On est d’accord que sur cet album le côté rap est moins présent, non ? Pourquoi ce choix ?

C’est une nouvelle approche. Par exemple, « Par amour » c’est un morceau rap pour moi, mais il est beaucoup plus mélodieux. C’est peut-être un rap plus intimiste, introspectif, avec moins de côte egotrip, jeune, arrogant. C’est d’ailleurs quelque chose qui ne me parle plus trop, car j’ai grandi et évolué en tant qu’humain. J’ai du mal à me dire que je vais proposer cette musique à encore 26 ans. J’ai une volonté beaucoup plus forte de raconter des choses et des histoires. Malgré tout, il y a des morceaux comme « Roi Sans Couronne » ou « Black Amadeus » qui se veulent plus « marrants », avec par exemple un production beaucoup plus épique. J’essaie de me rapprocher de références un peu plus sophistiquées. Ne pas se contenter d’une note de piano, d’une drum et de rapper pendant huit minutes. Ça m’intéresse moins.

Quelles ont donc été tes inspirations pour proposer ces nouveaux morceaux ?

Je pense que beaucoup d’artistes ont commencé par proposer des choses plus spontanées et pleines de jeunesse. Après, ils maturent et arrivent dans un approfondissement artistique. Rester dans le rap pur, sans se plonger dans les instrus ou les arrangements, je trouve cela moins challengeant. Tout en empêchant pas le fait de prendre du plaisir lorsqu’on le fait, mais forcément le regard évolue au fur et à mesure des années. Pour en revenir aux inspirations, c’est très large. Cela va de la littérature au cinéma, en passant forcément par la musique. Je pense notamment à Rosaliá, Billie Eilish, James Blake ou encore Woodkid. Évidemment, Lefa aussi, Lomepal ou Stromae également. Cela peut aussi aller à des artistes hors rap comme Flume, qui est beaucoup plus électronique. La chanson française me permet aussi quelques références, avec Charles Aznavour ou Richard Cocciante. Le tout fait un bon melting-pot. 

En réalité, c’est comme si le rap était une porte d’entrée pour de nombreux artistes, qui finalement trouvent ensuite leur univers et s’éloignent de ce côté rap pour proposer leur musique. 

Oui, on peut le voir comme ça. Puis, ce n’est pas une porte d’entrée que vers la musique. Cela peut aussi être une porte d’entrée vers d’autres univers comme l’écriture. En fait, le rap tu as simplement besoin d’un stylo et d’une feuille, donc c’est un bon moyen de rentrer dans la création. Beaucoup d’artistes ont ainsi pris la plume pour écrire des films ou des livres, comme Oxmo Puccino ou Disiz. Une fois que tu as touché à la création, c’est challengeant de se dire que l’on peut faire d’autres choses. En même temps, cela peut aussi faire peur, car si par exemple demain j’écris un livre, je ne sais pas que cela vaudrait (rires). Dans tous les cas, c’est super cool et intéressant de pouvoir se dire qu’on peut toucher à beaucoup de choses. Cela permet de proposer de nouvelles choses, sans se contenter de rester dans ce que l’on sait faire. Ainsi, on peut également pluraliser ses activités. Même si j’adore la musique, les tournées, ce n’est pas toujours très sécurisant de ne reposer que sur une seule chose. Cela rassure de pouvoir se dire que l’on a de la valeur dans différents domaines. Il y a d’autres formes d’arts et c’est cool. C’est hyper challengeant et cela ne peut que nourrir ma musique au fur et à mesure.

Tu y parles également de choses beaucoup plus intimes, comme par exemple sur ton 1er single « Les ombres », où tu parles notamment des maladies mentales. 

Je pense que j’ai toujours essayé, dans certaines phrases d’anciens morceaux. Par exemple dans « Roi du monde » ou même « Drapeau Noir », j’avais déjà cette aspiration pour le côté psychologie, du rapport à l’amour et à la vulnérabilité. J’avais déjà ce truc là en moi, mais c’est vrai que cela s’est accentué avec le temps. Je garde un regard bienveillant sur le passé, car c’est toujours formateur. En plus, cela permet a la communauté qui se crée autour de la musique de grandir avec moi. Je suis content de toucher de nouvelles personnes et de faire une musique plus généreuse et universelle que du pur rap.  

Celle-ci se traduit aussi par une importance accrue accordée aux visuels des titres et de l’album. 

J’ai toujours aimé le visuel, mais c’est vrai que l’on a encore plus approfondi les choses sur celui-ci. La direction artistique est plus sombre et épique, à l’image de l’album. Cela donne un résultat plus abouti. C’est mon album le plus abouti, par essence même, vu que j’ai travaillé plus longtemps dessus. En même temps, ça serait mauvais signe si après autant de temps à travailler dessus le résultat n’était pas là. Je me suis entouré de personnes qui avaient les mêmes références que moi. Nous avons parlé de cinéma, de clips, de publicités ou encore de boîtes de production en elles-mêmes. Cela permet de raconter quelque chose d’encore plus cohérent.

Quel message veux-tu transmettre avec ce nouvel album ?

Le fait de se faire confiance. Croire en son chemin et s’autoriser à faire ce que l’on a vraiment envie de faire, peu importe le domaine. C’est d’encourager les gens à prendre soin d’eux, mais aussi de leurs rêves. J’essaie d’avoir un regard très bienveillant et d’être le plus humain possible. Toutes les histoires des gens me touchent. C’est comme une ode à toutes ces histoires, au destin. J’essaie de me poser en tant qu’allié de ça, en compréhension et non en jugement. Je crois beaucoup en cette résurrection par le travail. Ne pas hésiter à proposer des choses plus personnelles et singulières, en se montrant vulnérable, que l’on crée le lien le plus fort avec les gens. Et en même temps, c’est quelque chose que j’essaie d’appliquer au quotidien, car je suis pétri de doutes comme tout le monde, de manque de confiance, etc. C’est une forme d’auto persuasion, mais aussi une mise à nue pour échanger avec les gens de manière plus directe et sans artifice.

Justement, parmi ces morceaux, est ce que l’un d’entre eux a une signification ou une attention particulière pour toi ?

J’adore « Les hommes pleurent », une chanson d’amour ou de rupture. C’est une chanson que j’ai mis beaucoup de temps à faire. Je l’ai longtemps attendue. Je voulais vraiment avoir qu’une seule chanson comme ça, pour ne pas lui « faire de l’ombre ». Il y a eu beaucoup de versions différentes, parfois avec du gospel par dessus. Je l’aime aussi par rapport à la thématique. On est tous plus ou moins égaux face à cette peur du manque, du vide existentiel. Tout en ayant chacun ses moyens de parer cela. Il y a aussi parfois cette petite voix dans la tête qui te dit que peu importe ce que tu fais, etc, ce n’est jamais assez. En tout cas, c’est quelque chose que moi je vis beaucoup. Ensuite, je dirais quand même aussi « Caméléon », car c’est la première chanson que l’on a faite et que la thématique aussi est importante. Elle a une résonance particulière par rapport à ma vie personnelle, à mon oncle. J’en ai déjà cité deux, mais je pourrais en citer d’autres, c’est difficile de choisir.

Dans tes projets, il y a souvent une réelle continuité (« Drapeau Noir », « Drapeau Blanc », « Lord Esperanza Dans Ta Ville – Part 1 et 2…), penses donc tu déjà à la suite ?

Carrément ! J’ai déjà toute la suite, sur deux / trois ans. Haha, bravo d’avoir remarqué ça. Ça fait plaisir de voir que tu me suis depuis longtemps. J’aime ce côté là d’un train qui passe, avec des gens qui sont là depuis le début, mais aussi d’autres qui montent ou qui descendent. Après, malgré tout, je laisse aussi tout de même la place à la créativité, à la spontanéité, mais j’aime bien travailler en amont. Avant même d’avoir travaillé dessus, j’aime bien avoir des tracklists, comme ça je vois l’album comme une sorte de pièce. Je vois ce qu’il manque, ce qu’il y a en trop, ce qui n’est pas assez bien, trop tôt ou trop tard. J’ai déjà un nom pour le troisième album, mais encore une fois, rien n’est fixé. Il ne faut pas se figer et peut être que cela va évoluer. En tout cas, c’est vrai que c’est rassurant pour moi d’avoir comme une sorte de plan, de me projeter. 

Maxime Martinez

Le 24/11/2023 à L’Affranchi – Marseille (13).

lordesperanza.com

Photo : Nathan Saillet

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